Oui, on le savait.

Même en tant que mec avec globalement zéro chance de subir quelque chose de sa part, je le savais.

Pas tout. Beaucoup de choses dans l'article que je ne savais pas. Mais est-ce que je suis étonné, au final ?

Non. https://twitter.com/ellensalvi/status/1384916796654882819
Comme tout le monde, j'ai prévenu des autrices aspirantes et confirmées, en off. On en parlait avant le speed-dating des Imaginales, on en discutait en salons.

On avait un peu honte de ne rien faire de plus.

On le savait. Les mecs aussi.
L'excuse "olala je tombe des nues" ne marche pour personne dans le milieu SFFF.

Mais avant cet article, personne n'a rien dit. Par lâcheté, peut-être. Par égoïsme, pour ne pas se griller (Bragelonne est le graal de beaucoup d'auteurs et d'autrices).

Mais surtout par peur.
Pas forcément peur de perdre sa chance ou ses bonnes relations directement avec Bragelonne. Mais parce que le milieu SFFF est petit, étriqué et, franchement, un peu consanguin.

Parce que s'attaquer à Goliath peut signifier avoir à affronter ensuite une armée entière.
Tout le monde se connaît. Quand on se balade aux Utopiales ou aux Imaginales depuis plusieurs années, on reconnaît au moins 50% des gens qu'on croise.

Et on ne sait pas tout à fait qui est pote avec qui, et surtout jusqu'à quel point.
On ne sait pas si s'attaquer vraiment à un ponte, invité dans tous les salons, toutes les remises de prix, tous les cafés littéraires du milieu, ne nous blacklistera pas automatiquement.

Je l'ai vu faire, pour des raisons bien moins graves, par certains festivals.
Vous voyez les menaces dont parle l'article, où les autrices craignent d'être blacklistées partout si elles remuent trop la vase ? Il n'est pas le seul à les avoir utilisées.

J'ai vu des auteurs et autrices ne plus être invités ici ou là pour avoir gueulé trop fort.
Le milieu SFFF est rempli de gens qui s'apprécient, se connaissent... et se protègent.

Quand un auteur est publiquement blacklisté pour avoir dit trop fort qu'un festival ne rémunérait pas les auteurs comme il le devrait, qui a pris sa défense?
Quand une autrice nous raconte avoir subi des avances et des vannes lourdes, qui est allé confronter le fautif ?

Personne, ou presque.

Parce qu'on a peur. La carrière littéraire est fragile, et dans la SFFF plus encore. Tu es banni de deux ou trois festivals, ta tête ne revient
pas au patron d'une grosse boîte de fantasy ? Tu as l'impression de pouvoir dire adieu à ta carrière en SFFF francophone.

À tort ou à raison.

J'ai connu des auteurs et autrices qui ont pu dépasser ces barrières... et d'autres qui ne sont jamais revenus dans le milieu.
On parle d'omerta, et on a raison. Ce sont mille anecdotes, mauvais comportements, petits secrets qui sont concernés et soigneusement enterrés par un milieu qui sait faire bloc.

Et il a fallu un courage monumental à celles et ceux qui ont osé s'exprimer, anonymement ou non.
Alors oui, on avait besoin de cet article.

Lisez-le attentivement, regardez comme rien ou presque ne peut être individuellement qualifié au niveau judiciaire. C'est une anecdote, un errement, "ça va avec le personnage", chaque histoire peut être individuellement écartée.
Mais ensemble, elles peignent un portrait. Un comportement. Une réalité, vécue par bien trop d'autrices, d'éditrices, de traductrices et autres.

Notre milieu a besoin d'être assaini, et pour cela, il faut rappeler l'importance du rapport de force qui existe entre nous.
Entre les auteurs et les éditeurs, les salons et festivals, qui peuvent avoir droit de vie ou de mort sur la carrière d'un auteur ou un autrice.

Pouvoir s'en foutre qu'un salon connu ne nous invite pas, ça demande d'être installé.
Pouvoir se permettre de savoir que même sans tel et tel gros éditeurs qui ne nous aiment pas, on pourra quand même espérer publier, ça demande une carrière déjà bien lancée.

Et en SFFF, il n'y a pas grand-monde dans ce cas.
Moi aussi j'ai la trouille.

Parce que depuis dix ans que je fais ce métier, j'ai eu le temps d'apprendre qu'élever la voix n'apporte pas grand-chose de bon à ta carrière.

"Attention, les gens parlent, si tu passes pour un chieur personne ne te publiera/t'invitera"
C'est comme ça que ça fonctionne. Et franchement, il est temps que ça change.

Il est temps d'obtenir un rapport sain avec les autres acteurs de la chaîne du livre, indépendamment de leur importance dans tel ou tel milieu, SFFF compris.
Il est temps que le "lien humain" qu'on nous rabâche et qui sert d'excuse à tous les abus, toutes les exactions, tous les blacklistages "because you hurt my feelings", passe en arrière-plan.

On veut des rapports professionnels et sains.
On veut être publiés et invités sur la base de la qualité artistique et littéraire de notre œuvre, ou même son potentiel commerciale, pourquoi pas après tout?

Juste, pas sur la profondeur d'un décolleté ou le fait qu'on sache rester à notre place.
De bons éditeurs, de bons salons existent et acceptent déjà ce fait. Il est temps de systématiser le processus.

Et cet article est une première pierre. J'espère sincèrement qu'il y en aura d'autres.
Voilà, vous avez lu l'avis d'un mec sur le sujet.

Maintenant allez lire ceux des femmes concernées, notamment @Samanthabailly @BettyPiccioli @Twittcdufour @AudreyAlwett @Saefiel
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