Je suis toute jeune substitut & de perm lorsque je reçois un appel de l& #39;hôpital, urgences pédiatriques. Quelques mois de parquet des mineurs & je le sais déjà : c& #39;est mauvais signe. Le médecin m& #39;explique que son service, hier, a reçu Enzo, 5 mois, amené par sa nounou.
Sa maman est venue le déposer, comme tous les matins. Nounou l& #39;a vite trouvé grincheux, il pleurait beaucoup, semblait inconfortable et très différent de d& #39;habitude. Elle a voulu le changer : en enlevant son petit body, elle a vu des marques sur ses petites jambes potelées.
Des traces, des bleus de belle taille, des rougeurs... Sur un bébé, qui ne bouge pour ainsi dire que très peu?.. Elle a paniqué et est allée voir son médecin, qui a examiné l& #39;enfant et lui a conseillé d& #39;aller aux urgences, ce qu& #39;elle aimmédiatement fait.
Enzo a subi toute une batterie d& #39;examens dans la journée d& #39;hier. Bilan : outre les bleus & marques dont le pédiatre m& #39;indiquent que certains sont évocateurs de brûlures, il a 1 fracture au bras. Les parents sont évidemment venus aux urgences, et ils n& #39;ont pas d& #39;explications.
Je soupire et évidemment, en raccrochant, je compose immédiatement le numéro de la brigade de gendarmerie compétente là où habitent Enzo & ses parents. Les gendarmes requièrent immédiatement un médecin légiste, qui va examiner Enzo à son tour.
Il approfondit les examens & quelques heures après, je reçois son rapport : en plus des lésions et de la fracture déjà constatées, le bébé a déjà eu deux autres fractures, de datation différente. Pour lui aucun doute : Enzo fait l& #39;objet de maltraitances. Je grimace.
Il n& #39;est pas prévu qu& #39;il quitte l& #39;hôpital immédiatement mais je prends une ordonnance de placement provisoire confiant le mineur à l& #39;Aide Sociale à l& #39;Enfance au cas où sa sortie soit envisagée plus rapidement que prévu, & bien sûr je demande que les parents soient auditionnés,
sous le régime de la garde-à-vue au vu de la gravité des faits. Lénaïg, 24 ans, la maman, est étrangement calme. Lorsque le gendarme lui indique que des fractures d& #39;âge différent ont été relevées, elle balaye cette éventualité d& #39;un revers de main : impossible.
Les gendarmes insistent mais elle n& #39;a pas d& #39;explication, la prise en charge d& #39;Enzo se passe très bien, il était attendu, désiré, c& #39;est un enfant très calme, rien à signaler. Un roc. C& #39;est un peu la maman idéale à l& #39;entendre. Les gendarmes veulent creuser l& #39;environnement familial,
Lénaïg a-t-elle ses parents dans le coin, qui pourraient être auditionnés ? Elle explique qu& #39;elle a coupé les liens avec sa famille depuis longtemps, elle ne parle plus à ses parents depuis bien longtemps, ni à ses frères et soeurs. Petite elle a connu un parcours de placement.
Elle n& #39;aime pas parler de son enfance, il n& #39;y a rien de bon à en dire & elle abrège sèchement ; sa famille toxique c& #39;est loin derrière, elle a construit son propre cocon, avec son compagnon et Enzo. La carapace se fendille quelque peu quand les gendarmes lui annoncent
ma décision de placement dans l& #39;attente des résultats de l& #39;enquête. Elle se reprend toutefois très vite & montre plutôt 1 colère froide & & grande détermination à démontrer qu& #39;elle n& #39;a pas maltraité son fils. Erwan, le père, 27 ans, est plus impulsif.
Il oscille entre tristesse à l& #39;évocation de l& #39;état de santé d& #39;Enzo et marques d& #39;agacement voire d& #39;énervement quand les gendarmes abordent la question du placement et cherchent à établir les responsabilités. Il s& #39;indigne qu& #39;on puisse seulement envisager
que sa compagne ou lui-même aient pu s& #39;en prendre à leur fils alors il envisage d& #39;autres hypothèses : une maladie ? Ce truc là, les os de verre ?? Ou la nounou ? Elle a Enzo chez elle des heures quand ils sont au travail !! Pourquoi penser seulement à eux ??
Les enquêteurs cherchent, grattent, ils entendent les proches du couple. Elle est une maniaque du contrôle, tout est programmé au millimètre près depuis l& #39;arrivée d& #39;Enzo, pas de place pour l& #39;improvisation pour 2 parents qui travaillent avec un petit bébé.
Tout le monde la décrit comme vaillante, obstinée, parfois un peu dure car elle en a bavé, mais du coup prête à tout pour protéger les siens. Personne ne peut l& #39;imaginer en mère maltraitante. Lui ? Il se laisse porter par son dynamisme à elle. Il lui arrive d& #39;avoir le verbe haut,
d& #39;être nerveux et de piquer des colères, mais personne ne l& #39;a jamais vu se montrer violent, il s& #39;occupe d& #39;Enzo, il était fou de joie à l& #39;annonce de la grossesse et l& #39;arrivée de l& #39;enfant... Ce papa gâteau, personne ne peut imaginer qu& #39;il ait pu toucher le petit.
Evidemment les gendarmes envisagent l& #39;hypothèse d& #39;1 responsabilité de la nounou alors on entend les parents des autres enfants qu& #39;elle prend ou a pris en charge, on vérifie son dossier...+ de 20 ans d& #39;agrément, aucun incident, aucune plainte en lien avec de possibles violences...
Les gendarmes ont bien travaillé, ont fouiné partout où ils pouvaient fouiner pendant la garde-à-vue... Mais je ne suis pas plus avancée qu& #39;au début de la mesure : l& #39;hypothèse nounou semble hautement improbable, et les faits semblent avoir eu lieu dans ce petit huis clos à 3.
Des expertises médicales vont être nécessaires pour confirmer ou pas l& #39;hypothèse de faits volontairement infligés au bébé, en excluant des pathologies dont les parents ont pu évoquer l& #39;éventualité... En attendant, Enzo reste placé. Plusieurs fractures, des lésions nombreuses...
Je ne prends aucun risque : je saisis le juge des enfants, qui maintiendra le placement, et j& #39;ouvre une information judiciaire. Les mois s& #39;écoulent. Les nouvelles expertises se succèdent, Enzo ne souffre d& #39;aucune maladie.
L& #39;hypothèse d& #39;une maltraitance est celle que retiennent tous les experts, au vu du type de fractures, de leur datation respective... La présence de brûlures (certes de faible gravité) sur l& #39;enfant semble également confirmée. Ni Lénaïg ni Erwan n& #39;apportent aucune explication.
Ils restent sur leur position : ils n& #39;ont pas maltraité leur fils, ni l& #39;un, ni l& #39;autre, ils veulent le récupérer, le dossier s& #39;enlise, il n& #39;y a aucune preuve contre eux, ils veulent, ils exigent qu& #39;on leur rende leur fils. Enzo est en famille d& #39;accueil, il grandit et va bien.
Il n& #39;aura pas de séquelles. Il voit ses parents en milieu médiatisé c& #39;est-à-dire en présence de tiers : il est joyeux quand il les voit, éveillé... Le juge des enfants attend la fin de l& #39;instruction pour décider de maintenir, ou pas, le placement.
L& #39;instruction permet d& #39;établir avec certitude que Lénaïg ou Erwan (ou les 2) a fait du mal à Enzo. Impossible d& #39;identifier l& #39;auteur des violences,& la mort dans l& #39;âme je requiers 1 non-lieu, prononcé par le juge d& #39;instruction. Quand je quitte le tribunal, Enzo est toujours placé.
Pour combien de temps?..