J’ai visionné le documentaire de @ARTEfr « La face cachée des énergies vertes ». On en parle beaucoup et j’ai vu peu d’analyses, ce qui est dommage parce que je pense qu’un regard critique est toujours intéressant. Donc je m’y colle 😉 #Thread https://twitter.com/GuillaumePitron/status/1328371627168587776
Je ne traiterai que de ce que je maitrise, à savoir la question des matériaux et des technologies. Je n’évoquerai pas les autres aspects plus politiques de ce documentaire. D’autres le feront bien mieux que moi. Toutes les sources en fin de thread
Le documentaire présente l’évolution des technologies dites « vertes » comme la voiture électrique, l’éolien et le photovoltaïque (PV), en évoquant l’origine des métaux rares et terres rares qui les constituent et les impacts associés à ces technologies dites vertueuses.
Selon les auteurs du documentaire, ces technologies ne sont pas plus vertueuses que les technologies dites polluantes (énergies fossiles) et génèrent des situations paradoxales, incompatibles avec l’objectif environnemental visé. On va y venir.
Commençons par les définitions. J’ai eu du mal à suivre le documentaire parce qu’il utilise des termes qui ne sont pas très bien définis : terres rares des métaux rares.
Les terres rares sont une famille de 17 éléments chimiques (numéros atomiques de 57 à 71 + l’Yttrium et le Scandium). Ces éléments ne sont pas rares et sont généralement très répandues dans l’écorce terrestre. Le moins abondant, le thulium, est 4 fois plus abondant que l’argent.
‘Métaux rares’ indique une rareté au sens géologique ou d’utilisation dans l’industrie. Le sens utilisé dans le documentaire est celui de métaux critiques (impacts industriels/économiques) ET métaux stratégiques (impacts sur la politique énergétique/économique d’un pays)
Ce sont, dans les deux cas, des matériaux qui répondent à des critères de criticité, liées à la disponibilité de ces matières premières pour des applications ou développement stratégiques. Cette liste de métaux peut être différente d’un pays à l’autre bien sur
L’Europe présente une liste qui est passée de 14 en 2011, 27 en 1017 et 30 en 2020. Ce qui signifie que nous sommes de plus en plus dépendants en approvisionnement de ces matériaux qui ont une importance stratégique liée au développement de certaines technologies vertes
Si les terres rares font partie des métaux critiques c’est qu’il y a un quasi-monopole de la Chine en termes de production. 86% de la production mondiale de terres rares en 2017 provenait de ce pays
Cela n’a donc rien à voir avec leur abondance mais bien la mauvaise répartition géographique des extractions qui conduit à un risque d’approvisionnement
Les métaux critiques sont utilisés dans les véhicules à essence pour certaines fonctions complémentaire et c’est plutôt bien expliqué dans le documentaire. Dans une voiture électrique, leur rôle est plus important parce qu’il touche aux fonctions essentielles du véhicule.
Comme le néodyme (terre rare) utilisé comme aimant dans les moteurs électriques. Ou bien encore le lithium (métal critique) utilisé dans la fabrication des batteries. Ces matières premières se retrouvent également dans d’autres technologies
et ce point n’est malheureusement pas abordé dans le documentaire : polissage du verre, certaines batteries, alliages métallurgiques, céramiques, lampes et écrans, lasers de puissance, imagerie médicale, catalyse,…
L’impact de l’extraction des terres rares, réalisée à ciel ouvert, est lié à l’émission de poussières pouvant polluer sur des distances importantes, sans parler des impacts liés aux traitements hydro-métallurgiques qui conduisent à des rejets dans les eaux souterraines.
L’extraction et la séparation des terres ares nécessite aussi l’utilisation de procédés qui génèrent des effluents chimiques. Ce n’est malheureusement pas spécifique aux terres rares mais bien aux extractions minières de manière générale.
Le documentaire évoque la question des technos de production d’énergie comme l’éolien et le photovoltaïque qui se développent considérablement à travers le monde. Il est précisé qu’elles contiennent des métaux rares. Et là je pense qu’il faut apporter quelques précisions.
Il y a un amalgame entre métaux critiques (appelés métaux rares dans le documentaire) et terres rares. L’argent et le lithium sont des métaux critiques. Le caoutchouc naturel et le graphite sont des matières premières critiques… ce sont des notions qu’il faut bien distinguer.
Parlons des terres rares : à part certaines technologies d’éolien essentiellement offshore, les énergies renouvelables n’utilisent pas de terres rares. L’utilisation est celle permettant de construire des aimants permanents.
Le PV n’utilise pas de terres rares. Mais des métaux stratégiques : tellure indium et l’argent pour les couches minces par exemple. Vous comprenez pourquoi l’utilisation du terme « métaux rares » n’est pas approprié.
Ensuite il y a le déploiement de ces technologies. Le documentaire prend l’exemple de 2 pays pour présenter un paradoxe : celle des centrales à charbon du Chili, associées aux Enr pour participer à la transition énergétique du pays
Il y a 6 centrales à charbon au chili et une 7e en cours de construction. L’argument pour sa construction est celle de la réduction de la pollution générée par les anciennes installations. Ça se tient mais ça met en exergue une certaine contradiction.
Surtout quand on voit ce graphe @IEA. Oui les ENr augmentent considérablement. Mais ils partaient de presque zéro. Cela risque de prendre du temps avant que le pays ne puisse réduire sa dépendance aux énergies fossiles. La question est de savoir comment ils pourraient en sortir.
Mais cela n’est pas évoqué. Il aurait été intéressant d’avoir une analyse de la situation et de la stratégie à adopter pour sortir de ce paradoxe.
Ce que le reportage met en avant, c’est l’utilisation de charbon pour compenser les faiblesses actuelles de l’utilisation d’ENr.
Il est également évoqué le cas de la Norvège, qui produit une électricité décarbonée mais qui est 7e exportateur de pétrole avec la délivrance de nouveaux permis d’exploitation. C’est un paradoxe parce que le pays se soucie peu des émissions qu’il ne génère pas directement
C’est en tout cas ce que précise le documentaire. La responsabilité des pays qui se disent précurseurs. L’image l’emporte sur les actes. Ce n’est pas lié aux technologies en elle-même, mais bien au comportement des états
Evolution de la production liée à l’activité pétrolière ⤵️
Le documentaire présente les mines d’extraction du graphite et d’autres éléments, notamment en Chine, ou l’impact humain et environnemental est considérable. Je ne remettrai pas cela en cause, pour avoir déjà visité des mines j’ai pu constater ce qui est dit et présenté ici.
Il est finalement question du recyclage des éoliennes et PV en Allemagne. Un intervenant parle de décharges sauvages de pales d’éoliennes « la loi n’est pas assez stricte pour rendre le recyclage obligatoire » selon lui
Dans les faits ce qui est décrit dans le reportage est interdit par la loi en Allemagne (pas mentionné) donc c’est assez étonnant. Comme précisé dans mon thread sur le sujet : https://twitter.com/Kako_line/status/1307738347658452995?s=20
Finalement dans la partie recyclage, il n’est question que des pales. Même si le sujet est à considérer, il aurait été plus complet de préciser que les autres parties de l’éolienne sont recyclables, même s'il reste un travail conséquent sur les pales
idem pour les panneaux solaires ou les éco-organismes en charge de ces sujets se développent. J’en ai parlé pour les PV dans ce thread : https://twitter.com/Kako_line/status/1217925086612795392?s=20
Les terres rares sont effectivement peu recyclées, environ 1%. Cela étant lié à la difficulté d’extraction des alliages. Mais il est plutôt question de réutilisation en attendant que les volumes à traiter soient suffisamment importants pour que le recyclage devienne rentable.
Les technologies futures ou en développement comme le recyclage des pales d’éolienne, des terres rares et le stockage ne sont pas évoquées. Mais je peux le comprendre. Argumenter uniquement sur le futur n’est pas toujours pertinent, parce qu’il est incertain.
POUR CONCLURE, je trouve qu’il manque quelques éléments qui permettraient de nuancer le sujet.
A part ce que j’évoque, le documentaire pose des questions intéressantes dont il faudrait s’occuper. Et c’est ce que j’ai décidé de retenir.
Les termes 'propre' 'vert' ou 'zéro émission' sont du marketing ils trompent le consommateur et il faut arrêter de les utiliser au risque de décrédibiliser des technologies qui sont utiles. On joue trop souvent sur l’amalgame entre impact global et impact à l’utilisation.
C’est malheureusement le problème. Ce n’est pas lié à ces technologies qui font partie de la solution pour réduire les émissions de CO2, avec des taux qui dépendent des pays. Mais bien la manière dont nous considérons la transition énergétique et écologique.
Il est également important que les industriels et les politiques admettent ces impacts, pour qu’ils soient pris en compte dans l’équation. Les ONG ont également leur rôle à jouer. On les entend peu sur ces sujets ce qui est assez incompréhensible. Allô @greenpeacefr? @WWFFrance?
Il est impératif de connaitre les impacts les plus importants d’une solution pour mettre en place des objectifs de moyens de réduction ou lancer des sujets de recherche pour les limiter. L’activité humaine génère de la pollution. Et il est important de le garder en tête
C’est pour cela qu’il n’y a pas UNE solution miracle mais un ensemble de solutions qui permettent de d’élaborer une stratégie : énergétique ou écologique. Changer en partie de modèle de consommation peut faire partie de l’équation
N’oublions pas que la technologie est un moyen et non une fin en soi. Quelle que soit la thématique !
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