Sur une bonne partie des photos de mon enfance, je ressemble à un garçon. Thread sur mon expérience personnelle de la "dysphorie de genre" (et pourquoi parler de transidentité chez les enfants est dangereux) 🔽
Comme beaucoup de gosses, j'héritais des fringues trop petites de mon grand frère, et je voulais lui ressembler. Sauf pour une brève période "goûts de fille" au début du primaire apparemment. Qui est allée jusqu'à des horreurs de ce type :
Ensuite, ça a commencé (sans doute vers 7 ou 8 ans). J’ai commencé à vouloir être un garçon. C’est resté une obsession pendant plusieurs années. Faut savoir que j’avais une famille merdique, avec un père violent qui maltraitait ma mère (et moi et mes frères).
Donc j’ai compris très tôt qu’être une fille/femme, dans ce monde, c’est de la merde. Qu’être une fille c’est être agressée, ne pas être aussi libre que les garçons, ne pas apprendre les mêmes trucs qu’eux (comme réparer son vélo) parce que personne ne veut vous les apprendre.
Qu’être une femme (ma mère) c’est être dépressive, être la bonne de tout le monde, être traitée comme de la merde. C’est avoir des enfants même si on n’en veut pas, et devoir s’en occuper même quand on n’en peut plus.
Les violences que j’avais vécues depuis toute petite ont aussi joué un rôle, sans doute : j’étais déconnectée de mon corps. L’idée que j’étais peut-être un garçon "dans ma tête", même si la réalité de mon corps était différente, a facilement pu prendre corps en moi.
Et puis, je me retrouvais plus dans les centres d’intérêt attendus des garçons que dans ceux des filles. J’aimais construire des cabanes et faire du vélo, j’adorais le Club des Cinq et je m’identifiais à Claude, le garçon manqué du groupe qui déteste être une fille.
Je n’en parlais pas. Je ne pouvais pas m’exprimer dans ma famille, c’était dangereux. Ma personnalité n’avait aucune existence en-dehors de ma tête. A cette période, je n’avais presque aucun ami, parce que j’étais "garçon manqué", "bizarre", etc. #SortezLesMouchoirs #Cosette
J’avais des rituels : si je posais mon pied à tel endroit précis en descendant l’escalier, je deviendrais un garçon. J’essayais d’avoir la même coupe que mes frères, je maudissais la coiffeuse qui me laissait quand même des longueurs, "sinon on va penser que tu es un garçon 😱 !"
Les gens qui ne me connaissaient pas pensaient souvent que j’étais un garçon. Moi, secrètement, j’étais ravie à chaque fois que quelqu’un se trompait (mais je faisais parfois semblant d’être vexée, parce que c’était la réaction normale attendue).
Au collège, les moqueries se sont transformées en vrai harcèlement, parfois violent, mais pour rien au monde je n’aurais changé mon apparence à cause de ça. Pour moi, c’était une preuve de leur connerie et de leur superficialité. Je me sentais un peu supérieure, je crois.
Et puis, peu à peu, c’est passé.

C’est passé parce qu’à l’époque, dans mon petit village alsacien, l’idée de transidentité était pour ainsi dire inexistante. Et qu’en l’absence d’une idéologie prête à l’emploi et défendue par des adultes,
cette idée que j’étais peut-être un garçon a fini par m’apparaître pour ce qu’elle était : une croyance infantile, magique, un désir irréalisable. La puberté a joué un rôle là-dedans. Elle m’a forcée, comme tout le monde, à me confronter à la réalité matérielle de mon corps.
J’ai dû finir aussi par apprendre ce qu’est le sexisme, je suppose. Et par interpréter différemment mes goûts et envies "de garçon", en comprenant qu’ils n’avaient pas à être liés à mon sexe, que je pouvais être une fille et faire ce que je voulais.
Je n’aimais toujours pas être une fille. Je trouvais mon corps plutôt beau, je découvrais ma sexualité, ça c’était cool, mais ça suffisait pas à compenser le regard dégueu des mecs sur moi, ni le besoin d’être sous médoc quotidiennement dès mes 14 ans pour gérer mon endométriose
(non diagnostiquée, évidemment : "c’est normal d’avoir mal quand on a ses règles !", autrement dit : c’est normal d’avoir mal quand on est une femme!)

Je n’aimais toujours pas être une fille, mais je l’ai accepté tant bien que mal.
Pourquoi je raconte tout ça ? Parce que j’ai peur quand j’imagine ce qui m’arriverait si j’étais ado aujourd’hui. Si on m’apprenait à l’école et au collège que les gens ont une "identité de genre" qui peut ne pas correspondre à leur sexe.
Je me dirais quoi, à votre avis ?
"Oh putain, c’est moi, ça !"
Je ferais des recherches sur internet, j’y trouverais des gens avec une histoire semblable (en apparence) à la mienne. Je croirais à la possibilité de changer de sexe – ou en tout cas de transformer mon corps.
Je chercherais peut-être à prendre rdv avec une spécialiste. Devant elle, je réinterpréterais mon histoire à la lumière de la transidentité. Les photos de moi à 3 ans ressemblant à un garçon deviendraient une preuve, non pas que je récupérais les habits de mon frère
et que ma mère m’avait coupé les cheveux parce que le démêlage était une crise de larmes quotidienne, mais que je me suis toujours "sentie" garçon. Les photos de moi à 6 ans en rose Barbie disparaîtraient parce qu’elles n’iraient pas dans le tableau du petit garçon trans.
Les violences ? Je n’en parlerais pas. (Je n’en ai jamais parlé à des adultes, et j’ai même berné des médecins là-dessus quand j’étais gosse, donc je ne doute pas qu’elles auraient pu passer inaperçues dans le cadre d’un entretien sur ma dysphorie de genre).
Le harcèlement au collège deviendrait bizarrement un argument de plus en faveur de ma transition sociale : les adultes du collège devraient faire en sorte que mon "identité" soit respectée par mes camarades ;
il faudrait leur faire comprendre que non, je n’étais pas une fille anormale, qui remettait en question ce qu’une fille peut et doit être, mais un garçon comme les autres.
Un "je ne supporte pas d'avoir mes règles", qui exprimerait le calvaire mensuel de l’endométriose, serait facilement interprété comme un rejet de mon sexe de femme.
Vous le voyez, le storytelling ? Parler de transidentité chez les enfants, c’est interpréter une enfance (une période longue, complexe) à l’aide d’une seule grille de lecture, parmi 1000 possibles. Tant pis pour les vraies causes de l’identification au sexe opposé :
homosexualité rejetée, troubles psy, violences et traumatismes, douleur d’être une fille dans un monde misogyne, recherche d’une étiquette qui nous rende intéressant.e, désirs des parents qu’ils projettent sur leur propre enfant, et j’en passe. Circulez.
Aujourd’hui, quand je discute de transidentité avec d’autres femmes, un certain nombre d’entre elles (de tous âges, de tous styles, féministes ou non, lesbiennes ou non) racontent un vécu de "garçon manqué" et/ou de dysphorie.
Elles partagent ma peur devant le fait qu’une petite fille comme nous, aujourd’hui, on va lui mettre dans la tête qu’elle est peut-être, en réalité, un garçon.

Un exemple, parmi d’autres : https://twitter.com/berkgers/status/1446088682956591112?s=20
Nos récits ne sont pas pris au sérieux par certaines personnes trans. Elles nous répondent en mode « Oui, et ? D’après ce que tu dis, tu n’étais pas trans, tu étais juste un garçon manqué. Laisse les enfants trans tranquilles. Parle pas de ce que tu connais pas ».
On a là un argument selon lequel il y aurait des enfants trans, et des enfants qui leur ressembleraient comme deux gouttes d’eau mais qui ne le seraient pas. Ce qui les distinguerait ? Les uns SE SENTENT garçon (ou fille), les autres non.
Et si tu expliques que, si si, toi tu pensais être un garçon, ou bien que tu voulais désespérément en devenir un, mais que ce n’est plus le cas aujourd’hui… Cette fois, c’est cette évolution, ce changement, qui les fait dire que tu n’es pas trans, et que tu ne l’as jamais été.
Y a qu’à voir les réactions face aux personnes qui détransitionnent, du type "elle s’est trompée, elle a CRU être trans, mais elle ne l’est pas". (Et donc, elle non plus n’est pas légitime pour parler de transidentité.)
Bref, il y aurait les vraies personnes trans qui s’identifieraient jusqu’à leur mort au "genre" opposé, et puis il y aurait les autres : celles qui (souvent à la puberté), ont cessé de croire à cette fiction. Celles de tous âges qui finissent par détransitionner.
Comme si le fait d’être trans était une caractéristique immuable d’une personne ; que parfois on croit l’être, mais on se trompe. Au lieu d’admettre qu’être trans, c’est une croyance, et que comme toutes les croyances, celle-ci peut rester stable très longtemps, ou bien évoluer.
Et que parfois, on cesse tout bonnement d’y croire. Sans pour autant que notre expérience ait été différente de celle d'une personne qui s'identifie encore comme trans.
Scoop : chez les enfants et les ados, l’identité est en pleine construction. Par définition, elle n’est pas stable (au-delà de caractéristiques objectives comme le nom, l’âge, le sexe, la couleur de peau, etc).
Donc parler d’enfants ou d’ados trans, alors même qu’on définit la transidentité comme quelque chose d’inné et d’immuable, c’est absurde.
Et ça revient à placer les gosses dans une voie d’aliénation, d’objectification du corps, et de médicalisation à vie, alors qu’on n’a pas la moindre idée de la façon dont ils se percevront l’an prochain ou dans 10 ans. (Oui, même ceux qui ont 16 ou 17 ans.)
#RienAGuérir
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