C’est quoi de la “bonne” représentation ?
Réflexions multiples sur « l’horreur noire ». ⬇️
Les films d’horreur avec des acteurices noirs ne datent pas d’hier.
Aimable rappel que le personnage principal du premier film de zombies moderne est une homme noir....
(Le documentaire Horror noire: A history of black horror en parle d’ailleurs en détail.)
Si ce film a un commentaire sur le racisme extrêmement fort, il est aussi en partie accidentel. (Le rôle de Ben n’avait pas été écrit pour un homme noir, Duane Jones a été pris parce qu’il était un excellent acteur.)
Depuis, d’autres films ont voulu parler de racisme et de “l’expérience noire” à travers l’horreur, je pense notamment à Tales from the Hood, The People Under The Stairs, et beaucoup d’autres (again regardez Horror noire...)
Et puis Get Out de Jordan Peel et son succès *massif* est arrivé.
(Get Out qui est un film d’horreur et non une comédie contrairement à ce que pense certaines personnes blanches..........)
Si Us a également participé à installer Jordan Peele en maître de l’horreur, c’est dans le sillon de Get Out que l’on a vu fleurir plein de films et séries d’”horreur noire” sur le marché...

Qui se sont fait absolument incendier par les critiques noires, souvent à raison.
Et récemment Them pour son trauma porn dégueulasse. https://twitter.com/inspectornerd/status/1380346268904353792?s=21
Même Lovecraft Country, qui a pourtant connu un succès d’audience et critique, a été critiqué pour sa violence envers ses personnages queer et son colorisme.
La question de la représentation de l’expérience noire et de la violence subie par les personnages revient souvent dans ces critiques.
Et ça me fait me poser des questions sur ce qu’est une bonne représentation. Un bon film d’horreur noire.
D’autant plus quand le genre de l’horreur est par définition encré dans la peur et la souffrance.
Perso je suis fan d’horreur.
Mes films d’horreur favoris avec des heroines noires sont : First Born (2016), The girl with all the gifts, et Sweetheart (2019).
Ce ne sont pas les seuls films d’horreur que j’ai vu avec des héroïnes noires. Ce ne sont d’ailleurs même pas les seuls films d’horreur que j’ai aimé avec des héroïnes noires. (Genre j’ai passé un moment incroyable devant Us, c’était magnifique et terrifiant.)
Les raisons pour lesquelles ce sont mes films avec des héroïnes noires favoris sont 1) qu’il parlent à mes centres d’intérêt et 2) délivrent des messages qui me plaisent.

-First Born parle de ce que c’est que d’être mère dans une famille hétérosexuelle.
-The girl with all the gifts pose toutes les questions que j’ai toujours voulu que les films de zombies explorent.

-Et Sweetheart a un monstre sexy (dont get too excited my teratophile friends) et un propos maîtrisé sur la manière dont on ignore la parole des femmes noires.
Evident non ? Si j’aime un film c’est parce que je m’y retrouve et qu’il touche à des sujets qui me parlent.
Et pourtant...
L’espace qui nous est alloué en tant que femmes noires dans l’horreur est tellement mince que trouver un film avec une héroïne noire est déjà proche du miracle, et quand c’est le cas........ C’est souvent du trauma porn. https://themighty.com/2020/10/trauma-porn/
Le problème du trauma porn n’est pas uniquement que les femmes noires souffrent à l’écran.
(Dans les films dont j’ai parlé aucune des héroïnes ne passe un bon moment, au réel.)
D’ailleurs toutes les histoires où des femmes noires souffrent ne sont pas du trauma porn.
En plus je pense qu’on a toustes nos sensibilités concernant les violences qu’on peut voir à l’écran. Perso, je ne regarde pas de true crime par exemple, ni de films d’horreur “réalistes” avec des assassins etc...
(Par contre je peux tolérer des niveaux de gore assez extrêmes une fois ce filtre de la fiction établi, big up à mes fellow fans de Cronenberg)
Pareil je pense sincèrement que pour certaines personnes voir un personnage souffrir puis survivre, voire prospérer, peut-être cathartique, ou rassurant.
Le problème est quand notre seul droit d’exister dans les médias est à travers cette souffrance basée sur notre race. Car le trauma porn ne nous permet aucune individualité, aucune échappatoire, ni d’explorer autre chose dans notre horreur que le fait que l’on subisse du racisme.
Cet écrasement de nos complexités en tant que personnes noires, c’est ce qui se passe quand l’industrie est majoritairement faite par et pour des personnes blanches.
On se retrouve avec une représentation qui plus que bonne ou mauvaise est extrêmement limitée.
Malheureusement, je trouve que trop souvent la question de comment se sortir de ce bourbier se pose avec cette dichotomie: Les “réalisateurices pas noir.e.s vont forcément faire de la merde” et “les réalisateurices noir.e.s vont faire des trucs géniaux”.
(Ou pire, Jordan Peele va tous nous sauver...)
Ça ignore plusieurs problèmes:

Un c’est purement et simplement faux.
Candyman est considéré un monument de l’horreur noir et pourtant le réal est blanc.
(Il se peut que ce soit par ce que toute la planète ai été charmée par Tony Todd, ce que je comprends.)
Du coup la question n’est pas “est-ce que les blanc.he.s peuvent faire un films qui nous parlent ?”
Parce que la réponse est oui.
En revanche...
Le vrai problème est qu’iels ne devraient pas avoir le pouvoir de raconter nos histoires, modeler nos imaginaires et ensuite prendre notre fric. Parce que ce n’est jamais qu’un aspect supplémentaire de notre exploitation.
Je ne veux pas, je ne veux plus, expliquer en long en large et en travers à des blanc.he.s en quoi leurs contenus sont problématiques, pour qu’au final iels puissent sortir des oeuvres qui leur feront gagner du prestige et de l’argent sans nous payer et sans nous mettre en valeur
Du coup, même si la logique derrière est différente, le résultat, à savoir la décision consciente d’investir dans des réalisateurices noir.e.s demeure.
Mais il faut garder à l’esprit que Hollywood reste très, très blanc dans sa vision du monde.
Et que les scénaristes et réalisateurices qui vont réussir dans ce système, à quelques rares exceptions près, seront celleux qui correspondront au profil que les producteurs veulent.
A partir de là on peut, je pense, être moins surpris.e.s de la qualité très inégale des films d’horreur noire qui sortent en ce moment. Et aussi moins surpris.e.s ou déçu.e.s que certains de ces médias soient créés par des personnes noires.
On vit toustes dans un système capitaliste, raciste et blanchiarcale qui nous amène à prendre volontairement ou non des décisions pour notre survie et notre bien être qui sont pas forcément les meilleurs décisions morales...
Je pense aussi qu’on peut ainsi peut-être plus apprécier le fait que bien que ce ne soit pas forcément qualitatif (ou en tout cas de mon point de vue parce qu’il y a des personnes noires qui ont aimé Bad Hair ) on a de plus en plus de choix.
Car autant que je haïsse Lovecraft Country, pour ses défauts, c’est une série avec un cast quasi entièrement noir, une showrunneuse noire, des scénaristes noir.e.s et qui a créé autant de joie que de réflexions et de conversations dans nos communautés.
Et qui, comme le dit Melina dans sa vidéo, était très ambitieux dans ce qu’il a tenté de montrer.
Parce qu’au final je pense que « qu’est-ce qu’une bonne représentation ? » est une fausse question.
Ce qu’une femme noire hétérosexuelle de Brooklyn va considérer comme de la bonne représentation ne sera pas forcément ce que moi noire française et pan vais apprécier.
Et même sans ça, nous n’avons pas toustes le même rapport aux médias, particulièrement aux films d’horreur. On ne va pas attendre la même chose d’un film si on le regarde pour être diverti, retourné, vu, ou instruit.
Je pense que ce dont nous avons besoin moins que de “bonne” ou de “mauvaises” représentation, c’est de diversité dans notre horreur.
Une diversité de voix, de thèmes, d’identités représentées etc...
(C’est d’ailleurs pour ça que je ne veux pas que l’on se repose uniquement sur les épaules de Jordan Peele.)
Or la création de cette diversité n’est à mon sens possible que si l’on s’éloigne du regard blanc.
(Ce qui se fait déjà d’ailleurs, de divers manières.)
Dans le genre, His House de Remi Weekes m’avait agréablement surpris.
Au trailer j’avais cru que le film parlerait du rapport entre les réfugiés Africains et les pays d’Europe. Que, comme dans Get Out, l’horreur serait une métaphore du racisme.

Et en fait non.
Ce film est entièrement sur l’exploration de la survivor guilt des réfugiés.
On est loin du trauma porn parce que d’une certaine manière les blancs ne sont même pas là dans cette histoire, et il n’y a pas de scènes de violences détaillées comme on pourrait aussi s’y attendre.
Évidemment le racisme, la violence des institutions, le rejet et comment s’y adapter son touchés du doigt, parce que ça fait partie de la vie des personnages. Mais ce qui importe c’est LEURS passés, leurs vies, leurs traumatismes et sentiments profonds en dehors de ça.
Ceux sont eux le sujet central.
C’est ça aussi qui me plait tant dans mes films d’horreur fav avec des femmes noires. Les films sont à propos d’elles.
Pas seulement d’elles en tant que femmes noires vivant du racisme mais d’elles en tant que jeunes mères débordées, en tant qu’enfant brillantes, en tant qu’héroïnes déterminées à survivre.
C’est pour ça aussi que j’ai écrit Evelyn’s Home et A la montée des eaux.
Mais ce sont avant tout des histoires de femmes noires qui me parlent.
Je voulais des histoires avec une femme noire saphiques au centre. Des histoires qui explorent mes propres intérêts.
Des histoires qui sans ignorer le racisme (voire où c’est parfois un point centrale de l’histoire) ne seront jamais faites ni pour plaire, ni pour horrifier ou choquer les blancs...

Le tout avec une dose non négligeables de body horror.
Comme je ne trouvais pas ces histoires je les ai écrites... Mais évidemment je suis toujours intéressée par plus d’horreur noire donc si vous en avez à recommander n’hésitez pas ! 💕
Je pense d’ailleurs qu’un truc qu’on peut faire c’est donner un peu de l’énergie qu’on dépense à clash des séries et films mainstream populaires que l’on déteste, à chercher, regarder et parler de trucs moins connus mais qui nous plaisent plus.
(D’où tous les titres de début de thread et cette liste)

https://www.imdb.com/list/ls026144400/
Parce que l’horreur noire n’est pas que Them ou Antebellum, n’est pas que des noir.e.s qui revivent éternellement les traumatismes de leurs ancêtres, n’est pas non plus que des gros studios hollywoodiens.
L’horreur est un medium puissant qui nous appartient tout autant qu’aux blanc.he.s et que nous investissons déjà avec brio pour raconter nos propres histoires.

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