J'ai regardé en famille #DontLookUp pendant les vacances... et rapidement entendu "eh, maman, c'est la même chose que pour le changement climatique!"

Je voudrais partager quelques réflexions, au regard de certaines expériences à l'interface science / société...
Cette satire (sombre) joue de ressorts classiques (transposition, exagération) pour dénoncer une mascarade sociale empreinte de déni, de vanité, et de cupidité, de la perte du sens de l'intérêt général.
Le personnage de Kate Dibiasky m'a touchée avec ses doutes, son questionnement sur la manière de s'exprimer rigoureusement, clairement et sincèrement.
Avec son désespoir de ne pas avoir réussi à faire mieux, cette l'impression de vivre une tragédie grecque annoncée sans le sursaut ni le leaderships nécessaires pour infléchir le cours des choses. Le fait de se remettre en question.
Le film montre le décalage entre le mode de fonctionnement des scientifiques, et celui du monde des média et du pouvoir politique. Je l'ai clairement ressenti à de multiples reprises.
Il pose la question de la formation des scientifiques pour les aider à s'exprimer dans les média (media training), et la difficulté de journalistes (animateurs de talks shows) ou de décideurs politiques (et leurs conseillers) à intégrer les connaissances scientifiques.
Comment les scientifiques doivent-ils communiquer? Rester froid, distants, rationnels? Sont-ils plus ou moins crédibles lorsqu'ils laissent transparaître leurs émotions, qui les rendent plus humains? Trop humains? Trop sensibles?
L'enjeu est particulièrement délicat pour les femmes (scientifiques), qui, lorsqu'elles laissent transparaître leurs émotions, peuvent rapidement être attaquées (hystériques, etc).
J'avais mal vécu, en 2011, le fait d'être qualifiée de "passionaria du climat", par exemple. Un terme qui n'a pas d'équivalent pour un homme - je pense qu'on parlerait de "scientifique engagé", dans ce cas.
Le film montre bien le décalage entre les codes et le fonctionnement des scientifiques, et les moments d'échanges, courts, avec les décideurs politiques - qui s'appuient parfois davantage sur une opinion individuelle que sur un socle solide de connaissances collectif...
Il m'est arrivé d'avoir par exemple 3 minutes (3 questions) pour présenter les points clés d'un rapport du GIEC à un chef d'état ou de gouvernement, un ou une ministre, un élu ou une élue. C'est court.
Hélas, l'immense majorité des décideurs n'a pas lu les "résumés à l'intention des décideurs" des rapports du GIEC. J'espère que certains de leurs conseillers les lisent mais je me demande ce qui leur en est transmis.
Le film montre aussi le cynisme et le déni de responsabilité, l'absence de capacité d'analyse de risques pour une situation inédite (capacité à se projeter, risques associés aux options d'action et leur échec possible), l'absence cruelle de leadership.
Il illustre aussi la manière dont, malgré eux, les scientifiques peuvent se retrouver instrumentalisés dans un storytelling politique, pour un intérêt spécifique, et non l'intérêt général.
A un moment donné, j'aurais aimé pouvoir aussi dire crûment, "are you fucking kidding me?", mais cela aurait demandé de surmonter la politesse et le respect des autres qui m'ont construite.
Le personnage de Peter Isherwell est particulièrement gratiné, mais souligne un discours récurrent portant sur des soi-disant solutions technologiques dont la faisabilité n'est pas démontrée et les effets indésirables non évalués.
J'ai à plusieurs reprises observé une attitude de ce type, mélange de cynisme, de cupidité et d'absence d'empathie lors de discussions précédent ou suivant des tables rondes très policées en lien avec finance, technologie, innovation et grandes entreprises.
Le film illustre aussi la société du spectacle et de la consommation, la manière dont fonctionnent certains médias, la désinformation qui se propage hélas plus rapidement que les connaissances solidement établies.
J'ai aussi souffert de cette dissonance lors d'interventions dans les médias, avec la question de la manière d'aborder des enjeux graves liés au changement climatique dans un monde médiatique qui cherche la distraction, les aspects simplistes, la dispute,
le tout entre deux publicités favorisant la surconsommation et ce qui conduit le plus à émettre plus de gaz à effet de serre, et parfois avec des personnalités nombrilistes.
Par exemple, le récent rapport du GIEC de cet été, faisant le point sur le changement climatique, a été rendu public le 9 août, jour de l'annonce de l'arrivée attendue de Lionel Messi dans l'équipe du PSG...
Donc oui, j'ai retrouvé dans ce film de nombreux éléments qui font écho à mon ressenti et mon analyse des relations entre science, décision politique, rôle des média, et l'ensemble de la société, concernant les enjeux liés au changement climatique.
La prévision de l'arrivée d'une comète, rouage du tragicomique du film pour donner à rire de la mascarade sociale, est un artifice scénique du film, suggérant que nous sommes tous face au même danger, avec une réponse binaire (on gagne ou on perd tous).
Vis-à-vis du changement climatique, la réalité est bien plus complexe, avec des enjeux majeurs concernant les inégales responsabilités, vulnérabilités, impacts, et capacités à agir.
Cela fera d'ailleurs l'objet de l'évaluation des rapports des groupes 2 (vulnérabilités, impacts, risques, options d'action / adaptation) et 3 (émissions de gaz à effet de serre, options d'action) du GIEC, qui sont respectivement attendus ⏱️ le 28 février et 4 avril 2022.
Dans ce contexte, #DontLookUp met l'accent sur les individus et le pouvoir (représenté via le sommet de l'état, les médias, les milliardaires de la tech), au détriment de tout ce qui fait société, des organisations collectives, des mécanismes de solidarité.
Cela pose aussi, en creux, la question de savoir d'où peut venir un sursaut pour sortir du déni (déni de réalité, déni de sévérité, déni du besoin de transformations profondes)?
Par ex., alors que les enquêtes d'opinion montrent que les questions liées au changement climatique sont un point important de préoccupation, dans la société, pourquoi cela ne fait-il pas l'objet de questions sérieuses posées aux candidats et candidates pour toute élection?
Quelles sont les propositions pour nous préparer à faire face aux conséquences inévitables d'un climat qui change, quelles sont les propositions qui permettront d'apporter notre contribution à la baisse indispensable et rapide des émissions de gaz à effet de serre?
Quel futur voulons-nous construire, plutôt que de se regarder le nombril?
Je termine en soulignant que la réalité est parfois pire que la fiction. Le film ne montre que partiellement le cynisme de ceux qui ont tout à gagner du statu quo, le rôle des marchands de doute qui ont sciemment construit la désinformation, le greenwashing & sèment la confusion.
Par exemple, lors de la COP21 (2015) et dans le cadre de l'accord de Paris sur le climat, l'ensemble des pays avait demandé au GIEC de rendre un rapport spécial sur un réchauffement de 1,5°C.
Je la résume en disant que chaque demi-degré compte, chaque année compte, et chaque choix compte; le rapport de 2021 ajoute que chaque région est concernée, et que chaque tonne de CO2 compte...
Tout est ici, http://www.ipcc.ch  (et dans mes fils de résumés en français)
Bref, quand ce rapport spécial avait été présenté à la COP24 en 2018, 4 pays (dont, à l'époque, les USA, la Russie et l'Arabie Saoudite) ont tout fait pour que ses conclusions ne soient pas intégrés aux décisions de la Convention des Nations Unies... https://enb.iisd.org/climate/cop24/enb
Cela illustre aussi les défis posés par les relations entre l'état des connaissances scientifiques et la manière dont elles peuvent être instrumentalisées ou, si elles sont elles dérangent, ignorées.
Les choses se sont un peu améliorées depuis, puisque la décision de la COP26 (en novembre dernier) démarre par "science et urgence" et souligne l'urgence à accélérer l'action pour le climat...
https://unfccc.int/process-and-meetings/conferences/glasgow-climate-change-conference-october-november-2021/outcomes-of-the-glasgow-climate-change-conference
Alors, #LookUp ou #DontLookUp , maintenant?
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