🛑Nouveau #Thread - ⚠️tristesse !
Aujourd’hui je reçois Eliot dans mon bureau. Je sais déjà que les lignes que nous allons coucher sur ces feuilles de papier vont témoigner d’une histoire horrible. Horrible mais réelle.
Le planton le conduit à mon bureau et dès son arrivée, je vois qu’il ne pourra signer son audition. Ses mains sont recouvertes de bandages épais qui laissent échapper une désagréable odeur de biafine. Me revoir ne l’emplît pas de joie. C’est même plutôt l’inverse.
Aussitôt nos regards se croisent que ses yeux rougissent avant de laisser échapper quelques larmes. Eliot est entendu en qualité de témoin. Il a assisté à l’horreur et l’enquête exige qu’il relate les moindres détails de cette scène qu’il aurait préféré ne jamais vivre.
« Entrez, asseyez-vous ».

C’était samedi dernier. Eliot travaille à l’usine et son rythme de travail est épuisant. Il fait les 3 huit et son job consiste à surveiller une chaîne d’assemblage dans l’aéronautique. Ce n’est pas que ça le passionne mais ça paye pas si mal
et du haut de ses 22 ans, c’est son premier taf. Il n’a jamais songé à chercher un autre emploi et puis ses collègues sont devenus ses amis. La bonne ambiance lui fait oublier le côté routinier de la tâche. L’immense horloge du hangar affiche 4h du matin.
C’est l’heure de la débauche. Le samedi soir, ou plutôt le dimanche matin, le casse-croûte est de coutume. Sandwichs rillettes et saucisson accompagnés d’un verre de rouge. Pas pour Eliot. Il est trop crevé.
Tout comme Jordan, son binôme de chaîne avec qui il a tissé des liens d’amitié étroits. Ce soir ils abrègent et quittent l’usine en même temps après avoir tiré quelques taffes sur leurs cigarettes. Ils aiment bien partager ce moment de calme
au sortir du vacarme incessant des machines, du raffut des robots. Le jour va bientôt se lever quand chacun monte dans sa voiture. Eliot et Jordan n’habitent pas la même ville mais ils ont un bout de trajet en commun.
Une grosse 1/2 heure à se suivre au cours de laquelle les yeux d’Eliot fixent instinctivement les feux rouges écarlate de la voiture de Jordan. Hypnotisant. Les kilomètres défilent moins vite que ces lignes blanches entrecoupées qui, au sol, indiquent la limite à ne pas franchir.
Les platanes centenaires qui bordent la route rappellent à Eliot le danger de cette départementale qui arbore de temps à autre des bouquets de fleurs fanées qui suggèrent des deuils. Sa lucidité lui permet de tenir, de ne pas s’endormir.
Ce n’est pas le cas de Jordan qui n’a plus la force de retenir ses paupières. Elles se ferment un instant. Un instant de trop. Et il y consent. Comme si cette seconde d’égarement allait lui permettre d’acquérir le repos nécessaire pour finir ce long chemin qui le conduit
jusqu’à sa maison où l’attendent, paisiblement endormis, femme et enfant. C’est une seconde de trop où la voiture de Jordan dévie dangereusement sur la gauche devant les yeux stupéfaits d’Eliot. Heureusement, aucun véhicule n’arrive en face !
Mais le coup de volant que donne Jordan en sursaut lui fait définitivement perdre le contrôle. La voiture oscille de gauche à droite, de droite à gauche, vacille. Jordan tente de rattraper jouant de son volant comme un marin tente de redresser sa barre. En vain.
Il percute un platane de plein fouet et la voiture part en tonneaux. Un, puis deux, sous le regard médusé de son ami qui stoppe son auto sur cette route de campagne déserte. Dans cette nuit noire, les warning et les phares de sa berline contribuent à l’atmosphère de détresse.
Eliot se précipite vers l’amas de taules froissées qui abrite son ami. Il court et ses pas résonnent en lui d’autant plus qu’il retient son souffle. Ces quelques dizaines de mètres qui le séparent de la carcasse lui laissent pourtant le temps d’espérer.
« Pourvu qu’il s’en sorte, pourvu qu’il s’en sorte, pourvu... ». Le choc a été d’une violence inouïe mais Jordan est miraculeusement conscient. Il se veut rassurant, dit qu’il va bien. Pourtant, les débris de verre, la déformation impressionnante de l’habitacle et le sang qui
s’écoule de son cuir chevelu le contredise. Eliot s’empare de son téléphone portable et compose le 15. La musique d’attente l’agace au plus haut point quand le régulateur décroche. Il parvient à communiquer la position de l’accident avec précision quand soudain,
des flammes s’invitent à cette scène qui ne demandait pas plus de surprises. Elles s’échappent du moteur et le vent ne fait qu’attiser leur haine sous les yeux horrifiés des deux amis. Eliot lâche son téléphone qui s’écrase sur l’asphalte.
Il faut extraire Jordan de l’habitacle au plus vite. Le sauver ou le laisser périr. La question ne se pose pas. L’embrasement d’une voiture est tellement rare qu’Eliot en vient à se demander s’il ne s’agit pas d’un mauvais film, d’un cauchemar.
Un cauchemar qu’aucun réveil ne peut interrompre. La voiture est si abîmée qu’aucune de ses portes ne s’ouvre. Eliot panique. Il appelle à l’aide mais personne ne l’entend. Il ne parvient pas à trouver une issue. Toutes ses forces ne suffisent pas à faire ouvrir cette portière.
Il hurle aussi fort que les flammes gagnent l’habitable. Les cris de douleur de son ami le rendent fou de rage. Sous ses yeux impuissants, Jordan se fait dévorer par le feu qui n’a aucune pitié.
L’acier devient si brûlant que la peau des mains acharnées d’Eliot reste collée sur la carrosserie. Ses sourcils brûlent comme une partie de sa chevelure laissant cette odeur si particulière se mêler à celle de la mort.
Il n’a d’autre choix que d’abandonner sauf celui de mourrir aussi. Il ne peut que regarder, subir à distance, à genoux sur le bitume, les deux mains sur la tête hurlant avec une puissance extrême son désarroi et sa peine. Il pleure toutes les larmes de son corps.
Il ne ressent même pas la douleur de ses mains qui commencent à cloquer. Ses cris laissent place aux râles quand les derniers éclats de voix de son ami cessent sous le crépitement du brasier. Jordan meurt dans la plus extrême des douleurs.
Carbonisé vif avant que les secours arrivent. A l’arrivée de ma patrouille, il ne reste de Jordan qu’une silhouette noircie semblant à une momie. Eliot n’a pas bougé. Il refuse d’être approché. Il se tient toujours dans cette position d’un homme prêt à être interpellé.
A genoux, les mains croisées sur le crâne, les yeux rivés sur l’épave fumante. Sans doute le poids de la culpabilité. « Je n’ai pas réussi à le sauver ». Telle sera la dernière phrase de l’audition d’Eliot. Ce sera aussi celle qui va le hanter jusqu’à son dernier souffle.
Il est des situations dans lesquelles je sais qu’aucun mot, si réconfortant qu’il soit, ne pourra soulager la peine. J’ai raccompagné Eliot jusqu’au portail de la brigade dans un silence pesant. Je n’ai su faire mieux.
Sa jeune épouse l’attendait sur le parking au volant de sa voiture. J’ai vu dans ses yeux qu’elle avait perdu son mari au profit d’une enveloppe sans âme. Anéantie
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