Jeudi, s'achèveront six mois de cours et TD en visio. Une expérience frustrante qui simule numériquement la co-présence en privant l'enseignant de ce qui fait le sel de sa relation aux apprenants (élèves / étudiants) :
-la conscience de vivre une expérience sociale collective ;
-la spontanéité des interactions suscitées par un évènement : être ensemble en un lieu unique vers lequel on s’est déplacé, et partager un moment d'intelligence collective (la salle de classe et l'heure de cours) ;
-la perception, par l'enseignant, d'un groupe à l’identité singulière, constitué de visages mélangés, et non de solitudes additionnées et emprisonnées dans des cadres numériques souvent dépourvus d'images et d'identités ;
-l’art du professeur d'initier des apprentissages de groupe fondés sur les réactions de chacun, et les réactions perçues par tous (comment percevoir les réactions des autres en visio quand la majorité des caméras est coupée ?) ;
-la possibilité, chez l'enseignant, de détecter immédiatement un fléchissement de l'attention ou une incompréhension muette dans le langage corporel de celui qui écoute.

J'en oublie, sans doute...
La visio à outrance sur une journée :
-aliène des individus déjà captifs des écrans ;
-fatigue des individus seuls, enfermés dans des espaces réduits, sans possibilité de faire dériver leur attention ou de "respirer", comme la forme scolaire traditionnelle le permet souvent
(papotage avec le voisin, coupure bienvenue de l'interclasse, déambulation dans les couloirs où une sociabilité peut se déployer le temps de quelques minutes) ;
-conduit à une saturation cognitive en fin de journée (les étudiants en savent quelque chose) ;
-conduit, dès lors, à des formes de décrochage que nous avons tous expérimentées : simuler l'écoute silencieuse mais faire autre chose à côté, dans l'angle mort d’une caméra coupée
ou en renvoyant une image de concentration à celui qui parle, ce dernier ne sachant pas si cette image est sincère ou si elle feint l'intérêt (mais cette remarque vaut aussi pour les cours en présence
!) ;
-rend invasif un temps scolaire ou de formation importé par l’ordinateur ou la tablette au sein d’espaces domestiques parfois contraints (celui qui apprend n’a pas forcément un lieu à soi pour travailler) et dans lesquels d’autres rythmes peuvent interférer ;
-ne garantit pas l'égalité d'apprentissage de tous les élèves et étudiants (ceux qui n'ont pas de matériel adéquat, une connexion robuste, un espace de travail), ce qui pousse très souvent l'enseignant ou le formateur à prévoir des solutions de repli.
La visio peut être utile sur des temps courts et à des moments bien choisis. Par exemple, pour :
-garder le contact et entretenir une dynamique de groupe à travers les écrans (PP, formateur) ;
-présenter une activité de manière solennelle avant un travail autonome ;
-montrer ;
-conduire des travaux de groupe (le travail en groupes autonomes est, parfois, plus réussi sur Zoom que dans une salle de classe) ;
-institutionnaliser notions et connaissances au terme d'un apprentissage asynchrone, puis répondre aux questions éventuelles.
J’en passe.
Ces quelques remarques hâtives ont été inspirées par la promotion disproportionnée de la visio (parfois sincère, parfois emprunte de suspicion à l'endroit d'enseignants perçus comme dilettantes) chez quelques usagers de ce réseau, ces derniers temps...
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