1- Quelques réflexions sur les amnésies après un traumatisme, du point de vue du clinicien. Je soigne (j’essaie) des personnes qui ont été confrontées à des traumas, depuis 25 ans. Des enfants, parfois très jeunes, ados, adulte. La plupart du temps, des victimes de
2- violences intentionnelles, ponctuelles ou répétées. Agressions, violences sexuelles, conjugales, inceste, torture, traite, attentats, ex otages, guerre, réfugiés, mort violente de proches, faits divers tragiques dont on ne parle jamais. Et je vois parfois des patient-es
3- qui ont oublié plus ou moins longtemps les événements traumatiques qu’ils avaient vécu. Ce n’est pas la situation la plus fréquente. Le plus souvent au contraire il y a trop de souvenirs, anormalement envahissants, vécus comme des intrusions, dans la détresse.
4- Lorsque les personnes n’en parlent pas, ce n’est pas forcément qu’elles ont oublié. Parfois il n’est juste pas possible d’en parler (trop dur, pas en sécurité, pas confiance, trop honte, personne ne croira/comprendra, inutile). Parfois c’était là, mais ils ont fait beaucoup
5- d’efforts pour ne pas y penser, pour certain-es, ça leur a même pompé toute leur énergie psychique et leurs capacités cognitives pendant des années pour maintenir l’horreur à l’écart. Et puis d’autres ont vraiment oublié.
6- On ne connaît pas le mécanisme de cet oubli, et le souvenir peut ressurgir très tard. Il n’y a que des hypothèses pour l’expliquer. Ce sont les psychanalystes qui ont les premiers travaillé sur ce sujet. Freud en premier lieu, qui a d’abord pensé que tous les troubles
7- névrotiques étaient dus à des traumatismes (sexuels en général) de l’enfance oubliés. En 1897, il a modifié son avis : les récits traumatiques qui apparaissaient durant l’analyse étaient parfois des événements réels, parfois des constructions que Freud nommait des
8- fantasmes. Freud n’a pas nié l’existence de traumatismes sexuels, mais il a affirmé que les psychanalystes ne pouvaient pas affirmer si les éléments relatés par les patients en psychanalyse avaient été réels ou s’ils étaient fantasmés (il soignait uniquement des adultes).
9- On voit que tous les débats actuels sont déjà chez Freud : le refoulement (l’oubli) après un traumatisme, la production de récits de soi (de bonne foi) qui ne correspondent pas toujours à la réalité de ce qu’il s’est passé. Par la suite Ferenczi, un autre psychanalyste
10- va travailler spécifiquement sur les effets à l’âge adulte des traumas sexuels répétés de l’enfance, et ses travaux restent particulièrement éclairants aujourd’hui : il évoque le clivage, la dépersonnalisation, l’identification à l’agresseur et tous les mécanismes de survie
11- Un autre courant, contemporain du Freudisme et qui n’a pas eu beaucoup de postérité en France est celui de Janet. C’est l’inventeur de la dissociation, avec beaucoup de succès dans le monde anglo-saxon. C’est dans la suite de ses travaux que la catégorie des
12- troubles dissociatifs a été intégrée aux classifications des maladies psychiatriques et notamment au DSM. Des équipes ont théorisé la dissociation (théorie de la dissociation structurelle de la personnalité).
13- C’est dans ce cadre la qu’à été redéfinie l’amnésie dissociative (personne ne dit « amnésie traumatique »), qui correspond à ce qu’on appelait avant « amnésie psychogène ». Cette amnésie concerne des événements ou une période de temps limitée et elle répond
14- le plus souvent à des événements stressants, un vécu pénible, ou un traumatisme. Pas toujours un traumatisme donc le terme « amnésie traumatique » utilisé parfois est un abus de langage. L’amnésie dissociative peut donc être liée
15- a un défaut d’intégration (la dissociation) qui peut être présent au moment du traumatisme ou dans la période qui suit. Autant tout cela est à peu près clair chez le grand enfant, l’ado, l’adulte, autant c’est beaucoup plus compliqué chez le jeune enfant puisqu’il
16- existe une amnésie infantile normale, en dehors de toute dissociation.
Certaines personnes peuvent souffrir d’amnésie et de dissociation sans avoir vécu de traumatisme.
17- Par ailleurs la mémoire correspond à un ensemble de mécanismes complexes qui sont bien sur neurologiques mais aussi psychologiques, dépendant de facteurs affectifs. Comme par exemple cet homme de 45 ans qui se remémore subitement une agression
18- sexuelle subie à 10 ans par un intime de la famille que ses deux parents vénéraient. Pourquoi à 45 ans ? Ses deux parents venaient de mourir. Il n’avait jamais eu de problème particulier. Il a douté de ce souvenir, et à cherché à le vérifier. Et il a trouvé
19- d’autres victimes de cet homme qui était mort entre temps. Mais tout s’est passé comme si durant tout ce temps, il l’avait oublié parce qu’il ne pouvait pas le dire. Peut-être a-t-il pensé que ses parents ne le croiraient pas, ou qu’ils lui demanderaient de se taire.
20- les faux souvenirs existent aussi. Ils peuvent être spontanés, induits par des pseudo thérapeutes mal intentionnés ou tout simplement co-créés de bonne foi en cherchant des causes à une détresse qui a toujours été la. Ces faux souvenirs peuvent avoir autant
21- voire même plus de force et d’intensité que des vrais souvenirs, et pour un clinicien, rien ne permet de les distinguer. L’imagerie cérébrale ne le permet pas non plus. C’est tragique parce que les agresseurs utilisent souvent cet argument « faux souvenirs » pour
23-essayer de se disculper en salissant leur victime. En revanche certains mouvements notamment sectaires savent très bien utiliser ces techniques d’induction pour isoler leurs victimes et les couper de leur famille.
24-Pas possible d’aller tellement plus loin sur Twitter. Mais il est clair que les violences, sexuelles et autres, notamment contre femmes et enfants, sont un problème massif aux conséquences graves. Mais on ne doit pas simplifier à outrance une question aussi complexe.
25- L’amnésie, l’oubli, le choix de ne pas parler sont fréquents. Les victimes doivent être écoutées et protégées. Mais ce n’est pas aussi simple que le modèle de « l’amnésie traumatique ». Les faux-souvenirs existent aussi, et on doit composer avec toute cette complexité.
Sur ce sujet, comme sur tous les autres, je bloquerai sans préavis les auteur-es d’attaques personnelles, pour le reste tout se discute :)
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