Saviez-vous qu'au XIIIe siècle, le roi Louis IX (= saint Louis) avait installé dans le nord de la France des centaines de Sarrasins convertis au christianisme, qui touchaient des pensions de l'Etat... ? Pour ce #VendrediLecture, un thread autour d'un livre récent ⬇️ ! #histoire
Le livre en question, c'est « La prunelle de ses yeux. Convertis de l'islam sous le règne de Louis IX », écrit par le médiéviste anglais W.C. Jordan et récemment traduit en français par Jacques Dalarun. (Publié par les @editionsehess)
(sur ce livre en particulier et la traduction en général, vous pouvez écouter deux excellents épisodes de l'excellent podcast @parolesdhist :
Sur le livre, l'épisode 155/ https://parolesdhistoire.fr/index.php/2020/10/12/155-saint-louis-et-les-musulmans-convertis-avec-jacques-dalarun/
Sur la traduction, l'épisode 156/ http://parolesdhistoire.fr/index.php/2020/10/12/156-portrait-de-lhistorien-en-traducteur-avec-jacques-dalarun/
Dans ce livre, W.C. Jordan revient sur un élément peu connu de l'histoire de Louis IX. Celui-ci part en croisade entre 1251 et 1254, et, pendant qu'il réside à Acre, il déploie une intense activité missionnaire visant à convertir des musulmans
Rien d'étonnant : c'est à la fois dans la continuité de sa politique globale (notamment vis-à-vis des Juifs ou des prostituées) et en cohérence avec sa mission de croisé, car la croisade est, dès son origine, très liée à l'idée de conversion.
Et ça marche. Les profils des convertis sont nombreux : des prisonniers de guerre se convertissent pour être libérés, des petits nobles qui veulent s'approcher du roi, des gens plutôt pauvres qui espèrent obtenir les très généreux cadeaux que le roi distribue à « ses » baptisés..
Evidemment, ça pose la question de la « sincérité » de ces conversions, mais W.C.Jordan montre que c'est une fausse question. Ce qui compte, c'est qu'il ne s'agit pas de baptêmes forcés, ce que le droit canonique de l'époque interdit fermement.
Au moment de rentrer en France, Louis décide d'y envoyer « ses » baptisés. Il organise donc leur voyage en France, puis leur installation, dans des villes du nord du royaume. L'auteur évalue leur nombre à environ 1500, tous âges et sexes confondus.
Leur arrivée n'a pas dû être facile. On devine par exemple leur choc face à un climat bien plus rude que dans leur Orient natal : dans une source, on voit que le roi ordonne de faire fabriquer des « manteaux de fourrure » pour les distribuer à ses convertis
Car le roi prend grand soin de ses baptisés, qui sont la vivante preuve du succès de son entreprise en Orient. Il leur distribue ainsi des pensions durant toute leur vie, qui sont réévaluées régulièrement pour tenir compte de l'inflation ( #geldupointdindice... ok ok, j'arrête)
Le roi prend également en charge les loyers de ces convertis, et enfin nomme des officiers extraordinaires chargés de veiller sur eux. Ces officiers doivent également veiller à ce que les notables locaux n'abusent pas de ces néo-arrivants, qui n'ont pas de familles ni d'amis !
Les réactions des locaux oscillent entre indifférence, hostilité et amitié : un chanoine de Rouen rédige ainsi un texte dans lequel il note que la Vierge aime tout particulièrement « les Sarrasins », ce qui traduit peut-être sa proximité avec une famille locale de convertis
L'intégration dans la société locale ne se passe pas toujours bien. Plusieurs convertis d'Orléans prennent la fuite : ont-ils cherché à regagner leur lointain Orient ? Peut-on imaginer qu'ils y aient réussi, peut-être en se faisant passer pour des pèlerins ?
En tout cas ce n'est pas leur apparence corporelle qui a pu vendre la mèche : comme le montre l'auteur, à l'époque la couleur de la peau n'est pas pensée ni perçue comme un critère d'altérité. Un ancien musulman converti ne devait donc pas se reconnaître facilement.
La plupart ont dû s’intégrer sans difficultés, voire avec enthousiasme. D’autres ont sûrement fait contre mauvaise fortune bon cœur, encouragés à rester dans le rang par le spectacle des Juifs apostats ou des hérétiques que l’on brûlait régulièrement dans les villes de l’époque.
Pour d'autres, cela se passe mieux. Dans les sources, on croise par exemple un Johann Sarrasin qui devient sergent du guet à Paris, ou encore un Gobert Sarrasin, percepteur des revenus royaux autour de Laon, qui réussit une rare ascension sociale en finissant châtelain !
Ces convertis se font peu à peu une place au sein du royaume, sans forcément oublier leur identité d’origine. Un siècle après, un certain Raymond demande une lettre de rémission en rappelant qu’il appartient à la « lignée des baptisés amenés d’Outremer par le roi Louis »
Le livre est extrêmement bien écrit, appuyé sur des sources rigoureusement étudiées mais aussi sur un usage contrôlé et critique de l'imagination. Une belle leçon de méthode en plus d'être une enquête sur un aspect méconnu de l'histoire médiévale de la France
L'analyse minutieuse de W.C. Jordan permet de répondre à ceux qui rêvent d’une Europe « entièrement blanche » : en 1260, dans plusieurs dizaines de villes du nord du royaume, on trouvait des familles entières de musulmans tout juste convertis au christianisme.
On a là un bel exemple concret permettant de prouver que les sociétés européennes médiévales étaient plus diverses que certains ne voudraient aujourd’hui le penser ou le faire penser... !
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