La question de la dépénalisation du cannabis voire des drogues dans leur ensemble revient souvent dans le débat public.
Je vous fait part de ma propre expérience, de ce dont je suis témoin en tant que magistrat.
Les dossiers liés aux stupéfiants occupent une part importante de l'activité pénale : pas une audience correctionnelle, de CRPC, de composition ou d'ordonnance pénale sans affaire de stupéfiants.
Du simple usage au gros trafic.
Les cabinets d'instruction ont aussi leur part.
Ce n'est pas un scoop : la consommation de drogues est très importante en France, on est même le champion européen au niveau du cannabis, devant des pays qui ont pourtant dépénalisé cette pratique, comme l'Espagne ou les Pays-Bas.
Le cannabis touche tout le monde : jeunes et moins jeunes, pauvres ou riches, il n'y a pas vraiment de différence notable.
Devant l'importance du nombre d'usager, la police comme la justice sont totalement démunies et incapables de réprimer efficacement.
Le gouvernement en a d'ailleurs pris acte il y a quelques mois en mettant en place le système d'amende forfaitaire : fumer un joint coûte aujourd'hui environ 200€ à régler immédiatement.
Ça simplifie le travail des policiers et allège aussi un peu les tribunaux.
Est-ce que cela fera diminuer le nombre d'usagers ? J'en doute fortement personnellement.
La perspective avant d'être interpellé, emmené au poste et poursuivi en justice ne dissuadait pas les fumeurs, en quoi une simple amende serait plus efficace ?
S'agissant des trafiquants, ceux qui vendent, là on a tous (magistrats et enquêteurs) le sentiment de vider l'océan avec une petite cuillère.
Il faut être réaliste : on n'a absolument pas les moyens de lutter.
Les enquêtes sont de + en + difficiles à mener et particulièrement
chronophages pour les enquêteurs (imaginez le temps que cela prend à obtenir des infos sur un trafic, opérer des surveillances, faire des filatures, éplucher des fadettes, écouter les conversations téléphoniques..).
Ce n'est un secret pour personne que policiers comme gendarmes souffrent du sous-effectif, qu'ils ne sont pas assez nombreux pour faire correctement leur travail.
Alors oui ils peuvent se mobiliser sur un dossier de trafic, y passer des heures et des heures, et obtenir un beau
résultat avec interpellations, saisies de stups et incarcération immédiate des trafiquants.
Tout le monde est content, on se félicite etc..
Sauf que les trafiquants interpellés sont immédiatement remplacés pour continuer le trafic.
L'activité est tellement rémunératrice que ce ne sont pas les candidats qui manquent, à tous les échelons.
Voire même il n'y a pas besoin de remplaçant : le trafiquant peut continuer son business de sa cellule de prison.
D'ailleurs, en parlant de la prison, je précise que la répression du trafic de stupéfiants est pour beaucoup dans la surpopulation carcérale.
Le mandat de dépôt est très souvent la règle en terme de répression. Les trafiquants de drogue l'ont très bien compris et intègrent
d'ailleurs le risque carcéral dans leur plan de développement. Ils savent qu'ils iront forcément en prison à un moment ou à un autre et prennent leur précaution à cet égard (argent caché, délégation de gestion, continuité du trafic etc..).
Depuis plus de 15 ans j'ai vu la législation se durcir (garde à vue de 96h..), les moyens d'enquête se muscler (écoutes, balises, infiltration..) mais hélas pour zéro résultat en terme de baisse des trafics.
Les nouvelles technologies (smartphone verrouillé etc..) compliquent
encore plus le travail d'enquête.
La demande est là, l'offre se multiplie.
Ayez aussi en tête que les drogues dures, héroïne/cocaïne, sont bien souvent consommées par des Monsieur tout le monde.
Non la cocaïne n'est plus l'apanage des stars du show-biz et l'héroïne celle des SDF.
Combien ais-je vu de travailleurs en consommer : agriculteurs, marins-pêcheurs, commerciaux, agent immobiliers..
Les prix ont fortement baissé et les drogues ont très souvent remplacé l'alcool comme prise de toxiques sur un lieu de travail.
On observe aussi une toxicité accrue des stupéfiants : le cannabis d'aujourd'hui est très concentré en THC, bcp plus qu'avant, c'est très inquiétant pour les usagers et notamment les jeunes.
Les trafiquants mettent un peu n'importe quoi dans les produits qu'ils vendent.
Je n'ai évidemment aucune solution miracle et c'est à la représentation nationale de décider d'un changement de législation.
J'observe simplement, de par mon expérience professionnelle, que ce que l'on fait depuis des années en France ne fonctionne pas.
Est-ce ce que la solution
passe par une dépénalisation voire même une légalisation ?
Ou faut il accentuer la répression pour gagner la guerre contre les trafiquants ?
Il faudrait, pour cette 2e option, se donner alors les moyens de ses ambitions et tripler a minima les effectifs de policiers /gendarmes.
Je n'exagère pas, l'ampleur du trafic de stupéfiants est telle aujourd'hui que les tentacules repoussent sitôt coupées, sans qu'on n'arrive jamais à remonter jusqu'aux têtes.
Le constat est partagé par tous les professionnels : la lutte contre les stupéfiants est aujourd'hui en situation d'échec.
Il faut changer les choses et surtout avoir une vraie conscience de l'importance du problème.
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