Quel est le bilan carbone du bois énergie ?

La question agite la filière et ses détracteur. On lit qu'il est neutre en carbone ou pire que le charbon, avec de bonnes vielles règles de 3 et toute la mauvaise foi de ceux qui en abusent…

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En fait, ça se joue dans la nuance, et ça dépend de pleins de facteurs qui vont faire varier le bilan de manière très importante. Petit article d'introduction à ces facteurs que je complèterai pour les plus motivés.
Comme le dit le collègue Sylvain Doublet @Solagro_asso : On avait un gisement d'un produit quasi standard, le pétrole, mais avec la biomasse c'est une multitude de ressources correspondant à moult itinéraires techniques différents. Complexe mais passionnant !
Quand on regarde rapidement, on ne voit pas bien ce qui peut être positif dans le bilan carbone de la coupe d’un arbre pour du bois énergie : On empêche cet arbre de croître, donc de stocker du carbone, et on émet plus de CO2 qu’en brûlant du charbon.
Mais on ne peut pas se satisfaire d’une analyse à l’échelle de l’arbre, il faut intégrer le bilan carbone du massif forestier d’une part, et de toute la filière bois d’autres part, bois énergie et bois d'œuvre étant en 🇫🇷 le plus souvent indissociable. Et là ça se complique !
1. Dans la parcelle : Mon sol forestier reste t'il sol forestier après la coupe ? A-t-il été dégradé par les engins ? A-t-on rasé la parcelle ou laissé des arbres en place ? A-t-on laissé du bois au sol ? A-t-on arraché les souches ?
Pour illustrer, dans le cas d'une éclaircie ou d'une sylviculture continue, les arbres coupés permettent à leur voisins de mieux croître. On a une dette carbone quand on coupe, très vite remboursée. Dans une coupe rase, c'est beaucoup plus long.
2. Dans les usages prévus du bois : la coupe était elle dédiée au bois énergie, ou le BE ne valorise que les co-produits de bois d'œuvre ? Et dans ce cas, à quel produit affecte t'on le bilan carbone ?
3. Dans la filière : Faut-il compter les émissions de combustion des co-produits de transformation (granulés par ex) alors qu'on a déjà compté les prélèvements de bois d'œuvre en évaluant le puits de carbone forestier ? (voir le thread qui va bien : https://twitter.com/FlorinMalafosse/status/1526213590792945664
4. Et en bout de chaîne : quid de la combustion de déchets de bois, doit on encore compter ces émissions, et comment les affecte t'on ?
5. Pour en rajouter une petite couche : quand on utilise du bois, quelqu'en soit l'usage, on évite l'usage d'acier, de béton ou de PVC dans la construction, ou de combustibles fossiles ou d'électricité pour le chauffage. Et ça, ça compte aussi, c'est la substitution.
En bref, pour illustrer, il faut différencier le bilan de chaque situation. Et ensuite savoir quel volume a été utilisé dans quelles conditions pour pouvoir mesurer les impacts carbone. Et aussi se mettre d'accord sur les manières de compter. Presque insoluble… Qq exemples :
Facile : je brûle des granulés issus de connexes de scierie de bois d'œuvre à la place de gaz de ville (dans un logement isolé au préalable, bien sûr !). A priori bilan très positif
Encore facile : je brûle des bûches issues d'éclaircies destinées à faire mieux pousser du bois d'œuvre dans un poêle performant, à la place du fioul, bilan très positif également.
Plus délicat : je brûle des plaquettes issues des branches et houppiers d'une coupe intensive de bois d'œuvre, qui du coup ne seront pas retournés au sol, à la place de gaz. Quel impact à long terme sur la fertilité du sol ? Et bien ça dépend…
Ou encore : Je rase une parcelle en difficultés sanitaires pour faire des plaquettes pour alimenter une usine de cogénération qui ne valorise pas toute sa chaleur mais un peu qd même et qui produit surtout de l'électricité (dont le bilan carbone varie selon les saisons…)
Et re-facile : Je fais des coupes rases sur le continent américain pour alimenter une giga-centrale électrique biomasse au Royaume-Uni…
Bref pas de réponse simple à ce sujet très complexe. Ce qu'on peut faire : étudier en détail des filières en particulier (on ne reparlera), ou regarder tout le système France de haut pour tenter d'apporter des réponses globales.
Au final, à la question : augmenter les prélèvements de bois est il bon ou mauvais pour le climat ? Quelques éléments de réponse :
Les filières ont des bilans carbone différents. + le bois coupé vit longtemps, + le bilan est favorable. Il y a donc une hiérarchie des usages d'un point de vue carbone (qui existe déjà d'un point de vue économique), et le ré-usage et les usages en cascade sont à privilégier
Dans le périmètre France (et autres pays tempérés ou la forêt gagne du terrain), entre couper plus et stocker dans la filière, ou couper moins et stocker dans l'écosystème : léger avantage à la seconde stratégie, mais bien en dessous des marges d'incertitudes.
C’est très différent à l'international en fonction des contextes : la déforestation est un fléau, et couper plus de bois dans certains pays est d’une bêtise abyssale (mais le bois énergie en est rarement la cause première)
Un facteur déterminant : les impacts du réchauffement climatique, qu'on mesure encore très mal à moyen terme (pour le court terme, les forestiers l'on bien réalisé !), je vous en parlerai dans un prochain article
Deux éléments déterminants à explorer en aval : Durée de vie et substitution. Comme on a des dizaines d'itinéraires techniques, des flux dans tous les sens, 3 ratios ne sont vraiment pas suffisants. Idem, article à venir.
Ce ne sont pas tant les volumes qui importent (la ressource peut-être abondante en France) que l’organisation de l’ensemble de la filière vers des pratiques vertueuses qui peut grandement modifier le bilan.
Et ces pratiques sont naturellement tributaire du prix de vente des produits bois, qui doit augmenter pour rémunérer mieux les bonnes pratiques, parallèlement à la règlementation et à la certification.
Au final, pas de réponse précise et d’immenses champs de recherche à explorer, avec des décisions à prendre au quotidien. Au vu des connaissances actuelles, une mosaïque de solutions adaptées à chaque massif est la moins mauvaise solution.
Et pour cela, de la coordination massif par massif, et des plans de gestion durable et d'adaptation partout, même si gérer peut vouloir dire laisser simplement évoluer librement la forêt.
Merci de m'avoir lu jusqu'ici, j'espère avoir été compréhensible !

Fin du thread
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