Comment toute une génération de militant-es communistes ont accédé-es à la culture bourgeoise et ont pu connaître une ascension sociale grâce à ça ?
Un thread qui vous résume un article de Pauline Clech sur la question.
Un thread qui vous résume un article de Pauline Clech sur la question.
Quelques précisions avant de rentrer dans le dur de l’analyse.
Ici P. Clech s’intéresse aux parcours d’ancien-nes militant-es qui ont pu faire carrière dans les politiques culturelles municipales (bosser en musée, en bibliothèque, être élu à la culture, ect.) voir nationales (bosser au cabinet de Jack Lang par exemple).
Ces militant-es ont la particularité d’avoir vécu et travaillé dans des banlieues où le parti communiste était particulièrement implanté, et malgré leur origine populaire, ils et elles ont réussi dans ce contexte à devenir des gens qui comptent dans le monde culturel.
Du coup sociologiquement ça pose deux questions.
La première en rapport avec la théorie de la légitimité culturelle (Bourdieu tmtc) : est-ce que ces personnes du fait de leurs origines vont venir faire bouger les lignes de la culture ou finalement reproduire la même culture bourgeoise qui les a élevé socialement ?
Et la deuxième : qu’est-ce qui dans leur parcours a permis cette chose pas si fréquente et toujours un peu intrigante qu’est l’ascension sociale ?
Maintenant qu’on a posé un peu les enjeux, on peut rentrer dans le coeur de l’analyse.
Du coup, le premier truc qui va permettre à ces militant-es de s’élever socialement ça va être leur socialisation familiale et partisane.
Ou pour le dire encore plus précisément, ça va être la manière dont leur famille puis le parti communiste vont leur transmettre un rapport à la culture particulier, qui va les porter tout au long de leur vie.
Côté famille ce qu’on constate c’est que les enquêté-es de P. Clech sont majoritairement issu-es des fractions supérieures des classes populaires (avec un emploi stable, comme concierge ou ouvrier par ex) ou de la petite classe moyenne (postier, commerçant, etc.)
(pour ceux qui ont déjà lu mes threads, vous constaterez que c’est la même origine sociale que les GJ) https://twitter.com/GregoireSimpson/status/1425485359882907651
Et si ces familles sont éloignées de la culture légitime ce qui les caractérisent c’est qu’elles incitent leurs enfants à s’approprier cette culture bourgeoise qui leur fait défaut. Elles vont leur acheter des classiques, les inciter à aller au musée, etc.
On va avoir du coup des enfants qui culturellement vont manger de tout, du classique mais aussi des trucs pas très valorisés, vu qu’ils ou elles n’ont pas d’emblée le sens des hiérarchies culturelles.

(Petite anecdote : Guy des Cars était parfois appelé Guy des Gares vu qu’il faisait de la littérature distrayante et superficielle, de la littérature « de gare » donc)
(Petite anecdote supplémentaire : avec des amis on est tombé dans une boite à livre sur un de ses romans et c’était affreusement cringe et sexiste, ça racontait l’histoire d’un gars qui essayait de séduire des meufs en leur annonçant qu’il les avait fécondé anonymement…)
Et cette bonne volonté culturelle familiale se fait tantôt dans un souci d’intégration, notamment chez les parents immigrés qui vont vouloir que leurs enfants s’approprient la langue et le patrimoine français.
Mais aussi, pour d'autres, dans une perspective politique. Avec l'idée qu'on ne doit pas laisser à la bourgeoisie le monopole de cette culture.
Au fur et à mesure de leur socialisation, notamment scolaire, ils et elles vont quand même apprendre à valoriser le « grand art » contre les formes d’art populaires.
Ce qui va en conduire certains à détester une partie de la culture familiale dont ils ou elles héritent (chose courante chez les transfuge de classe, cf. Lahire).
Mais plusieurs choses vont les distinguer des enfants qui héritent d’emblée de la culture bourgeoise.
D’un côté ils et elles vont pas avoir ce rapport bourgeois et désintéressé (scolastique) à la culture, puisqu’ils vont quand même apprendre dans une perspective politique ou une perspective d’intégration.
Aussi ils et elles ne vont pas faire de longues études supérieures pour la plupart.
Et enfin cette fréquentation de la culture bourgeoise vu leur milieu d’origine va aussi les amener à prendre conscience des inégalités sociales.
Ça c’était pour la socialisation familiale. Maintenant ce qui va être crucial, ça va être la manière dont le parti communiste va renforcer et orienter cette bonne volonté culturelle que ces militants et militantes ont déjà acquis-es précédemment.
Car jeunes adultes ces militant-es vont adhérer au parti à un moment de l’histoire où la place des artistes et des intellectuels est centrale dans le PCF (ce qu’on appelle la période de l’aggiornamento).
Dans cette période une idée va être extrêmement forte : l’idée que la transformation sociale passe nécessairement par la transformation culturelle de soi. L’idée du coup que les prolétaires doivent s’approprier la culture monopolisée par la bourgeoisie.
Cette idée va s’incarner concrètement chez ces militant-es qui vont intérioriser durablement une tendance à la transformation culturelle de soi (donc une tendance à toujours s’approprier des contenus culturels) reliée à une perspective de transformation sociale communiste.
C’est ce que P. Clech appelle le schème de la double transformation. (Un schème étant un principe qui chez nous va produire tel ou tel comportement plutôt que tel autre.)
Et l’intégration de ce schème (de cette manière durable de fonctionner donc) va passer par toute une organisation communiste de l’apprentissage en autodidacte.
Ça va passer par des conférences, des publications, par des discussions entre militants, mais aussi par la fréquentation de grandes figures intellectuelles qui vont avoir un rôle d’initiation (comme Louis Aragon par exemple).
Mais tout ça va s’émousser avec le tournant ouvriériste du parti, et ces militant-es vont conserver cette manière de fonctionner, mais vont trouver un autre endroit pour exprimer cette tendance.
On arrive donc à notre deuxième point.
Cette bonne volonté culturelle qu’ils ou elles héritent de leur socialisation familiale et partisane, les militant-es vont pouvoir l’exprimer dans le champ des politiques culturelles.
Ce sont donc des institutions publiques qui vont consacrer leurs ressources culturelles et leur assurer une ascension sociale.
Comme je l’ai dit la grande majorité de ces militant-es ne feront de grandes études. On pourrait dire dans des termes sociologiques qu’ils et elles n’ont pas réussis à faire « certifier » (sous forme de diplôme) leurs ressources culturelles dans le supérieur.
Mais malgré ça ils et elles vont quand même réussir à rentrer dans le monde de la culture. Finalement leur dispositions culturelles vont être « institutionnalisées », vont être reconnues par des institutions, qui comme les études supérieures ont un pouvoir de consécration.
Marguerite Ramis aura même une grande carrière dans le monde de la culture puisqu’elle créera le salon du livre Jeunesse de Montreuil (qui est un incontournable) à et bossera au ministère de la culture sous Jack Lang.
Et elle n’est pas la seule à connaître ce genre d’ascension professionnelle grâce à ce tremplin que constitue l’intégration dans le champ des politiques culturelles en banlieue communiste.
Mais du coup une question se pose concernant ces militant-es issu-es des milieux populaires, est-ce qu’ils et elles sont passé-es dans l’autre camp ? Est-ce qu’ils et elles sont devenu-es des bourgeois comme les autres ?
On peut dire d’abord qu’il est incontestable qu’au moins au niveau local, vu qu’ils et elles sont devenu-es des prescripteurs culturels, ces militant-es font partie d’une sorte de bourgeoisie culturelle des banlieues rouges.
Mais, même si ils/elles ont pas mal de ressources culturelles, leur niveau de revenu n’est pas si élevé, et les gens qu’ils/elles fréquentent sont plutôt issues des classes moyennes culturelles (journalistes, instituteur-rices, professeur-es, etc.).
A part dans leur contexte professionnel, ils et elles ne côtoient donc pas vraiment la bourgeoisie culturelle.
Et même si leur profession leur a permis de s’affirmer et d’éprouver de moins en moins de sentiment de honte ou d’infériorité vis-à-vis des héritiers de la bourgeoisie culturelle, c’est quelque chose sur lequel ils/elles ont travaillé et travaillent encore.
Du coup si au niveau local ils/elles apparaissent clairement comme des membres des classes supérieures (avec ce pouvoir de prescription culturelle), au niveau national ils/elles sont plutôt à la frontière des classes moyennes et de la bourgeoisie culturelle.
Ces militants et militantes ont donc cette particularité qui fait qu’on peut dire qu’ils et elles appartiennent à une bourgeoisie spécifique : la « bourgeoisie rouge ».
Mais du coup, est-ce qu’étant donné ce profil particulier ils et elles ont pu faire bouger les choses dans le monde de la culture ?
On arrive donc à notre troisième et dernier point : oui du fait de leur socialisation particulière ils/elles ont un peu fait bouger les choses, même si ils/elles sont marqué-es par la hiérarchie entre « grand art » et art populaire.
Donc comme on l’a déjà dit leur socialisation les a amené à intégrer la hiérarchie culturelle bourgeoise, au point même que certain-es en viennent à détester leur héritage culturel populaire.
Du coup on peut pas dire qu’ils/elles portent une vision de la culture très subversive de ce point de vue. Mais leur bonne volonté culturelle fait aussi qu’ils/elles ont eu tendance tout au long de leur vie à essayer de combler leur lacunes.
Et ça va les amener à s’intéresser à des genres mineurs, comme le rock à une certaine époque, la bande-dessinée, ou plus récemment le rap (ou pour le dire dans des termes de l’époque : le hip-hop).
Du coup ils/elles vont aussi avoir tendance à sortir de cette hiérarchie culturelle bourgeoise et à se tourner vers des genres mineurs. Ils/elles vont développer une hiérarchie culturelle parallèle dans laquelle ce qui compte est d’apporter des choses nouvelles, d’être créatif.
Une perspective dans laquelle ce qui est dévalorisé est ce qui réplique ce qui a déjà été fait, ce qui n'invente rien.
Une perspective qui, on le remarquera, peut permettre valoriser des genres mineurs, illégitimes, tout en maintenant un mépris pour certaines formes populaires qu’ont retrouve dans ces mêmes genres.
On pourrait par exemple imaginer que dans le rap actuel ça reviendrait à valoriser un Damso (qui musicalement se distingue pas mal) contre un Jul par exemple.
Mais concrètement cette valorisation de la créativité, peu importe le genre artistique, va se retrouver dans tout un tas de politiques culturelles qui vont permettre à des lieux de cultures exclus du champ artistique de se développer.
Et ça, de fait, ça a fait un peu bouger les choses dans le monde de la culture.
P. Clech finit d’ailleurs son article en notant qu’il serait intéressant d’étudier le rôle important et méconnu de ces bastions communistes dans l’histoire de certaines genre artistiques mineurs comme l’art de rue ou le hip-hop.
D’abord concernant l’ascension sociale de ces militant-es communistes, ce qu’on peut dire c’est que contrairement à pas mal de cas étudiés où c’est le fait de fréquenter des milieux très diversifiés socialement qui permet la mobilité sociale....
(comme dans le cas des agents immobiliers) https://twitter.com/GregoireSimpson/status/1411340766341967880
ici on est sur quelque chose de plus précis et de plus rare probablement. On est sur des cas ou c’est un parti politique qui a permis, par sa politique culturelle, à des militant-es issues de milieux populaires de monter dans la hiérarchie sociale.
Et ça en donnant un sens politique à l’appropriation de la culture bourgeoise et en mettant en place des institutions pour que cette appropriation ait lieu.
Bien sûr ces militant-es ne partait pas de rien et leur socialisation familiale et scolaire ont joué un rôle dans leur rapport à la culture. Mais le parti communiste dans ces années à eu un rôle crucial dans leur formation culturelle puis dans leur carrière professionnelle
Mais du coup ce qui ressort aussi, du point de vue de la hiérarchie culturelle, c’est que ces transfuges de classes ont quand même hérités en grande partie des catégories de jugement bourgeois sur l’art.
Ils et elles n’ont pas été porteurs de visions véritablement subversive de la culture.
En revanche, du fait de leurs parcours atypiques, ils et elles ont été quand même été plus enclin-es à faire bouger les lignes de la légitimité culturelle.
Voilà c’est tout pour ce thread, comme d’habitude, je vous mets le lien vers l’article complet.
Vous verrez j’ai vachement élagué, vu que l’article était assez gros. https://docdro.id/GeR8N52
Vous verrez j’ai vachement élagué, vu que l’article était assez gros. https://docdro.id/GeR8N52