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Confidences du soir.
Je ne suis pas prof. Mais je suis quand même tombé dans la marmite quand j'étais petit. L'ancienne génération : l'école normale, les PEGC, le BAFA obligatoire, tout ça... J'ai habité DANS le collège. Quand mes copains sortaient, moi, je restais dedans.

J'ai vécu des banquets de Noël terribles, avec les profs et les agents torchés à plat ventre dans le réfectoire. Les soirées chez MES profs. Les vignerons, à Vouvray, à Bourgueil, avec MES profs. Les repas de famille qui finissaient en engueulades hystériques autour de débats...

...pédagogiques auxquels je ne comprenais rien. Rien si ce n'est que ce métier devait être passionnant puisque réservé à des gens passionnés - dévorés, même... La fierté de mon père quand il racontait ces anciens élèves qu'il avait rattrapés au bord de la sortie de route...

...et qui avaient, d'une façon ou d'une autre, réussi leur vie. J'ai passé le permis de conduire avec l'un d'eux, d'ailleurs...
Je traîne tout ça. Je l'avais un peu perdu de vue. Mon père n'est plus là, mes frères, sœurs, belles-sœurs, beaux-frères, etc. sont à la retraite,

...et avec nos potes profs on parle plutôt... d'autres choses. Mais depuis que j'ai pris ce dossier (2 ans et demi), ça remonte...
Je n'idéalise pas les profs. Au contraire. Je les connais trop bien.
D'ailleurs, "les profs", c'est comme "les journalistes" : ça n'existe pas.

Mais depuis deux ans et demi, je regarde, j'écoute. Toute cette souffrance... Les élèves, broyés. Les familles, paumées. Les profs (et les autres), cassés. Hagards. Christine...

Tout nous montre à quel point plus rien ne va. Que tenter de "sauver" les élèves promis à la poubelle sociale, et triés dans ce but dès les petites classes, c'est comme vider la mer à la petite cuiller. Ce qui se passe, nous l'avons sous les yeux. Nous le savons.

L'Éducation nationale, ça n'existe plus. Cette ambition. Cette fierté. Lacérées. Hachées. Il n'y a plus que de la souffrance, partout. On ne s'engueule plus pour des questions de pédagogie, mais de survie. On est... enfin, ils sont, les profs, dans la survie. Ou dans la routine,

...ce qui revient au même. Blanquer n'est que l'aboutissement d'un processus - que je ferais volontiers partir de la création des IUFM par Jospin, mais bon, c'est pas le propos ici. Il ne fait que récolter ce qui a été semé depuis 30 ans : le choix de ne plus avoir un peuple...

...formé, capable d'autonomie. Point barre. Certes il le fait avec un cynisme, une violence qui dépassent tout ce qu'on a pu connaître. On le voit bien avec le Covid : ses décisions tuent des gens. Il s'en fout. Il va faire le malin, le cœur léger, chez Bourdin ou Demorand.

Pourquoi je raconte tout ça ? Parce que je me sens un peu dépassé. OK, "un journaliste de l'Huma ne devrait pas dire cela"...
On pourrait remplir la moitié du journal tous les jours avec des sujets éduc. Au lieu de ça, je fais la liste de tous ceux que je dois laisser passer,

ou mal traiter. Une brève, pour une histoire qui mériterait 5000 signes... Parfois on a le temps, on a la place, et on est content. Content non pour soi, mais pour celles et ceux à qui on a pu donner la parole. Mais ça se fait rare. Même l'énergie pour le faire...

...est parfois difficile à trouver. Il y a aussi les sujets qu'on foire. Et la culpabilité te tombe dessus.
Pourquoi cette logorrhée un peu trop perso ? Parce que je ne sais plus très bien ce que je ressens. Du blues ? De la fatigue ? De l'indifférence ? Ou de la haine ?

Alors à tout prendre, je choisis la haine. La haine, ça se domine, alors que le désespoir, c'est lui qui te domine. La haine de classe contre la haine des classes (facile...).
Choisissez la haine.