Il y a peu, un intellectuel médiatique déclarait que la liberté est une valeur supérieure à la santé, sous-entendant que ce jugement était évident.
https://twitter.com/franceinfoplus/status/1378033359360819201
La liberté est-elle préférable à la santé ? Quelques éléments de réponse, dans un #FilPhiloPasSciences. 1/N
Tout d’abord, on ne peut dire que la liberté est toujours absolument prioritaire sur la santé (ni l’inverse). On accepterait par exemple de perdre un peu de liberté (ne pas pouvoir choisir son menu à la cantine demain) pour guérir d’une maladie grave. 2/N
De même on accepterait vraisemblablement sans hésitation de subir un jour de maladie légère si cela nous évitait dix ans d’esclavage.
Il s’agit donc d’une question de degré : devrait-on préférer une certaine "quantité" de liberté à une quantité supérieure de santé ? 3/N
Un problème se pose immédiatement : la liberté n’est pas clairement mesurable ou quantifiable. Et la santé ne l’est sans doute qu’en partie (espérance de vie, niveau de douleur, fonctions vitales amoindries à un certain degré). 4/N
Même si liberté et santé étaient quantifiables, elles ne seraient pas pour autant comparables. Par exemple, y aurait-il sens à dire que j’accepterais deux fois plus de liberté pour une santé deux fois moins bonne ? 5/N
Le problème est donc ici que nous avons deux valeurs qui s’opposent, et que leurs importances respectives ne semblent pas déterminées par une règle de comparaison simple – et une telle règle existe, elle variera selon les individus. 6/N
On serait dans une situation similaire à celle du jugement de goût : on peut énoncer nos préférences sans pour autant pouvoir en démontrer la justesse à autrui. En gros : tu préfères la liberté, je préfère la santé - des goûts et des couleurs on ne discute pas. 7/N
Dans le cas d’une pandémie, le problème de comparaison s’accentue encore, puisqu’il s’agit de comparer non les degrés de liberté et de santé d’un individu, mais la liberté de certains avec la santé d’autres (auxquels ils font courir des risques). 8/N
Il faudrait alors une règle générale permettant de comparer les valeurs d’individus différents, ce qui paraît sans espoir tant elles semblent irrémédiablement subjectives. 9/N
Je pourrais toujours dire que ma liberté m’importe nécessairement plus que la santé des autres, si le bien-être des autres m'est indifférent. Mais dans ce cas, ma santé m’importe aussi davantage que la liberté d’autrui. L’égoïsme ne justifie pas une priorité à la liberté. 10/N
La question est-elle donc insoluble ? Pas entièrement. Deux éléments de réponses sont possibles, qui suggèrent que la liberté n’a pas à être prioritaire sur la santé. 11/N
Premièrement, une meilleure santé est toujours préférable à une moins bonne (toutes choses étant égales par ailleurs). Mais ce n’est pas le cas pour la liberté : notre situation peut empirer si on a trop de liberté (au sens du nombre d'options disponibles). 12/N
C’est un point désormais classique en philosophie, défendu notamment par Thomas Schelling et Ronald Dworkin. Par exemple, lors d’une négociation, avoir moins d’options peut être avantageux (je ne serai pas poussé à une option défavorable si elle n'est pas même disponible). 13/N
Autre exemple : un caissier bénéficiera clairement de l’impossibilité de pouvoir accéder au coffre de la banque (lui évitant des risques d’être ciblé et agressé en cas de braquage). 14/N
Il existe donc des cas dans lesquels le simple fait d’avoir plus de liberté (plus de choix disponibles) empire notre situation (même si on fait toujours le meilleur choix). Une liberté accrue peut être nuisible ! 15/N
Deuxième point : on peut dépasser la difficulté à comparer liberté et santé en notant qu’elles ne sont pas décorrélées. Une diminution du niveau de santé (maladie, etc.) aura souvent pour conséquence une diminution de la liberté... 16/N
... en effet, une santé dégradée a fréquemment pour conséquence des choses qu’on ne peut plus faire comme avant, ou plus difficilement qu’avant - et donc une perte de liberté. 17/N
La conséquence est qu'un accroissement initial de liberté, s’il se révèle coûteux en santé, pourrait finalement résulter en un accroissement moins élevé, voire à une baisse de liberté ! 18/N
Le point est intéressant, car il suggère que le défenseur de la liberté pourrait en fait refuser certains accroissements de liberté - et ce au nom de ses propres valeurs. 19/N
En conclusion, la liberté est-elle préférable à la santé ? Soit la comparaison générale de ces valeurs est impossible et la question ne se pose pas... 20/N
... soit la comparaison est bien possible, et au moins dans le cas de la pandémie présente, l’accroissement de certaines libertés (sortir, faire la fête) est difficile à défendre tant il est finalement coûteux en autres libertés (des malades graves, covid long, etc.). 21/N
Une dernière remarque : en quoi suis-je compétent pour parler de cette question ? Car je ne suis spécialiste ni de liberté ni de santé... 22/N
Mais 1/ Je vous ai donné des argument, que j'espère évaluables en eux -mêmes ; et 2/ je connais bien certains problèmes de conflits de valeurs en science, dans lesquels des arguments similaires existent. 23/N
Merci à tou(te)s pour votre lecture ! (Et si vous voulez encourager ce type de fil, chez moi ou d'autres, likes, RT et abonnements sont toujours bienvenus :) 24/24
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