(1/n) Ce thread sur la gestion économique de la crise par le Gouvernement, qui connaît un certain succès depuis hier, est truffé d’erreurs et d’approximations. Petite tentative de décryptage. https://twitter.com/dav_cayla/status/1325088711147741187
Une remarque d’abord : ceux qui me suivent savent que je formule régulièrement des critiques sur pas mal d’aspects de la politique gouvernementale. Mais il y a une limite entre la critique légitime et la fake news, qui me semble ici franchie par cet enseignant-chercheur.
Sa thèse comporte trois volets.
Le premier consiste à dire que le Gouvernement a fait preuve d’un « déni économique » en plus d’un « déni sanitaire », en « faisant le pari d’un « rapide retour à la normal » après le premier confinement. https://twitter.com/dav_cayla/status/1325088731200708609
Ce « déni économique » aurait eu pour origine une hypothèse angélique : le Gouvernement comptait sur le fait que les ménages allaient « liquider leur épargne accumulée au printemps pendant la période des fêtes ». https://twitter.com/dav_cayla/status/1325088729464250369
Premier problème : ce dernier argument est factuellement inexact. Comme l’indique le Haut Conseil des finances publiques, le Gouvernement a au contraire fait l’hypothèse que les ménages continueraient à épargner davantage, ce qu’il a d’ailleurs qualifié de « prudent ».
Il suffisait pour le savoir de lire les documents du Gouvernement, dont on notera au passage qu’il tablait également sur un maintien d’un taux d’épargne supérieur au niveau d’avant-crise en 2021.
Second problème : quand on compare la prévision de croissance 2020 du Gouvernement avant le reconfinement avec celle des instituts de conjoncture et organisations internationales, elle était parmi les plus pessimistes !
Par rapport à l’Insee et à la Banque de France, le Gouvernement avait construit sa prévision en faisant l’hypothèse d’une rechute très significative de l’activité au dernier trimestre 2020. Il était donc tout sauf dans le « déni ».
Venons-en maintenant au deuxième volet de la thèse de @dav_cayla, qui concerne le plan de relance annoncé par le Gouvernement en septembre.
Celui-ci serait « en trompe-l’œil » car « largement consacré à améliorer la compétitivité des entreprises en baissant leurs impôts ». https://twitter.com/dav_cayla/status/1325088727673282560
Précisons d’emblée que je suis contre la baisse des impôts de production : c’est une mesure permanente non ciblée qui creusera le déficit structurel et bénéficiera à toutes les entreprises, peu importe leur situation financière et leurs décisions (ex : investir ou non).
Mais il est faux de dire que les baisses d’impôts pour les entreprises constituent l’essentiel du plan : elles en représentent 20 %, comme l’indique ce tableau.
Il est également erroné de dire qu’il n’y a rien pour les jeunes diplômés (cf. extrait ci-joint) ou l’investissement public. On peut dire que ce n’est pas assez, que ça pourrait prendre d’autres formes (ex : emploi public) mais on ne peut pas induire ses lecteurs en erreur.
Notons au passage que le soutien budgétaire du Gouvernement, même quand on enlève les mesures de prêts et de garanties, est devenu grâce au plan de relance tout à fait comparable à celui de nos principaux pays voisins.
En l’absence de reconfinement, cela aurait permis d’absorber deux tiers de la perte de revenu de l’ensemble de l’économie. On peut dire que c’est insuffisant, on ne peut pas dire que c’est rien.
Venons-en pour finir au dernier volet de la thèse, qui relève quasiment du complotisme. Plutôt que d’aider les entreprises, le Gouvernement aurait préféré leur faire des prêts avec la complicité du système bancaire, au risque de faire jaillir une armée de « zombies » surendettés.
Quel est l’intérêt pour les banques ? Ce serait « d’engranger des intérêts et une commission » sans prendre aucun risque puisque « en cas de non remboursement, c’est l’État qui paie ». https://twitter.com/dav_cayla/status/1325099267371970561
Problème : la garantie de l’État en cas de défaut de paiement de l’entreprise ne couvre que 70 à 90% des pertes. La banque n’a donc pas intérêt à prêter à des entreprises dont elle sait pertinemment qu’elles feront faillite.
Elle ne risque pas non plus de se « refaire » par le biais des intérêts et commissions puisque le prêt est réalisé à prix coûtant (= interdiction de faire des bénéfices) pour les TPE/PME, qui constituent la très grande majorité des bénéficiaires.
Examinons maintenant l’autre aspect de ce volet de la thèse de @dav_cayla : les prêts garantis par l’État permettraient de « maintenir de nombreuses entreprises en survie artificielle ». https://twitter.com/dav_cayla/status/1325093639475908609
Là, on entre davantage dans le prospectif mais le problème, c’est que les trois arguments avancés par @dav_cayla témoignent, au choix, d’une méconnaissance du sujet ou d’une volonté d’induire en erreur ses lecteurs.
Premier argument : l’endettement des entreprises a explosé entre février et juillet 2020, avec une hausse de 175 milliards. https://twitter.com/dav_cayla/status/1325093636850262016
Problème : @dav_cayla nous dit dans le même tweet (!) que la trésorerie desdites sociétés a augmenté de 170 milliards d’euros. Autrement dit : l’endettement NET des entreprises n’a quasiment pas augmenté.
Pourquoi ? Parce que beaucoup d’entreprises ont largement demandé des PGE « par précaution » sans utiliser l’argent obtenu, qui est resté dans leurs comptes. Peut-être qu’elles le feront au cours des prochains mois mais pour l’instant, l’endettement net n’a beaucoup augmenté.
Deuxième argument : dans sa phase de « déni » en « septembre-octobre », le Gouvernement aurait décidé « d’accélerer la distribution des PGE ». La preuve empirique ? Son amie titulaire d’un magasin de fleurs… https://twitter.com/dav_cayla/status/1325099262343049218
Les données publiées par Bercy lui auraient pourtant permis de constater que le montant total des PGE est de 121 milliards d’euros à l’heure actuelle ( https://www.economie.gouv.fr/covid19-soutien-entreprises/aides-versees-pge#) contre… 118 milliards d’euros fin août. #fakenews
Dernier argument : « l’effondrement du nombre de faillites par rapport à une année normale ne peut s’expliquer que par des prêts à des entreprises non solvables ». https://twitter.com/dav_cayla/status/1325375225886879751
Une simple recherche Google lui aurait pourtant permis de voir que cela s’explique tout simplement par le gel partiel des procédures collectives pendant le premier confinement (levé le 7 octobre dernier), qui visait à laisser le temps aux dispositifs d’aide de monter en charge.
Maintenant qu’on a écarté ces faux arguments, est-ce qu’on a une idée du nombre d’entreprises qui vont aller au tapis sans rembourser leur PGE ?
Avant le reconfinement, l’OFCE tablait sur une augmentation du taux de défaillance d’entreprises de 1,4 point de pourcentage. Il atteindrait 3,2 %, contre « 1,8 % dans un monde sans crise ». C’est significatif mais ce n’est pas non l’armée des zombies. https://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/pbrief/2020/OFCEpbrief73.pdf
Le Gouvernement, pour sa part, tablait sur un taux de défaillance sur les prêts garantis par l’État de l’ordre de 4,6%, sur la base d’une étude de la Banque de France. C’est donc assez convergent.
Le reconfinement va nécessairement conduire à revoir ces constats.
Mais observons qu’il a déjà conduit le Gouvernement à ajouter 21 milliards d’euros de soutien supplémentaire pour distribuer des subventions, annuler des cotisations et financer l’activité partielle. De quoi absorber la totalité des pertes liées à un reconfinement d’un mois.
Bref, on peut dire qu’il faut faire davantage et réajuster les modalités du soutien aux entreprises – je pense pour ma part que désormais il faut privilégier les subventions et les prises de participation plutôt que l’endettement – mais on ne peut pas raconter n’importe quoi.
Il en va de la responsabilité des personnes comme @dav_cayla qui, sur twitter, bénéficient d’une audience considérable.
Post-scriptum : pour ceux qui voudraient lire une critique bien informée et sévère sur les prêts garantis par l’Etat (sous-tarification du risque, difficulté pour l’Etat à se positionner dans les procédures de redressement, desincitation au renforcement des fonds propres)...
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