Audience correctionnelle, l& #39;ambiance est tendue. L& #39;escorte est en retard : les victimes sont déjà installées sur le banc qui leur est réservé, leur visage est tendu. Je suis déjà à la place du ministère public. Des bruits de porte, des éclats de voix : Martial arrive.
Il rentre dans la salle d& #39;audience & lance 1 bonjour à la cantonnade. Je fais signe de la tête à l& #39;escorte de le faire avancer jusqu& #39;à la barre et demande à ce qu& #39;il soit désentravé. A l& #39;époque les transfèrements en vue des audiences relevaient encore des missions des gendarmes.
Je les sens prêts à réagir très rapidement et 1 fois les menottes retirées, ils restent très près de Martial. J& #39;indique à mes collègues du siège qui attendaient à l& #39;arrière de la salle que le prévenu est arrivé.
"Le Tribunal !!"
L& #39;audience peut commencer.
"Le Tribunal !!"
L& #39;audience peut commencer.
Le président vérifie l& #39;identité de Martial. Il a la trentaine mais est très marqué par des années d& #39;excès en tous genres, d& #39;alcool, de drogues. On ne parle pas là de cannabis mais d& #39;héroïne, à laquelle Martial n& #39;a jamais totalement réussi à décrocher. Oh il y a eu des périodes
d& #39;abstinence ou plutôt de prise de produits de substitution mais le Subutex a chaque fois été abandonné, Martial revenant de rechute en rechute à ses vieux démons. En + du poison qu& #39;il s& #39;injecte, il boit, beaucoup, et fume des joints. Son aspect en témoigne : il ne va pas bien.
Des yeux caves, des traits émaciés, des dents très abîmées, la silhouette flottant dans 1 pull & 1 vieux jean, Martial accuse 10 à 15 ans de + que son âge. Son visage est perpétuellement barré d& #39;1 rictus inquiétant & une lueur indéfinissable dans son regard vous met mal à l& #39;aise.
Ses mains squelettiques enserrent fermement la barre des prévenus : on le sent tendu. Il répond d& #39;1 voix sèche, parfois teintée de défi,aux questions d& #39;abord formelles du président. Celui ci est 1 vieux routard de l& #39;audience...Il sent Martial prêt à tenter de prendre le contrôle.
Il le prie fermement de garder le silence dans 1 1er temps, alors qu& #39;il demande aux victimes si elles entendent se constituer parties civiles. Leur avocat se lève & égrène la longue liste de ses clients qui entendent exercer ce droit... La principale victime n& #39;est pas là.
Elle a le soir des faits perdu la vie, quelque part entre le pare-brise de Martial & le bitume sur lequel elle est venue s& #39;écraser. Adam avait 23 ans. Le président indique qu& #39;il va tout d& #39;abord résumer la procédure : Martial s& #39;agite, jette des coups d& #39;oeil de bête traquée
en tous sens. Mon collègue sent la tension qui émane de lui et l& #39;invite à s& #39;asseoir pendant son exposé. Le prévenu recule de 2 pas et s& #39;avachit sur le banc derrière lui, avant de s& #39;abîmer dans la contemplation d& #39;1 trou qui orne sa manche. Il semble ailleurs, peu concerné soudain.
Un soir d& #39;hiver, Adam comme 3 soirs par semaine sillonnait la ville sur son scooter : pour financer ses études de commerce il livrait des pizzas, à temps partiel. Il empruntait la grande avenue qui passe devant la gare et notamment l& #39;un des nombreux ronds points visant à forcer
les usagers de la route à réduire leur vitesse. Aller vite à cet endroit est tentant : une route toute droite, dégagée, à plusieurs voies... Adam est plutôt du genre prudent : à dire vrai le 2 roues ce n& #39;est pas tellement son truc mais sa famille est modeste, et les études, son
appart en ville, ça coûte cher, alors...Il est dans un rond point qu& #39;il contourne, sur la bonne voie au vu de son itinéraire quand soudain...Le choc, d& #39;1 grande violence. Adam vient heurter le pare-brise du véhicule qui vient de le percuter, puis le sol, au milieu des miettes de
son scooter. Cette avenue dispose d& #39;une vidéo surveillance : comme souvent, le quartier de la gare est propice aux infractions en tous genres. On voit donc parfaitement sur la vidéo Martial descendre de son véhicule, s& #39;approcher d& #39;Adam qui gît au sol... Et remonter au volant,
avant de partir. Il quitte les lieux en faisant 1 écart pour éviter le 2 roues qui encombre la voie ainsi que le corps de sa victime. Il est assez tard mais cette voie est fréquentée : quelques instants + tard,1 autre véhicule pile brutalement,son conducteur appelera les secours.
Il est trop tard pour Adam. Les services de police remontent très vite à Martial : son véhicule dont on voit la plaque sur la vidéo n& #39;est pas à son nom mais quelques investigations et trois jours plus tard, tôt le matin, il est interpellé à son domicile. 3 jours + tard...
Trop tard donc pour déterminer s& #39;il était sous l& #39;empire d& #39;alcool et/ou de stupéfiants au moment des faits. Martial nie dans 1 premier temps, mais mis face à la vidéo où il est parfaitement reconnaissable, il est bien forcé d& #39;admettre du bout des lèvres que "ouais, il a déconné".
Bien sûr dit n& #39;avoir pas bu, ni consommé de drogues, il a juste eu peur en voyant la victime : il n& #39;a pas le permis et est sorti de prison il n& #39;y a pas longtemps. Il n& #39;a pas le droit de conduire, & il vient de finir de purger sa peine...Il a craint d& #39;être de nouveau incarcéré.
1 information judiciaire est ouverte, pour homicide involontaire aggravé par le délit de fuite et l& #39;état d& #39;annulation du permis de conduire de Martial au moment des faits. L& #39;instruction permettra d& #39;établir 1 vitesse largement excessive, imprudente,
1 consommation de drogues chronique évaluée à partir de l& #39;analyse de ses cheveux...Des antécédents de vol, d& #39;infractions routières, pour lesquels il a été plusieurs fois été condamné à de la prison, mais sans que ces peines ne parviennent à l& #39;éloigner de la délinquance.
Il a aussi écopé de plusieurs obligations de soins, afin qu& #39;il bénéficie de suivis après ses incarcérations : en vain... Martial essaye et rechute, à chaque fois, englué dans son addiction. Son comportement au cours de l& #39;instruction rend difficile d& #39;avoir de l& #39;empathie pour lui.
Il se plaint beaucoup Martial, et parle peu de la victime. Des années à s& #39;embrumer le cerveau l& #39;ont perturbé, il a des coups de colère incontrôlables y compris devant le juge d& #39;instruction & devant le tribunal aujourd& #39;hui : voilà Martial bondissant de son banc pour protester
lorsque le president parle de sa vitesse ce soir-là, évaluée à près du double de la limite autorisée. Il est comme obnubilé par ce détail, il crie & s& #39;insurge, à tel point qu& #39;il est menacé d& #39;expulsion de la salle. Il se rasseoit et boude. Il ne répondra plus que par monosyllabes.