Le 4 janvier 1980, Ronald Pelton, un ancien analyste fraîchement démissionné de la NSA qui a, par ailleurs, quelques grosses dettes de jeu prend contact avec l’ambassade soviétique de Washington.

Il a des trucs à leur révéler… mais discrètement. #Thread
Pour le KGB, évidemment, ça sent immédiatement la poule aux œufs d’or : ils organisent discrètement un rendez-vous avec Pelton et confient son débriefing à Vitaly Yurchenko, un de leurs officiers les plus gradés aux États-Unis.
Et ils ne vont pas le regretter.

L’histoire que Pelton raconte à Yurchenko, sans aucun document, entièrement de mémoire (le type a une mémoire quasi photographique), est une véritable bombe.
Il va leur déballer toute l’opération #IvyBells, le plus incroyable dispositif créé par les ricains pour espionner les soviets.
L’histoire commence au début des années 1970, quand les États-Unis suspectaient que la flotte soviétique du pacifique avait installé un câble de communication au fonds de la mer d'Okhotsk, entre leur base de Petropavlovsk et Vladivostok.
La région a beau être interdite à tout bâtiment non soviétique et surveillée comme les portes du Mordor, les ricains, alléchés par le type d’informations qui pourraient circuler sur un tel câble, décident de tenter de le trouver quand même. #YOLO
C’est ainsi qu’en octobre 1971, l’USS Halibut, un sous-marin spécialement modifié pour ce type de mission, appareille pour la mer d'Okhotsk.
Souvenez-vous, on avait déjà parlé du Halibut ici : https://twitter.com/ordrespontane/status/972747474925387778
Cette mission est à ce point secrète que la plupart des membres de l’équipage n’en sauront jamais rien.

Officiellement, ils vont récupérer les débris d’un missile soviétique (un P-500 Bazalt) — chose qu’ils feront d’ailleurs vraiment (puisqu’on y est…).
Mais l’objectif officieux, celui de l’opération Ivy Bell, c’est de trouver cet hypothétique câble et, s’il existe vraiment, d’y coller, en toute décontraction, un système d’enregistrement.

Tout ça dans l’antre de la flotte du pacifique, sous le nez des soviets.
Ça a marché comme sur des roulettes.
D’abord, ils vont trouver le câble en moins de 2 semaines. Pour faire ça, ils ne vont pas scanner les fonds marins mais simplement chercher un panneau sur les côtes russes : le genre de panneaux qui invite les marins à ne pas laisser traîner d’ancres dans le coin. #ProTip
Reste à envoyer des plongeurs y coller l’enregistreur — un gros tube conçu pour pouvoir écouter sans percer le câble et pour se détacher si d’aventure les soviets décidaient de faire un peu de maintenance.

On fait un enregistrement d’essai et on rentre.
Et là, en écoutant les bandes, les ricains réalisent que les soviétiques sont tellement convaincus que personne ne serait assez azimuté pour tenter un coup pareil qu’ils ne prennent même pas la peine de crypter leurs communications.
Ils décident donc d’y retourner avec un plus gros enregistreur... et de repasser tous les mois pour récupérer les bandes et en installer des neuves !

Le truc s’appelle ‘The Beast’ : 6 mètres de long et 6 tonnes (il faut 4 plongeurs pour le manœuvrer.)
L’opération Ivy Bell fonctionne tellement bien que les ricains vont industrialiser l’idée et coller des enregistreurs (développés par les laboratoires Bell d’AT&T) sur tous les câbles qu’ils trouvent.

La marine russe est sur écoute et ne s’en doute pas une seconde.
Alors évidemment, quand Pelton lâche le morceau à Yurchenko en janvier 1980, la révélation va faire trembler jusqu’aux fondations du Kremlin.
Pour ces informations, Pelton ne va recevoir que $35 000 de la part de ses nouveaux amis (plus ses notes de frais, quand même).

Ça lui permettra tout juste de se remettre à flot et de continuer à naviguer d’un job à l’autre pendant les 5 années suivantes.
Seulement 5 ans, toutefois, parce qu’en 1985 il va lui arriver une grosse tuile.

Vitaly Yurchenko décide de passer à l’Ouest. #Oups
Évidemment, le Yurchenko parle au FBI de cet ancien analyste de la NSA qui lui avait raconté toute l’opération Ivy Bells. Évidemment aussi, le FBI finit par identifier Pelton.

Il prend 3 fois perpétuité plus 10 ans (ne me demandez pas).
Mais c’est pas fini.

Le 2 novembre 1985, avant de dîner dans un restau français de Washington, le Yurchenko informe son ‘ange gardien’ de la CIA qu’il va faire une petite balade et rajoute en riant « si je ne reviens pas, ça sera de votre faute. »
Il n’est jamais revenu.
Quelques jours plus tard, on apprendra par le biais de l’ambassade soviétique qu’il était repassé à l’Est.

Pour autant qu’on sache, il avait juste changé d’avis. #Fin
(Épilogue : Il semble que Ronald Pelton ait finalement été libéré le 24 novembre 2015 à l’âge de 74 ans. Quant à Yurchenko, aux dernières nouvelles, il était à la retraite et vivaient à Kalouga en Russie centrale.)
Justes quelques petites infos de plus sur le USS Halibut :
Ce n’était pas, et de loin, le meilleur des sous-marins américains : il était vieux, lent, bruyant et en plus il était moche (Ok, ça, c’est subjectif).
En revanche, il avait un truc intéressant : ce gros tube lance-missiles bizarre que l’équipage surnommait la « Bat Cave » (bizarrement…)

C’était idéal pour faire rentrer ou sortir des gros objets (russes) dans le sous-marin tout en restant en plongée.
C’est cette particularité qui va inciter John Craven, un ingénieur de la Navy spécialisé dans le renseignement, à le sauver de la casse en 1974. Grâce à sa Bat Cave, le Halibut va connaitre une seconde vie beaucoup plus trépidante que la première. #Fin (cette fois pour de vrai).
Je rappelle aux étourdis que tous les threads sont regroupés ici :
https://twitter.com/ordrespontane/status/971010721449463809
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