Petit thread sans filet.
Je vais vous parler un peu de Jovan Divjak, le Yougoslave inflexible.
Aujourd'hui, Sarajevo a donc dit au revoir à son cher Jovan Divjak. Tout d'abord lors d'une cérémonie commémorative ce matin au Théâtre National puis cet après-midi, au cimetière de Bare où Jovan a ét émis en terre au son de "Bella Ciao", chanté par Damir Imamović
Deux moments très dignes fidèles à Jovan. Ce matin, son petit-fils Gregor a lu une lettre que Jovan avait écrite pour nous dire au revoir. Une leçon de dignité, une leçon d'intégrité et une immense leçon politique dans laquelle a également transparu son immense amour de la vie.
Cette lettre dans laquelle il rappelle son parcours militaire notamment et le fait qu'il a rejoint l'Académie militaire faute d'argent pour poursuivre ses études nous rappelle à quel point Jovan Divjak était un pur produit yougoslave, ce que la JNA a produit de mieux
(JNA : Armée Populaire Yougoslave), un homme qui a toute sa vie pris au pied de la lettre la devise de la Yougoslavie : "Bratstvo i Jedinstvo" (Fraternité et Unité) et le serment prêté de toujours défendre les civils, les plus faibles.
C'est à mon sens comme cela qu'il faut lire sa défection de la JNA : un transfer des valeurs yougoslaves trahies par les nationalistes, défendre sa ville et les civils contre l'agression des forces armées serbes. Il rejoint l'Armée de la République de Bosnie-Herzégovine.
Divjak l'antifasciste défend la ville et parle sans cesse des souffrances endurées par les civils, les défendre est son obsession, son devoir de militaire ainsi qu'il m'en parlera en 2004 au cours d'une vive discussion autour de la figure de Radislav Krstić.
Jovan et moi écrivions pour une ouvrage intitulé "Šta Ima ? " à l'occasion des 10 ans des Accords de Dayton. Il écrivait sur l'aciton de son association (je reviendrai là dessus plus tard) et moi sur Radislav Krstić. (Je vous laisse chercher qui est ce criminel de guerre).
Krstić, 1ère personne jugée pour génocide à la Haye, est un peu plus jeune que Jovan mais je me demande s'ils se connaissent, je lui en parle en émettant des hypothèses sur Krstić : un militaire somme toute respectable jusqu'en 1992
Où, remontant du Kosovo vers Sarajevo il s'arrête malencontreusement à Han Pijesak où est installé le commandemant de Mladić. Je m'interroge : que serait-il arrivé s'il avait atteint Sarajevo ? Quelle décision aurait-il pris ?
Comment a t'il pu attaquer la vallée dont il est originaire ? Comment...Divjak me coupe et avec une voix d'une froideur très inhabituelle chez lui, son regard noir planté dans le mien me dit de sa voix trainante avec ses "r" roulants :
"Mais qu'est-ce que tu racontes ? C'est un criminel, un fasciste. Il a trahi le serment de l'armée de protéger les civils, il n'y a pas de discussion, de question. Il a trahi le serment".
Je peux vous assurer que je ne faisais pas la maline et que j'avais très envie de me couvrir la tête de cendres. Cette anecdote illustre très bien Divjak. Pour lui, il y avait les principes qu'on défendait et il n'y avait aucun dilemme ou question à se poser.
Divjak était yougoslave et bosnien jusqu'aux tréfonds de son âme. Il détestait cette notion de "Général serbe qui avait défendu Sarajevo". Tout d'abord Jovan ne s'est jamais identifié comme serbe et ensuite, il avait souvent raconté
qu'il savait parfaitement qu'il avait été "une décoration florale sur la table de la multiethnicité". Izetbegović le montre partout, le général serbe, la preuve que son armée est multiethnique.
Jovan détestait qu'on puisse penser qu'il y a des bons Serbes et des mauvais Serbes. Pour lui il n'y avait que son devoir, ses principes, sa ville. Alors qu'Izetbegović vire les cadres non Bosniaques de son armée, Divjak et Stjepan Šiber en font les frais.
D'ailleurs, au passage, il faudrait vraiment se pencher sur cette génération de militaires yougoslaves et regarder de plus prêt les trajectoires individuelles des uns et des autres (Divjak, Šiber, Krstić, Mladić etc.)
Les relations sont tendues entre Divjak et Izetbegović, elles le resteront. Sa lettre de 1997 dans laquelle il rend son titre de Général et adressé à Izetbegović est un modèle de droiture, encore une fois, envers les idaux qui l'ont guidés toute sa vie.
Alors que le Président vient de nommer de nouveaux généraux, on trouve parmi ceux-ci des officiers de l'ARBiH s'étant rendu coupable de crimes de guerre contre des civils non Bosniaques. Divjak refuse d'appartenir à la même armée que ces gens. Il part.
On apprend d'ailleurs dans cette lettre qu'il avait averti Izetbegović dès 1993 de crimes commis par l'ARBiH. Ce à quoi le Président n'a prêté aucune attention. Je pensais fort à cette lettre ce matin en écoutant la dernière qu'il nous a envoyé.
Il s'y adresse en 1er lieu à ses frères d'armes (pauvre traduction de "suborci" mais là tout de suite j'ai pas mieux). Ses hommes, à qui il dit qu'eux seuls ont le droit d'avoir un avis sur quel genre de militaire il avait été.
Ses hommes à qui il rappelle qu'ils se sont battus dans l'Honneur, "qu'ils n'ont rien pris à personne" et qui peuvent se regarder dans la glace. Ses hommes qui avec lui ont défendu les civils et ont obéi à leurs idéaux de fraternité et d'unité.
Avec Divjak disparait un grand antifasciste européen.
Après la guerre, il se consacre à son association "Obrazovanje gradi BiH", l'éducation construit la Bosnie Herzégovine. Jovan croit à l'éducation et à la force du collectif.
En 25 ans, ce sont 7300 enfants qui reçoivent des bourses d'études, "une véritable petite brigade pour le futur" disait ce matin Danis Tanović pendant la commémoration.
Il se bat pour une éducation de qualité, l'accès aux Arts dont il est plus qu'amateur. Si vous avez passé un peu de temps à Sarajevo, vous avez forcément croisé Jovan au théâtre, aux concerts, aux expositions.
Il est partout. Il parle beaucoup de la puissance des livres, il se bat pour que "ses gamins" de l'association lisent. Il croit aussi au sport et à l'accès au sport, encore la force du collectif.
Il est partout dans sa ville, dans les rues, au marché, les gens se lèvent quand il entre quelque part, viennent le saluer, lui raconter leurs misères. Il a une oreille pour tout le monde. Pour de vrai.
Il prend des nouvelles des uns et des autres, encourage, chasse la tristesse par une blague affectueuse, jamais moqueuse. Il n'aime pas qu'on s'apitoie et encourage toujours à l'action. Jovan Divjak croyait à la puissance de l'amour.
C'est enfin ce qu'il rappelait aussi dans sa lettre d'au revoir. Il faut vivre dans le respect, l'attention, la dignité et bazarder tout le reste. Aimer est toujours plus difficile qu'haïr. Cela nécessite des efforts alors il faut se mettre au travail.
Il y aurait beaucoup d'autres choses à dire sur Jovan Divjak. Beaucoup sur les réseaux bosniens se sont exprimés à son sujet et la force des témoignages dresse le portrait d'un homme admirable, inflexible sur ses valeurs, sa dignité d'homme intègre.
Jovan Divjak est un modèle pour beaucoup. La preuve qu'il est possible de ne pas renoncer dans un pays rongé par la corruption où il est de plus en plus dur de ne pas se trahir, de ne pas fléchir.
Sarajevo a dit au revoir à son ami et appelé à poursuivre son exemple. Il laisse derrière lui un travail admirable, un exemple pour les futurs générations et un vide immense.
Fin du thread. Merci de m'avoir lue.
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