Pour clore le débat gallo/breton qui s'est développé suite à une affiche, et qui j'avoue a suscité bcp plus de réactions que je ne l'aurais pensé, je suis quand même allé lire ce qui se faisait niveau recherche/thèse et je vais vous globalement répondre à tout ce qui a été dit.
Tout est parti d'un tweet sur un affiche en breton à Fougères, où je rappelais que cette ville se situe dans une aire linguistique qui appartient à une autre langue régionale, bretonne elle aussi, le gallo. Déjà, je constate (comme à chaque fois) que cette langue est méconnue.
Il se trouve que mon argument, c'est de dire qu'il y a une confusion entre la région Bretagne et la langue bretonne, alors qu'historiquement, la Haute-Bretagne est de langue gallèse. Alors oui y'a dû avoir quelques bretonnants ici et là, l'inverse étant vrai aussi.
On m'a traité de méprisant, d'ignare, ou encore de faire le jeu de la division. Ces critiques émanaient essentiellement de bretonnants, car qu'on se le dise, je pense que les non-bretons et non-patoisants s'en branlent de cet enjeu.
Il se trouve que le breton est largement favorisé, y compris en territoire gallo où ce dernier peine à exister. D'ailleurs, le Conseil culturel breton notait le lui-même en 2015.
D'où tous les panneaux bretons à Fougères vs. un seul en gallo (à l'entrée de la ville vers McDo)
Et encore, ce panneau est récent et y'en aura peut-être de nouveaux avec le temps. Je fais pas le tour de la ville pour faire mon recensement, mais j'ai l'impression que ça bouge un peu de ce côté.
Comme le note Diaz dans une thèse sur le sujet, il existe "une forte asymétrie nettement en faveur des Bas-Bretons et du breton, tandis que les Hauts-Bretons et le gallo sont souvent ignorés, voire font l’objet d’un franc mépris."
Ainsi, la quasi exclusivité des programmes télés en langue reg. sont en breton. Le conseil culturel de Bretagne notait en 2015 "[qu']il n'existait pas de programme télévisuel régulier en gallo". Il note dans son rapport que la télé publique n'en a jamais proposé.
La seule émission en gallo a été diffusée sur Armor TV, une chaine locale. Une seule radio associative en diffuse, et c'est la seule à être soutenue par des fonds publics (Plum'TV).
Comme le note encore Diaz, "le gallo fait l’objet d’une faible mobilisation et ses locuteurs obtiennent peu de moyens susceptibles d’aider à inverser le mouvement de déclin."
On note aussi dans sa thèse qu'il y a "une survalorisation de la Basse-Bretagne dans les discours sur l’identité bretonne face à une Haute-Bretagne fréquemment occultée. "
Et c'est un fait que l'on constate partout en Haute-Bretagne, et ce n'est pas être méprisant ni insultant que de le rappeler. Oui, les frontières linguistiques bougent, oui la frontière a historiquement reculé notamment au moyen-âge.
Mais cet argument est utilisé pour défendre la percée bretonne en terre gallo comme il le pourrait pour défendre aujourd'hui n'importe quelle politique linguistique coloniale ou impérialiste. Il l'est à Chypre par les turcs, par exemple, qui sont passés de 20% à 33% en 50 ans.
(la frontière fixée a été au désavantage des grecs, et désormais le nord est colonisé par la Turquie qui base ses revendications politiques sur la répartition démographique, c'est l'un des gros points de clivage actuellement à Chypre)
Par ailleurs, je n'ai jamais défendu l'interdiction du breton en pays gallo, loin de là. Je suis pour que le gallo et le breton soient co-officielles à égalité de la région Bretagne. Il me semble néanmoins normal de privilégier la langue historique locale qui est encore parlée.
Diaz encore : "La frontière est source de tensions au sein du mouvement de revitalisation des langues de Bretagne, qu’on la considère obsolète ou que l’on souhaite s’appuyer sur elle pour faire respecter un territoire et revendiquer des droits linguistiques."
En gros, une part des bretonnants s'appuient sur les frontières administratives actuelles comme une aire linguistique potentiellement à (re)conquérir. Cela s'appuie parfois d'ailleurs sur une méconnaissance de l'histoire régionale.
D'où ce que j'ai déjà énoncé : le gallo doit lutter contre le français et le breton bien souvent. C'est un fait sociolinguistiquement constaté, avec une subtilité qui est la faible indépendance vis-à-vis du français.
Le gallo, ce serait du mauvais français de paysan.
La question des panneaux de commune est un enjeu de légitimité, par exemple. Diaz note dans sa thèse qu'il existe "un sentiment d'envahissement" en pays gallo concernant la traduction des noms de commune en breton.
En Basse-Bretagne, cette question ne fait pas l'unanimité.
On trouve quand même des bas-bretons pour défendre les panneaux bretons en pays gallo au motif que le gallo ne s'écrirait pas et que quand même, c'est la Bretagne.
Mais certains bas-bretons dénoncent ces panneaux, au motif que ce serait néocolonial. (Diaz toujours)
Il y a régulièrement des mobilisations gallèses pour des panneaux en gallo en Haute-Bretagne.
On note aussi qu'à l'inverse, personne ne défendrait les panneaux gallo en pays bretonnant. "cette question suscite la colère" note même Diaz.
Elle rapporte également le point de vue des défenseurs du gallo qui ont l'impression que leurs efforts sont contrecarrés par les bretonnants sur cette question.
Le gallo étant quasi absent de l'espace public, il joue gros sur cette question, plus que le breton.
Bref, je sors pas tout ça de mon chapeau. A vrai dire, comment beaucoup, j'ai longtemps ignoré que le gallo était une langue régionale de Bretagne. Pourtant, il y a autant de locuteurs du gallo que du breton aujourd'hui.
Puis, je suis tombé sur des gallésants.
Quand on me dit que je fais le jeu de la division, j'ai quand même envie de rappeler que cette division, c'est surtout le pays gallo qui en pâtit et il ne demande qu'à être intégré dans le processus de défense et de revitalisation.
Les choses s'arrangent avec le temps, mais c'est pas gagné. Je l'ai notamment vu en moyens accordés à la défense de la langue, quand on m'avait approché pour faire une vidéo dessus.
Mais je ne désespère pas.
D'ailleurs, j'ai toujours comme projet de dédier des vidéos au breton et au gallo. Mais je vois bien, dans les budgets et projets proposés, par laquelle des deux langues on devra commencer si ça se fait 😋
Je rajoute ici que : au vu de certaines réponses, j'invite les bretonnants et gallésants à discuter entre eux car ils vivent une idée de leur région somme toute différente. On le voit bien dans les subtweets du thread.
Vu ce que ça inspire, ya du boulot : https://twitter.com/oOBaNOo/status/1386390293881102336?s=19
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