Aujourd'hui on parle d'une plante qui a 2 caractéristiques que j'adore :
- C'est une fabacée et...
- ...une culture orpheline !

C'est parti pour un lupin originaire du cœur des Andes péruviennes !
#thread ⬇️⬇️⬇️
Les lupins font partie de la (très) grande famille des fabacées/légumineuses, dans la sous-famille des Faboideae. On y trouve la majorité des légumineuses cultivées : cacahouète, soja, haricot, pois, lentille, etc.

Source: Koenen et al. (2020)
En UE, la production de lupins est dominée par l'Allemagne, puis Grèce, France, Italie, Lituanie et Espagne.

Source: données FAOSTAT ( http://www.fao.org/faostat/en/#data/QC). Powered by R.
Le genre Lupinus contient pas loin de 300 espèces, dont 3 sont largement cultivées aujourd'hui : Lupinus albus, L. luteus et L. angustifolius (originaires d'Europe méditerranéenne).

Sources: (1) Wiki Commons User:Regissierra; (2) User:Josve05a et (3) photo perso.
L'espèce dont je vais parler aujourd'hui est cultivée de manière beaucoup plus marginale, uniquement dans son aire d'origine, l'Amérique du Sud : L. mutabilis.
Image : http://www.libbio.net/index.php/goals-and-objectives/
Dans les Andes, on trouve environ 80 espèces de lupins, qui ont connu une diversification exceptionnellement rapide ❕

Ça s'appelle une "radiation évolutive" dans le jargon de l'évolution.

Source: Hugues et al. (2016)
Domestication de L. mutabilis à partir de L. piurensis probablement, dans une vallée du N du Pérou. Séparation probable il y a 2600 ans, puis bottleneck (= ↓ diversité génétique par ↓ de la taille de la pop.), puis expansion dans les Andes.

Source: Atchinson et al. (2016)
L. mutabilis en haut, L. piurensis en bas.

Image: Atchinson et al. (2016)
C'était probablement une culture importante des Incas (importante dans les rotations), perdue par la suite avec l'introduction d'autres légumineuses par les espagnols (comme tant d'autres cultures tombées dans l'oubli après la colonisation).
Ce lupin est aujourd'hui répandu dans les régions montagneuses (1500-3800 m) et peu fertiles des Andes.

Importance agricole uniquement en Bolivie (~2000 ha), Équateur (~6000 ha) & Pérou (~10000 ha).

Image: Atchinson et al. (2016)
L. mutabilis présente un potentiel intéressant pour ↑ l'autonomie en protéines de l'Europe. Ses caractéristiques nutritives sont assez similaires au soja, tout en étant plus adapté aux climats tempérés que lui.
Elle pourrait être plus performante que les 3 espèces européennes.
C'est la légumineuse la plus riche en protéines (>40% de la masse sèche !), de grande qualité en plus.
Sa teneur en huile est ± identique au soja, donc aussi valorisable en tant qu'oléagineux.
Le contenu en amidon est très faible, les glucides étant majoritairement sous la forme d'oligosaccharides (=très courtes chaînes de sucres) : stachyose, raffinose. Sa teneur en fibres est très intéressante.
Il ne tolère ni le gel (particulièrement au début de la croissance), ni les températures trop élevées (surtout lors du remplissage des graines). En Europe, il serait donc semé en automne en région méditerranéenne, et au printemps plus au nord.
Avec des risques : au sud, il peut faire trop froid en hiver (début de croissance), et trop chaud lors du remplissage des graines. Au nord : risque de gel au printemps.
Sa domestication est incomplète (culture "orpheline"). Il possède quelques caractéristiques du syndrome de domestication :
- Gousses non déhiscentes (= qui ne s'ouvrent pas à maturité).
- Grandes graines avec une dormance réduite
- Cycle annuel
...mais manque d'autres trait habituels chez les espèces domestiquées :
- Haute teneur en alcaloïdes (goût amer + toxicité)
- Rendement faible (8-13 qtx/ha)
- Croissance indéterminée associée à un étalement de la floraison dans le temps
L'intérêt pour cette plante a commencé dans les années '30, et bien plus sérieusement à partir des années '70.
Aujourd'hui encore, elle a besoin d'être améliorée. Une priorité est son architecture. La plante a un mode de croissance indéterminé, des inflorescences vont donc être produites en continu tant que les conditions environnementales sont favorables.

Source: Gulisano et al. (2019)
Ceci a comme conséquence d'étaler la floraison dans le temps et de gaspiller des ressources dans des inflorescences (jusque 50 !) qui seront au final peu productives.
Il faudrait donc se diriger vers des variétés déterminées, avec UNE grosse inflorescence terminale..sauf que un autre problème apparaît. La plante devient sensible à la verse vu toute la masse au sommet de la tige. Une croissance semi-déterminée serait peut-être un bon compromis.
Ces variétés pourraient fleurir plus tôt et donc éviter la coïncidence du remplissage des graines avec les chaleurs estivales.

Image: Bebeli et al. (2020)
Il se trouve qu'on connaît un gène impliqué là dedans : le gène RB. Il sera donc facile d'intervenir sur ce caractère.
Deuxième priorité pour l'amélioration : la réduction des teneurs en alcaloïdes. Ce sont principalement des alcaloïdes quinolizidiniques (surtout spartéine & lupanine). Les normes européennes limitent leur teneur à 0.02%.

Image: Frick et al. (2017)
Malgré leur problème en nutrition humaine, ils sont bien utiles pour la plante : défense contre les herbivores et ravageurs, allélopathie, réserves d'azote.
Un compromis entre nutrition & agronomie pourraît être de travailler sur le transport de ces molécules à travers la plante pour limiter leur présence aux feuilles seulement.
Moins prioritaire mais cependant utile serait l'amélioration de la couleur des graines - c'est juste une question de goût du consommateur -.

Image: Gulisano et al. (2019)
La présence de protéines et d'huile sont antagonistes : la sélection pour l'un va forcément diminuer la quantité de l'autre. Il faudra donc développer des variétés adaptées à la production d'huile OU de protéines.
La résistance aux maladies est évidemment importantes, surtout contre l'anthracnose qui peut faire des ravages chez les lupins. Également fusariose, mildiou, divers virus (BYMV, CMV, LuMV, AMV). La résistance aux insectes phytophages est évidemment importante aussi.
Comment l'améliorer ? Il y a >3000 génotypes dans des collections en Amérique du Sud, avec une grande diversité de nombreux caractères ! Beaucoup plus peut probablement être trouvé in situ (= dans la nature).
Il y a aussi pas mal de ressources disponibles pour les autres espèces de lupins largement cultivées, facilement applicables à L. mutabilis.
Un projet européen (LIBBIO) se penche sur cette espèce ( http://www.libbio.net/ ), une série de vidéos sur le sujet est disponible ici: http://www.libbio.net/index.php/publications/.
En quoi L. mutabilis serait-il utile en Europe ? Surtout en substitution du soja pour un grand nombre d'applications : concentrés protéiques, substituts de viande/fromage, farine, huile (alimentaire/cosmétique), alcaloïdes en pharmaco, source de pesticides, alimentation animale.
Elle a aussi un grand intérêt agronomique dans les rotations ; sa capacité de fixation d'azote atmosphérique est un record parmi les légumineuses: >500 kg/ha. L'activité de la nitrogénase est particulièrement importante chez L. mutabilis.
Bref, encore une espèce très prometteuse pour l'agriculture de demain !
C'est fini, merci pour la lecture !
J'ai pris particulièrement beaucoup de plaisir à écrire sur ce sujet fascinant.
@threadreaderapp please unroll
You can follow @Hcomosa.
Tip: mention @twtextapp on a Twitter thread with the keyword “unroll” to get a link to it.

Latest Threads Unrolled: