Je viens de pleurer pour la première fois de 2020, en silence mais devant tout le monde dans le RER, parce que ma playlist aléatoire a soudain joué "Highway to Hell". Et vous ça va ?

Vous savez quoi je vais le "sortir de mon système" comme on dit et après ça promis j'utiliserai ce compte en confinement pour donner (& prendre) recos de livres, films, jeux, captations, musique pour tenir & trouver du sens aux prochains mois, même tout seuls, même enfermés.

Mais là tout de suite je suis tellement en colère putain. Parce que le virus je finis par l'intégrer comme une variable de plus aux dangers de l'existence (en ayant fait des sacrifices plus que conséquents pour la sécurité générale.) Mais les choix débiles évitables, ça rend fou

Parce que les éditorialistes qui viennent en bagnole sur leur plateau télé & pas en RER A surblindé à la Défense peuvent bien prétendre que "si on tombe malade c'est notre faute pas celle du gouvernement" (connard), la vérité c'est que ce pays a des politiques de santé publique.

Bien sûr que des individus ont merdé. Qu'il y a eu des comportements "irresponsables" (parfois pour ne pas devenir fou, je pense) & que je suis en rogne contre les anti-masques. Mais au regard du tout ma colère pour eux est plus diluée qu'un antigrippe homéopathique

Et bien sûr quand je vois sur Envoyé Spécial les Rave Party de débiles (dont des réanimateurs !!) j'ai envie de les aligner sur un mur, de les mitrailler à la sulfateuse de Gel Hydro Alcoolique avant de leur faire passer l'hiver à nettoyer les autoroutes (c'est en extérieur)

Mais la vérité c'est que la majorité des malades sont tombés malades parce qu'on a subi des choix politiques. Celui d*abaisser* les protocoles déjà anémiques des écoles à partir du moment *où ça s'est avéré le 1er lieu de contamination*. Je ne sais pas si on réalise bien

Celui, contredit que très récemment & par une incitation plus tiède qu'une compote-saucisse de cantine scolaire, de vouloir le présentiel à tout prix dans les bureaux. Parce que chacun sait qu'un salarié sans surveillance va juste truander sa boite et ne rien foutre

Ça notez, ça descend beaucoup plus bas que la sphère Gouv-Medef. Ce sont tous nos petits managers sortis de leurs business schools de merde sincèrement persuadés que par essence le salarié est une feignasse. Et pour cause c'est ce qu'on leur a enseigné. Qui réalisent aussi...

que pour pas mal d'entre eux, quand on enlève la dimension de contrôle bête et méchante de leurs subordonnés (vous savez, les gens qui eux, font tourner la machine), leur job de petit manager de merde n'a finalement pas d'utilité au regard du tout.

C'est le cas de ma boîte & ça me rend *dingue*. Notre boulot est sur la sellette, des milliers de gens craignent le chômage post-Covid, se battent comme des dingues pour faire survivre leurs entreprises & MÊME LA ces gens se disent "s'ils sont pas au bureau ils vont rien branler"

On tombe malade & on en est là parce qu'on est dirigé par des gens qui pensent qu'on risque plus d'attraper le virus dans une librairie où on vous désinfecte les mains à l'entrée et on limite à 6 clients simultanés qu'à 200 dans un train pour aller travailler.

On tombe malade & on en est là parce qu'on est dirigé par des gens qui pensent qu'on risque plus à 15 dans une salle de cinéma à X-mille mètres-cubes, à 8 devant la Joconde dans une salle immense, que tous entassés dans une rame de métro pour aller au bureau

On tombe malade & on en est là parce qu'on vit dans un système qui sait bien que All Work & No Play makes Jack a dull boy mais qui s'en fout voire que ça arrange, parce qu'au final c'est pile ce qu'il a besoin qu'on soit, des dull boys.

Je *sais* que tout n'était pas évitable, anticipable, n'empêche que si moi qui n'ait pas fait de maths depuis la L3 y'a 12 ans sait regarder des tableaux et voir que ça arriverait là, ils le savaient aussi. La surprise n'est pas *totale*. On en est aussi là par *bêtise*

Parce que ne pas diminuer la jauge de gens devant prendre le métro dans la ville la plus dense du monde occidental mais mettre un couvre-feu, faut pas être médaillé Fields pour anticiper que ça augmentera la densité. En vrai, ce qui me flingue c'est pas tant le Covid

C'est que le Covid & le confinement 1 ont mis en lumière comme jamais les limites du système, et qu'on a *même pas essayé* de faire autrement en réaction. Parce que les pires conséquences du confinement tenaient aussi à notre façon de vivre avant.

Les transports étaient déjà insupportablement denses avant, nos appartements déjà trop petits, notre temps déjà trop organisé autour du travail, les conditions de boulot des enseignants déjà lamentables, l'état de l'hôpital déjà catastrophique. Le capitalisme déjà mortifère.

Je ne dis pas qu'on aurait pu changer de système par magie entre le 11 mai & aujourd'hui, mais on aurait pu essayer des choses différentes. Vraiment. Rien que pour le travail & les transports on aurait pu essayer tout l'inverse : télé travail par défaut pour tous ceux qui peuvent

Mais ! autorisation de sortir, sur des plages horaires étalés, avec réservations avant, pour aller au musée, au ciné, à la librairie, à l'opéra, à l'escape game, peu importe, dans ces lieux de *loisirs* où les protocoles sont suivis, où le nb de personne qui rentrent est limité

où tracer les chaines de contamination (quasi inexistantes !) est possible. A l'inverse du métro où on s'entasse tous anonymement pour aller rentrer des chiffres dans excel, au bureau sur le PUTAIN DE MEME ORDINATEUR qu'on utilise à la maison et qu'on trimballe tous les jours

Même économiquement notre façon de faire n'a pas de sens. On va flinguer des dizaines de petits commerces et engraisser toujours plus amazon, juste parce que c'est plus important qu'on bosse du bureau que n'importe quoi d'autre. Qu'on bosse que n'importe quoi d'autre.

Alors qu'en vrai, la vie c'est ce que le boulot nous sert à soutenir financièrement. Partager des expériences avec les gens qu'on aime, aller regarder les Tournesols au musée, aller rire & pleurer dans un cinéma aller parler 20 min au libraire avant de choisir un livre

Vous savez je ne suis pas complotiste, je ne pense pas (j'ai un collègue qui en est là) que le MEDEF, le gouv et tous les maillons de cette chaîne misérable organisent sciemment l'avènement du CAC 40 et la mort de tous les autres ou sacrifient des retraités qui coutaient chers

Je pense que ces gens *croient* à leur idéologie, au delà de toute logique même comptable, parce que c'est ça une idéologie. Une religion, à ce stade. Je ne sais pas s'ils y croient pour eux-mêmes, notez. Mais je pense qu'ils y croient pour nous, en bas.

Qu'ils ont une telle vision de nous, de nos cerveaux, de nos capacités à conceptualiser, nous émouvoir, qu'ils nous imaginent sincèrement sur notre lit de mort (à 45 ans d'un covid, à 55 d'un infarctus ou même à 85 avec Alzheimer) à contempler mentalement ce qu'a été notre vie

et qu'ils nous conçoivent si pauvres intellectuellement et émotionnellement, qu'ils nous regardent de si haut et nous pensent si bas, que même à ce moment là sur notre lit de mort ils nous imaginent penser "quand même j'aurais aimé passer plus d'heures au bureau".

On est totalement déshumanisé par ce système et par les gens au sommet qui y croient religieusement. Et le pire c'est que là tout de suite, on ne peut pas agir pour leur donner tort, il faut qu'on joue le jeu parce que même en confinant les chiffres vont être épouvantables.

Mais faut qu'on arrête ce délire tôt ou tard. Et je crois qu'on serait naïf de penser que le confinement lui-même n'aura pas un coût en vies humaines. Faites vraiment très attention à vous, demandez de l'aide, parlez, pleurez aussi. Appelez les gens, tweetez, maintenez un contact

Y'a une part de moi soulagée d'avoir pleuré ce matin et de cramer de colère là tout de suite parce que ça veut dire que je suis pas engourdie, que mes émotions se sont pas éteintes, mais elles vont faire mal un moment et faut qu'on l'accepte.

En ce qui me concerne ça sera pas mon 1er deuil de "la vie telle qu'elle était avant" (un process que tous les malades chroniques avons déjà + ou - fait) et je vous conseille de vous autoriser à le "vivre" pleinement, ce deuil. La suite n'en sera que moins dure à construire.

Sur ce je n'ai pas réussi à changer de job & quitter la santé dans l'entre 2-confinements donc je vais filer pour une fin de semaine totalement démente mais cette fois, vraiment, j'essaierai d'utiliser ce fil pour trouver (& transmettre) tout ce qui peut nous aider à aller bien.