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Il est là, Robert, mort. Allongé sur cette dalle de béton froide qui borde son cabanon de jardin. Si son visage n'était pas maculé de sang, on pourrait croire qu'il dort paisiblement.
Il vient de souffler ses 84 bougies. Et même si l’hémorragie altère ses rides étirées, ses vêtements d'une autre époque nous laissent deviner son âge avancé. Robert porte un vieux pull-over à mailles en relief et un fameux pantalon vert en velours côtelé.
A ses côtés se tient craintivement Félicien. Son magnifique chat tigré dont la robe contemporaine tranche avec la tenue de son maitre. Il colle Robert comme pour le réchauffer une dernière fois. C'est idiot mais je pense distinguer de la tristesse dans cette pupille ovale.
Le félin nous regarde approcher et feule bruyamment avant de se résigner à fuir celui qui vient de s'éteindre. Sa silhouette s’efface dans la brume épaisse du matin. Il fait froid. Le vent est glacial et me brûle les oreilles. Ça caille !
Je suis de permanence avec Guillaume, un gendarme adjoint volontaire. C'est la femme de Robert qui nous a appelé directement à la brigade. Elle a découvert le corps de son époux jonchant le sol froid de cette matinée hivernale en rentrant des commissions.
Elle ne s'est absentée qu'une heure, peut-être moins. Et elle ne comprends pas vraiment ce qui se passe. Plutôt, elle n'explique pas cette plaie au visage. Son « Bébert » comme elle l'appelle, elle le savait malade, très malade.
Et ses années qui lui ont fait connaître tant d'époques, rendaient pessimistes les médecins. Son cardiologue lui avait dit de profiter des derniers mois de sa vie. Il allait mourir Bébert. Il le savait. Sa femme aussi. Mais pas comme ça.
Pas avec cette immonde tache nasale écarlate qui lui donne l'apparence ridicule d'un clown assoupi. J'avoue ne pas comprendre non plus. Celle plaie ressemble à une blessure par arme à feu mais problème, après un bref examen de corps, je ne trouve aucune arme.
Ni sur lui, ni à proximité. Alors comme on dit chez nous : « retrait du percuteur ! ». On fige la scène, on fait quelques clichés photographiques, on note exactement ce qu'on a fait, touché, là où on a marché et on gèle les lieux.
C'est l'heure de rendre compte aux patrons et au parquet. Nouvelle contrainte : nous sommes dans un village des plus rural, la cambrousse, un trou perdu de trente âmes pour ne pas dire vulgairement, le trou du cul du monde ! Et le téléphone capte le réseau aussi bien
qu'un cailloux sait nager. Je parviens à me faire comprendre des chefs et difficilement du Proc. Pour ne rien arranger, il n'est plus tout jeune non plus et son oreille lui joue des tour. Il n’a ni la classe ni la réactivité de @SirYesSir29. « Allô? Allô? ».
Je soupire et je me résigne à l’appeler depuis le téléphone de la maison cossue de Robert. Avec Guillaume, on sait que la journée va être longue et polaire. Il reste à proximité du corps pendant que je débute l'enquête de voisinage. J'ai le temps.
Il faut près de 3/4h pour que le gradé de permanence nous rejoigne. Autant pour les enquêteurs de la Brigade de Recherches (BR) suivis des Techniciens en Identification Criminelle (TIC). Ces derniers sont formels, il s'agit bien d'une blessure par arme à feu.
Alors on ratisse le jardin, on fouille, on grimpe sur le cabanon, dans la haie mais rien. Aucune arme. Aucune douille. Quelqu'un s'en ai bien pris à Bébert. La rumeur qui n'en est pas une se propage vite dans le village. Il faut dire que le tour est vite fait. C'est la stupeur.
Son épouse est sidérée. Mais qui a bien pu s'en prendre à ce papy ? Personne n'a la moindre explication. Personne n'a rien vu, entendu, pas la moindre aucune détonation. Mais surtout, personne n'avait intérêt ou de raison de tuer ce brave homme. Il est aimé de tous.
Il a travaillé dur toute sa vie. Pendant plus de 40 ans, il s’est levé chaque matin au milieu de la nuit pour livrer dans les pots, avec son camion citerne, le lait fraichement sortie de la laiterie voisine. Il écumait la campagne tous les jours,
à l’heure où le soleil orangé fait son apparition. Tout le monde le connaissait, l'appréciait. Sa mort est inexplicable.

Un crime de sang sans mobile, sans suspect, sans le début d'une piste, ça signifie la saisine de la Section de Recherches (SR).
Trois de ses enquêteurs, que nous attendons plusieurs heures, arrivent de « la ville ». Ces 3 là sont gendarmes mais un peu (beaucoup trop) hautains. Je ne suis que le petit gendarme de brigade, le bouseux. Leur attitude pathétique me fait plutôt sourire.
On verra bien s'ils sont plus malins... Celui qui me prête le plus à la moquerie, c'est ce Proc qui débarque. Je ne l'avais jamais vu auparavant et je m'étonne qu'on puisse encore exercer à son âge. Il est fort sympathique mais il a plus le profil du voisin de Robert
que celui du notable. Les chaussons en plastique qu'il a aux pieds pour ne pas polluer la scène lui donnent un air rondelet traînant ses charentaises. Il est accompagné du médecin légiste qui peine à se prononcer. Il n'y a pas d'orifice de sortie de la balle.
Parce que pour lui, c'est bien une balle. C’est confus. L'autopsie prévue le lendemain en dira plus. Après 8h sur cette scène, nous la quittons en dernier. En même temps que le sordide fourgon des pompes funèbres qui conduit Robert à l'Unité Médico Judiciaire.
Son épouse est anéantie. Nous avons fait de notre mieux pour la réconforter. Mais aujourd’hui, un inconnu lui a violemment pris celui qu'elle aime depuis 60 ans. Mais qui et pourquoi ? La réponse ne tardera pas. Elle ne viendra pas dès 3 limiers de la SR mais de l’autopsie.
Souvenez-vous Félicien, le chat de Robert qui se tenait à ses côtés à notre arrivée. C'est lui, ce maudit animal ingrat qui n'a résisté à la chair chaude du nez de son maitre. Robert n'a été la cible d'aucune arme, d'aucun rôdeur.
Il a simplement succombé à sa maladie, subitement. Félicien lui, a décidé qu'il bernerait enquêteurs, TIC, Légiste et magistrat. Il réussit brillamment son coup.
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