(1/n) Au fait, c’est quoi un confinement à l’irlandaise ? Ça va nous coûter combien ? C’est une bonne idée ? Quelques éléments de réflexion.
D’après la presse, le Président devrait annoncer ce soir un confinement « à l’irlandaise » pour au moins quatre semaines. Ce thread vise à proposer une grille de lecture et des ordres de grandeur pour vous aider à vous faire votre propre idée, pas à asséner des certitudes.
Commençons par le sanitaire. La situation devient critique : comme le note @GuillaumeRozier, au rythme actuel (+50% d’hospitalisations chaque semaine), le pic de la première vague sera atteint par les hôpitaux dans 9 jours. https://twitter.com/GuillaumeRozier/status/1321172207507251208?s=20
Mais à quoi pourrait ressembler ce confinement à l’irlandaise ? Voilà un graphique emprunté à @vincentglad qui résume ses principales caractéristiques.
En gros, l’idée est de préserver l’activité économique en ne fermant pas les écoles et en donnant des autorisations pour ceux qui ne peuvent pas télétravailler. Le reste du temps, on est chez soi. Métro (enfin, plutôt vélo si possible), boulot, dodo.
Est-ce que ça marche ? Difficile à dire pour l’instant car la mesure est entrée en vigueur il y a une grosse semaine seulement.
On peut toutefois voir un impact assez clair sur la mobilité mesurée par Apple, avec une baisse de 20 à 30 points des indicateurs. L’objectif étant de limiter les contacts sociaux, c’est plutôt bon signe.
À l’inverse, le couvre-feu ne semble pas avoir conduit à une tendance aussi nette à la baisse de la mobilité en France jusqu’à présent.
Le problème, c’est évidemment qu’un confinement, ça perturbe davantage l’économie qu’un simple couvre-feu.
Essayons de donner quelques ordres de grandeur. Je répète que ce sont des approximations grossières, pas des prévisions. Mais en l’état, difficile de faire mieux.
Le confinement strict du premier trimestre a conduit à une baisse de l’activité de 30 % en avril. Cela représente une perte de PIB annuelle de l’ordre de 0,3*1/12 = 2,5 %. En gros, 60 milliards d’euros de perte pour un mois de confinement.
Par comparaison, un couvre-feu devrait a priori coûter beaucoup moins cher, car ça pénalise uniquement l’activité nocturne de quelques secteurs (restauration, culture, etc.).
Mais combien coûterait un confinement à l’irlandaise, qui serait moins strict que celui du premier trimestre pour permettre à un maximum de gens de continuer à travailler ?
C’est très difficile à estimer ex ante évidemment mais voilà comment je pense qu’il faut raisonner. En Irlande, l’objectif est que l’activité économique soit maintenue, sauf pour les commerces et services non essentiels, qui sont fermés administrativement.
Cela ressort d’ailleurs très clairement des données de Google sur la fréquentation de ces lieux, qui s’est effondrée en Irlande mais pas en France.
Schématiquement, on pourrait donc se dire que ce nouveau type de confinement va ramener la perte d’activité dans les services marchands au niveau de celle d’avril, tandis que les autres secteurs (industrie, construction, etc.) resteront au niveau d’activité initialement prévu.
Dans les services marchands, la perte d’activité était estimée à 7 % au quatrième trimestre par rapport au niveau d’avant-crise (on remarquera que l’Insee anticipait donc déjà une petite rechute d’ailleurs), contre 29% en avril.
Comme les services marchands représentent 56 % du PIB, un retour pour un mois au niveau d’activité d’avril coûterait donc environ 0,22*0,56*1/12 = 1 % du PIB annuel.
Le coût immédiat de ce mois de confinement "nouvelle génération" serait donc deux à trois fois plus faible qu’un confinement strict mais cinq fois plus grand que le couvre-feu actuel.
Le coût total sera toutefois plus grand car une fois le confinement terminé vous ne retrouvez pas instantanément le niveau d’activité d’avant-crise. Je dirais qu’on peut au moins doubler cette perte, compte tenu du rythme de reprise observé après la fin du premier confinement.
Si on part sur une perte de PIB de 2 points, soit 50 Md€, que peut-on en déduire ?
Historiquement, l’élasticité du déficit public à l’activité est de 0,63 en France. 2 points de PIB en moins, ce serait donc une hausse du déficit de l’ordre de 1,3 point de PIB.
Pour le chômage, l’élasticité à l’activité est de 0,37 en France. 2 points de PIB en moins, ce serait donc une hausse du chômage de 0,7 point. Un peu moins de 200 000 destructions d’emplois, même si l’activité partielle pourrait permettre de réduire la voilure à court terme.
Mais pas si vite ! En réalité, le coût du reconfinement, ce n’est pas la chute de l’activité qui sera observée par rapport à la situation actuelle. C’est la chute d’activité supplémentaire par rapport à une situation contrefactuelle où aucune décision n’aurait été prise.
Or, on sait que lorsque les contaminations explosent, les gens décident volontairement de réduire leurs interactions sociales. Dans quelle proportion ?
D’après le FMI, environ la moitié de la baisse d’activité enregistrée lors de la première vague s’explique par une distanciation sociale volontaire, et le reste par l’effet propre du confinement.
À titre d’ordre de grandeur, on peut donc considérer que même en l’absence de reconfinement, on aurait connu une chute d’activité correspondant à la moitié de celle que l’on va connaître.
Venons-en enfin à une dernière question. Est-ce que ça vaut le coup ?
Schématiquement, les économistes comme @CGollier proposent de réfléchir à ce problème de la manière suivante : il faut comparer le coût du reconfinement à la valeur que l’on attache aux vies sauvées par ce dernier.
Cela pose plusieurs problèmes. D’abord, quel prix attacher à la vie humaine ?
En France, on considère pour évaluer les investissements publics qu’il faut attacher à chaque vie sauvée une valeur de l’ordre de 3 millions d’euros et pour chaque année de vie gagnée une valeur de 130 000 euros.
Les quelques études que j’ai vu passer sur l’espérance de vie des personnes décédées du Covid suggèrent qu’elles auraient pu vivre une petite dizaine d'années de plus. Donc à titre d’ordre de grandeur, on devrait accepter de payer environ 1,5 million d’€ pour chaque vie sauvée.
Pour chaque point de PIB d’activité perdue, il faudrait donc au moins réussir à sauver 15 000 vies.
Cela amène à un second problème majeur. Combien de vies seront sauvées par le reconfinement ? C’est probablement le point sur lequel il est le plus difficile de faire des analyses.
Schématiquement, deux camps s’affrontent, comme l’a bien résumé @BayesReality dans ce thread : https://twitter.com/BayesReality/status/1321137920728813575
Certains considèrent que le vaccin arrivera bientôt et que reconfiner maintenant permettra donc de sauver beaucoup de vies.
D’autres, à l’inverse, considèrent qu’on s’en sortira uniquement par l’immunité collective et que le reconfinement ne permettra donc pas de sauver beaucoup de vies (en gros, uniquement les vies supplémentaires perdues du fait de l’engorgement des hôpitaux).
Mentionnons enfin une dernière question à se poser : existe-t-il d’autres solutions qui permettraient de sauver autant de vies à moindre coût pour l’économie ?
Cela supposerait toutefois de pouvoir réellement les couper du reste de la population et soulèverait des questions éthiques et juridiques complexes, surtout qu'on ne sait pas combien de temps va durer l'épidémie.
Comme vous le voyez, les décideurs font donc face à des choix très difficiles, dans une situation d’incertitude radicale et avec très peu de précédents. D’où ma question pour terminer : à leur place, qu’auriez-vous fait ?
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