Une armée coincée au cœur d’un immense empire hostile. Des soldats obligés de se battre pour fuir le plus loin possible de cet enfer. Ce n’est pas le synopsis d’un blockbuster Hollywoodien, mais un événement réel raconté par Xénophon : l’expédition des dix mille en -401.
C’est une aventure assez mal connue du grand public. C’est assez étonnant, puisque c’est une histoire incroyablement épique. Une épopée grandiose qui a pour protagonistes des mercenaires grecs obligés de dépasser leurs limites pour survivre.
Je vais vous raconter cette histoire à peine croyable. Twitter oblige, je vais essayer d’aller droit au but et passer les (très) nombreux détails et les personnages secondaires. Les hellénistes, soyez indulgents. C’est parti !
Nous sommes donc en -401. L’Empire Perse est le plus puissant et le plus étendu du monde. Il est dirigé par le roi des rois Artaxerxès II. Son frère, Cyrus le jeune, souhaite alors l’éliminer pour prendre le pouvoir.
Il faut dire que le bon Cyrus a failli être exécuté par son frère pour trahison. Il le soupçonnait en effet de vouloir le renverser. Touché dans sa fierté, le jeune Cyrus veut se venger… et met donc sur pied un plan pour renverser le roi. Le serpent qui se mord la queue.
En Asie Mineure (Turquie actuelle), Cyrus rassemble une immense armée. Parmi les hommes, plus de 10 000 mercenaires Grecs (on penche pour 13 000 ou 14 000 au total). Il leur promet de nombreuses richesses une fois qu’il sera roi.
Il y a de tout, des athéniens, des corinthiens, des spartiates… des vétérans pour la plupart. De vrais soudards, des durs, des tatoués qui boivent du mazout au p’tit dej. On sort alors juste de la guerre du Péloponnèse.
Le jeune Xénophon, originaire d’une famille noble d’Athènes, s’engage dans cette troupe un peu par hasard (il rejoint un ami, Proxène) à Sardes, la ville de Cyrus. S’engage alors son aventure.
Pour ne pas éveiller les soupçons, Cyrus confie à son armée qu’elle a pour mission officielle d’aller mater une révolte en Cilicie. Malin le Cyrus. L’ambiance est alors au beau fixe. On s’arrête à chaque ville et on organise même des défilés militaires où les Grecs impressionnent
Mais plus la cohorte s’avance vers l’est, plus le plan de Cyrus devient évident : il veut marcher vers Persépolis ! Les Grecs s’en rendent compte et une mutinerie commence. Cléarque, général qui dirige les mercenaires, négocie avec Cyrus qui promet d’augmenter les gains.
Gains = argent = pognon, donc les Grecs acceptent de continuer la mission. L’immense armée se Cyrus s’enfonce vers le cœur de l’Empire. Un trajet de plus de 1000 km au pas de course.
Comment une si grande masse d’hommes peut elle se déplacer si facilement ? Il faut comprendre que la Perse était un empire gigantesque. Le temps qu’une information arrive à l’autre bout du pays, il pouvait se passer des jours dans le meilleur des cas.
Plus encore, on parle d’un empire composite, parsemé de nombreux peuples et de provinces (satrapies) relativement autonomes, dont certaines ont des accointances avec Cyrus.
Mais Artaxerxès est finalement mis au courant de la trahison de son frère. Il ne va tout de même pas se laisser faire ! Il décide de contre-attaquer. Il l’attend avec ses troupes à Counaxa, près de Babylone. C’est le passage obligé pour aller plus loin vers l’est.
Les deux armées se font alors face dans le désert. La bataille pour l’avenir de la Perse va commencer ! Les Grecs sont remontés comme des coucous. Ce sont des mercenaires, ils ont été engagés pour ça. Enfin un peu d’action !
Après une bataille acharnée, les Grecs maîtrisent le terrain. Les Perses se retirent, ils ont gagné ! Mais les mercenaires déchantent vite : ils apprennent qu’en réalité, Cyrus est mort au combat. Leur commanditaire n’est plus ! Leur victoire n’a donc plus vraiment de sens.
Là, vous commencez normalement à voir le souci. Les 10 000 Grecs ne verront déjà jamais leur argent, mais ils sont piégés ! Piégés au cœur d’un empire ennemi dirigé par un roi qu’ils ont tenté de renverser, à plus de 1000 km de chez eux. Pas glop.
Plus encore, les troupes Perses de Cyrus ont juré fidélité à Artaxerxès, qui lui est bien vivant. Le pauvre Xénophon et ses compagnons sont complétement isolés. Perdus en plein territoire ennemi, ils ont peu d’espoir de revoir leur terre natale.
La situation n’est pas non plus confortable pour le roi des rois. Que faire de ces 10 000 soldats ennemis sur son territoire ? Hors de question de les affronter, ce serait un bain de sang. Il envoie donc un de ses satrapes pour négocier : Tissapherne.
Ce dernier leur propose un marché : il escortera les dix milles le long du Tigre, en direction du nord. Les Grecs voient poindre un espoir de s’en sortir. Ils acceptent. La retraite débute alors. Les mercenaires sont escortés de loin par les Perses.
Tout se passe pour le mieux jusqu’à la ville de Larissa. Ici, Tissapherne invite les commandants des Grecs dans son camp pour parlementer. Tous les chefs s’y rendent. Mais coup de théâtre ! Le satrape les prend en traître et les fait tous assassiner. Le félon !
Cléarque, le chef de l’expédition, n’est plus. Tout comme Proxène, l’ami de Xénophon. Les Grecs sentent alors la situation leur échapper et plient bagage en catastrophe. De nouveaux chefs sont nommés. Xénophon fait partie des élus et prend le commandement de l’arrière garde.
Une vraie course poursuite commence. Au pas de course, les soldats Grecs fuient vers le nord, harcelés par les armées perses ! Je ne vais pas entrer dans les détails, mais à chaque jour son combat. Chaque soldat ne sait pas s’il verra le soir en se levant le matin.
Ils arrivent enfin au pied des montagnes du Zagros, source du Tigre, où Tissapherne abandonne sa poursuite. Pourtant, les Grecs ne sont pas sortis d’affaires, loin de là. La partie la plus difficile de leur voyage commence.
Ils doivent traverser le pays des Cardouques (Kurdistan actuel), peuple belliqueux qui voit d’un mauvais œil cette gigantesque armée traverser ses terres. Les Grecs sont chaque jour harcelés. Il y a des embuscades et des combats quasi quotidiennement. C’est une vraie boucherie.
Et c’est pas fini ! Ils doivent encore traverser les montages d’Arménie… en plein hiver. Une marche forcée à plus de 2000 m d’altitude, un vent mordant qui vous glace les os. La faim et la soif qui tenaillent. Les locaux qui vous harcèlent constamment. Un véritable enfer.
Les dissensions se créent alors entre les Grecs. Ça s’engueule, ça veut pas aller dans la même direction. Cerise sur le gâteau, un satrape local propose de louer leur service, mais les trahissent. Les Grecs sont encore obligés de fuir.
La délivrance arrive enfin lorsqu’un jour, Xénophon entend des cris de joie dans la colonne de soldats. Il tend l’oreille… « Thalassa, Thalassa ! ». La mer ! Les dix mille sont arrivés au bord de la mer noire !
S’ils ne sont toujours pas sortis d’affaire (ils sont encore dans l’Empire) ils sont presque arrivés chez eux ! Il y a encore du chemin à faire, mais fini les montagnes et les peuplades hostiles. Ils sont loin du centre de la Perse, désormais.
L’armée des dix mille longe alors la côte vers l’ouest et fait la rencontre de plusieurs peuples. Les soldats traversent ainsi la Macronie et s’associent à ses habitants, les Macrons (aucune vanne), qui les aide à progresser.
Ils arrivent enfin à Trébizonde, où ils espèrent embarquer pour la Grèce. Toutefois, seule une partie des hommes le peut faute de place. L’armée est obligée de se scinder en deux. Xénophon et ses hommes continuent à pied.
Sur la route, les mercenaires pillent les villes qu’ils trouvent, afin de se nourrir, et surtout pour s’enrichir (ils n’ont pas eu leur paye, après tout !). La méfiance des locaux est grande, vous l’imaginez, et les combats continuent.
Finalement, après avoir servi un petit seigneur Thrace, ce qui reste des dix mille (amputés du contingent spartiate retourné auprès d’un seigneur perse entre temps), arrive enfin à Pergame presque deux ans après en être parti. Ils ont réussi !
Ils sont sortis d’affaire et ont réalisé l’un des plus grands exploits militaires de l’Antiquité. Piégés au cœur de l’Empire ennemi, les Grecs ont parcouru plus de 1300 km, bravant tous les dangers, pour se sortir d’affaire. Comme on dit aujourd’hui : masterclass.
Plus encore, c’est la première fois qu’une armée grecque s’enfonce si loin dans l’Empire, à une époque où les relations entre perse et monde hellène sont… disons compliquées. Le suivant sera un certain Alexandre, une soixantaine d’années plus tard.
Cette histoire est racontée une vingtaine d’années plus tard par Xénophon dans son Anabase. Dedans, il y décrit son aventure, mais fait aussi un gros travail de documentation sur la faune, la flore, les peuples qu’il a rencontrés, les distances qu’il a parcourues.
Cet ouvrage était le préféré d’Alexandre, dit-on. C’était un outil redoutable pour se repérer dans l’Empire Perse. A l’époque où les cartes ne sont pas communes, avoir un livre qui donne le nom des villes, les distances entre elles et la topographie des lieux, c’est essentiel !
Voilà, c’était l’expédition des dix mille. Croyez-moi, je n’ai fait que résumer grossièrement les événements, tant il s’est passé de choses.
Si vous voulez en savoir plus, je vous encourage à lire l’Anabase, où la retraite est décrite jour par jour par Xénophon. Si les textes classiques vous barbent, je vous conseillerais Les Neuf Noms du Soleil de Philippe Cavalier.
Il s’agit d’une adaptation de cette histoire, mais en version épique. Ce n’est certes pas très proche de la réalité (beaucoup d’événements et de personnages sont inventés), mais ça suit grosso modo l’anabase et ça se dévore page après page.
Bref, l’expédition des dix mille est une histoire incroyable qui mérite d’être plus connue. Il est étonnant qu’aucun studio américain s’en empare pour faire un blockbuster, il y a tous les ingrédients pour !
Et pourquoi pas avec The Rock en Xénophon ?...
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