🔴 THREAD : « EL CASO ATLÉTICO » ⚪️

Ou comment, de manière illégale, Miguel Angel Gil Marin et Enrique Cerezo sont devenus propriétaires de l’Atlético de Madrid pour la modique somme de 0€.
NB : Le thread est long. Mais promis ça vaut le coup, et cette histoire mérite d'être plus connue, surtout en France.

NB2 : J’ai essayé d’être le plus précis possible, mais c’est parfois technique donc ne m’en veuillez pas trop si la vulgarisation entraîne quelques raccourcis.
Tout démarre en 1987, lorsque le père de Miguel Ángel Gil Marín (notre CEO actuel), Jésus Gil, devient président de l’Atlético de Madrid.

Jésus Gil est un homme d’affaire comme seules les années 90 ont su nous en offrir.
Charismatique, entrepreneur infatigable, mais aussi populiste, malhonnête, accessoirement raciste et homophobe, c’est un subtil mélange de Donald Trump, Loulou Nicollin et Bernard Tapie.

De son propre aveux, ses idoles sont Jésus Christ, Franco et Che Guevara.
Avant de s’intéresser à l’Atléti, il fait fortune dans les pièces détachées et l’immobilier. En 1969, un restaurant qu’il a fait construire à l’arrache s'effondre, entraînant la mort 58 personnes.

Condamné à 5 ans de prison, il sort au bout de 18 mois et est gracié par Franco.
Il s’installe ensuite à Marbella, en devient le maire, fait construire des dizaines de milliers de logements (dont 85% sans autorisation) et a un palmarès de corruption qui ferait rougir Patrick Balkany.
En 1987, Vicente Calderón, président culte de l’Atlético pendant plus de 20 ans, meurt. 



Jésus Gil qui s’était rapproché de lui lors des mois précédents, veut prendre sa place car il y voit des opportunités business et politiques intéressantes.
À l’époque en Espagne, les clubs ne sont possédés par personne. Ce sont des sortes d’association de membres qui votent pour choisir leurs représentants.


Pour séduire les socios et remporter l’élection, Jésus Gil promet de recruter la star montante du foot Paulo Futre.
Pour prouver ses dires, il conclut le transfert avec Porto, vole à Milan récupérer le joueur en plein Mondial des Clubs et, la veille de l’élection, se pointe dans une discothèque de Madrid fréquentés par les membres de l’Atléti avec Futre à ses côtés.

Tout le monde est scotché.
Il remporte l’élection et devient président de l’Atlético.

La légende dit qu’alors qu’on lui annonce que les bulletins de vote sont envoyés aux archives, il répond : « Jette les plutôt à la rivière, parce que c’était la dernière fois que ce club organisait des élections ».
Voilà pour la prise de pouvoir initiale. Je ne m’attarderais pas sur sa présidence, même s’il y aurait tout un autre thread à faire sur les multiples affres qui l’ont ponctuée :

Petite liste quand même pour vous donner une idée ⬇️
-Insulte homophobe à arbitre
-Propos racistes
-Bagarre avec président de club adverse
-Détournement de fonds (vous vous souvenez Marbella sur le maillot ? L'argent du sponsoring a fini direct dans sa poche)
-Transfert avorté pour suspicion d'homosexualité. (Jürgen Klinsmann)
...
La période qui nous intéresse démarre fin 1990, lorsque l’Espagne oblige les clubs (sauf 4 - Barça, Real, Athletic, Osasuna) à quitter leur statuts « associatifs » pour devenir des Sociétés Sportives (S.A.D.).

Objectif : plus de business, mais aussi plus de transparence.
Les clubs ont jusqu’au 1 juillet 1992 pour effectuer leur changement de statut.

Et pour le faire, l'Atléti doit récolter un capital de 2 000 millions de pesetas, soit environ 12M d’euros. Sinon, c’est la relégation en troisième division.
Les socios / supporters peuvent donc durant cette période acheter des actions du club pour prendre part au capital. 



Mais après une première phase, un peu plus de 500 000 euros seulement est récolté, sur les 12M nécessaires.
En 1991, Gil est censé organiser des élections mais prétextant le changement de statut du club en cours, il obtient le droit de les faire annuler.

La veille de la date limite, l’Atléti est loin du compte financièrement et semble condamné à la relégation.
Jésus Gil intervient alors au buzzer et, avec Cerezo, ils annoncent combler la différence avec leurs fonds propres. Le club est sauvé.

À deux, ils apportent plus de 11M d’euros et deviennent donc propriétaires de 94,5% du capital, les 4,5% restants étant possédés par les socios.
Jésus Gil possède un peu plus de 60% du club, Enrique Cerezo un peu plus de 30%.

Jésus Gil devient donc actionnaire majoritaire ET président. Cerezo est nommé vice-président et le fiston Gil Marin devient directeur général. #Méritocratie
Les années passent (j'ai rapidement évoqué les affres de cette période plus haut) et en 1999, cette affaire ressurgit.

Un juge anti-corruption dépose une plainte pénale contre Jesús Gil et Cerezo pour crime d'appropriation illicite du club. Voici ce que l’enquête révèle.
Quelques heures avant la date limite du 1er juillet 1992, Jésus Gil et Enrique Cerezo ont « acheté » les actions restantes grâce à un acte notarié et des garanties bancaires. 



Pour faire simple, les banques leur prêtent l’argent et ils s'engagent à le mettent dans le club.
Grâce à ces papiers qui garantissent les fonds nécessaires pour changer de statut et rester dans l’élite, le Conseil Supérieur des Sports (CSD) valide la transformation du club en entreprise.

Chacun devient propriétaire des actions à la hauteur de son investissement.
Sauf que… moins de 48h plus tard, Jésus Gil et Enrique Cerezo rendent l’argent à leur banque.

En réalité, l’argent n’a même pas eu le temps de quitter la banque et atteindre les comptes du club (qui seront truqués pour camoufler la manoeuvre).
Depuis le départ, il n’était d’ailleurs pas question que l’argent ne sorte de la banque.

Pour l’anecdote, Caja Madrid, la banque qui devait servir à Jésus Gil pour la manoeuvre a failli tout faire capoter en réclamant des garanties du gouvernement et de la Ligue.
Moments de panique à quelques heures de la deadline ! C’est finalement Ramón Mendoza, le président du Real Madrid qui sauve Jésus Gil, ayant eu vent des problèmes liés au prêt.

Il l'appelle et le met en contact avec Dorna, une filiale de la 5ème plus grosse banque du pays.
Mario Conde, le président de la banque en question (la banque Banesto), accorde le prêt sans demander la moindre garantie (sachant très bien que l’argent ne quitterait pas la banque).

Et Jésus Gil peut donc apporter les documents nécessaires pour l’opération.
De son côté, Enrique Cerezo (qui a côté de ça est un puissant producteur de film) utilise la même mécanique, cette fois ci avec le Crédit Lyonnais (décidément dans tous les bons coups à l’époque).
Résultat de la manoeuvre : les deux viennent de transformer le club en société et prendre plus de 90% des actions… gratuitement !

À noter que cette manoeuvre n’était que le plan B de Jésus Gil.
En effet, sa première idée a été de reconnaître une fausse dette de 12M du club à son endroit. Pour ensuite dire « J’annule ce que le club me doit en échange ».

Sauf que le gouvernement s’y est opposé : la somme devait bien être versée sur les comptes pour être valide.
Le procès démarre en 1999. Pendant plusieurs mois, Jésus Gil et sa bande sont écartés de la tête du club par la justice.

Rubí, le président intérimaire essaie de remettre de l’ordre dans les comptes car le club est au bord de la faillite.
La moitié du salaire des joueurs est notamment payé au black.

Un jour, il passe la tête dans le vestiaire et prévient que dorénavant, les joueurs seront payés ce qu’il y a marqué sur leur contrat. Ils passent donc de plusieurs millions d’euros à quelques centaines de milliers.
Ils ne peuvent évidemment pas protester car ils savent que le système qu’ils ont validé et illégal.

Mais le résultat se fait sentir sur le terrain. Certains iront même à dire que Jésus Gil a ordonné aux joueurs de perdre tant qu’il est écarté du club.
Sous pression, la justice l’autorise à reprendre ses fonctions en avril (il a été écarté en décembre), mais le retard est impossible à rattraper et en fin de saison, le club est relégué en deuxième division.
Pendant ce temps là, l’enquête continue.


Le 14 février 2003, la Haute Cour nationale les déclare coupable. Jesús Gil est condamné à deux ans de prison, Cerezo à un an de prison. Et la décision les oblige à restituer les 236 056 actions acquises frauduleusement.
Le tribunal précise qu’ils ont fait reconnaître à l'Atléti des dettes de 12M€ non reflétées dans la comptabilité du club.

Et l’argent des socios utilisé pour l’achat d’actions (environ 600 000 euros) a été versé sur le compte de Jésus Gil plutôt que celui du club.
Le procureur déclare : « La peine de prison ne m'importe pas car il ne la purgera pas. Mais la décision indique clairement que ni Jesús Gil ni Enrique Cerezo ne sont les propriétaires du club et que Jesús Gil doit au club 16,2 millions d'euros ».

Les condamnés font appel.
Entre temps, en mai 2004, Jésus Gil meurt d’une crise cardiaque.

Le personnage est tel que certains prétendront qu’il a mis en scène sa mort pour échapper à la condamnation.
Quelques mois plus tard, la Cour Suprême rend son verdict. Elle annule la condamnation pour « vice de forme ». 



En effet, les faits reprochés sont prescrits au bout de 5 ans, et les poursuites ont démarré en 1999, soit 7 ans après les faits.
Pourtant, en 2003, un jour après la condamnation, la Cour nationale clarifiait son verdict avec une ordonnance précisant que malgré la prescription, les accusés avaient continué à bénéficier du délit pendant les années suivantes et donc, que la prescription ne s’appliquait pas.
La Cour Suprême, estimant que cette partie aurait dû être motivée sur le jugement initial, annule malgré tout le verdict pour vice de forme.

Gil Marin (qui a hérité des parts de son père) et Cerezo sont libres de garder les actions volées au club de manière frauduleuse.
En parallèle, la Cour Suprême confirme cependant la condamnation initiale de Jésus Gil et Miguel Angel Gil Marin pour le détournement de fond à hauteur de 16M€.

Ils sont condamnés à 1,5 an de prison et à rembourser la somme.
Jésus Gil étant mort, la peine ne s’applique pas pour lui, mais pour son fils oui. 



Pour rappel, il leur est reproché d’avoir bouclé des « faux transferts » (4 joueurs) afin de détourner de l’agent du club.
Sur les 4 transferts, 2 concernaient des joueurs déjà au club et deux autres étaient des joueurs obscurs qui n’ont en réalité… jamais joué au foot de leur vie.


Comme quoi, si vous pensiez que Cerci était le plus grand joueur fictif de l’Atléti…
À noter que le verdict de la Cour Suprême sur le volet « propriété du club » a beaucoup fait débat.

En Espagne la Cour Suprême est assez politisée et Gil Marin et Cerezo étaient très proches du Parti Populaire (droite chrétienne), au pouvoir à l’époque.
C’est d’ailleurs aussi le parti de José Luis Martínez-Almeida, le maire actuel de Madrid, fan de l’Atlético et qui est parfois pressenti pour prendre la présidence du club un jour.
Voilà pour l’histoire un peu folle du « vol » de l’Atlético, avec les voleurs encore à la tête du club sans aucun scrupules.

Quelques petites précisions sur le contexte actuel pour finir…
Aujourd’hui, Gil Marin est la 202ème personne la plus riche d’Espagne (240 million d’euros). Enrique Cerezo est 229ème (220 millions d’euros). 80% des films produits en Espagne le sont par une de ses sociétés de production.

Pour info, Florentino Perez est 40ème (1.2 milliard€).
En 2015, le club a fait une augmentation de capital, avec notamment l’entrée de Chinois à hauteur de 20%. Parts revendues trois ans plus tard à l’Israélien Idan Ofer.



Aujourd’hui, la répartition est la suivante : Gil Marin (51%), Idan Ofer (32%), Cerezo (15%), Socios (2%).
Des supporters se battent-ils pour récupérer le club ?

Oui, notamment l’association de socios Señales de Humo, mais avec les décisions de justice passées et moins de 2% des parts, c’est compliqué…
Que veulent Gil Marin et Cerezo ?

Faire du fric, tout simplement. Sont-ils sincèrement attachés au club ? Peut-être. Mais leur priorité est financière plus que sportive, ne soyons pas naifs malgré leur discours.
Gil Marin se paie plusieurs millions par an. Et contrairement à certains propriétaires qui sont là pour des raisons politiques ou faire joujou car ils sont multimilliardaires, les nôtres sont là pour l'argent.

Destruction de Calderon, escudo, etc : évolution logique ou business?
Car malgré ses résultats depuis près de dix ans, l’Atlético reste très loin du Real et du Barça en termes d’investissements et de moyens financiers.

Même si ça n’excuse pas tout (et il serait absurde de vouloir être au même niveau). J’en parlais ici : https://twitter.com/Atletico_Fra/status/1382707928772272131
Et Simeone dans tout ça ? 

El Cholo est proche du clan Gil. Il a évolué sous leur direction quand il était joueur, il est très bien payé... Il ne faut pas compter sur lui pour renverser la table. 



Est-il un contrepouvoir en interne ? Peut-être, dur de savoir.
Ce qui est sûr, c’est qu’ils ne lui facilitent pas spécialement la tâche. Il fait progresser les joueurs, puis ils sont vendus au prix fort. Et on recommence.

Son talent, c’est d’avoir des résultats aussi réguliers en étant obligé de reconstruire en permanence.
Alors, #GilMarinOut et #CerezoOut, ça a du sens ?

Pas vraiment. Contrairement à Ed Woodward de Manchester, au delà de leur implication quotidienne, ils POSSÈDENT le club. Donc on ne s’en débarrassera pas comme ça.
Pour qu’ils quittent le club, il faudrait :

- Soit qu’ils gardent leurs parts mais confient la direction à quelqu’un d’autre. Mais ce job doit bien les amuser donc sauf énorme échec ou retraite, peu de chance que ça arrive.
- Soit qu’ils ne trouvent plus leur intérêt financier et qu’ils vendent. Mais ça implique une crise sportive en amont, que le club soit en difficulté (qui veut ça?) … et si on sait ce qu’on perd, on ne sait pas ce qu’on gagne avec leur remplaçant.
- La dernière option serait une reprise en main des socios mais sauf décision de justice miraculeuse ou banqueroute qui pousse le club en 5ème division et sans repreneur, c’est peu probable aussi.

Même si on a tous envie d'y croire.
Voilà, je pense avoir fait le tour, j’espère que vous avez appris des trucs et que ça vous a plu. 



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Aupa Atléti !
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