Comment le changement climatique a totalement modifié les habitudes et les pratiques des viticulteurs en à peine 60 ans ? Comment est-on passé de raisins à peine mûrs et froids à des raisins trop mûrs et trop chauds ? #ThreadViti #ThreadAgri poke @agritof80
Pour commencer, tout ceci est issu de projets réalisés dans le cadre de mes travaux à l’Institut Français de la Vigne et du Vin ( @vignevin) et des données du Laboratoire de Touraine.
En 2018, Théotime Robin et moi-même, travaillons sur le sujet du vignoble de demain, et commençons par caractériser, le vignoble d’hier et d’aujourd’hui : comment observer l’éventuel impact du changement climatique sur les raisins ? C’est parti !
Au « Laboratoire Départemental et Régional d'Analyses et des Recherches d'Indre-et-Loire », dirigé par (le légendaire) Jacques Puisais depuis 1959, on analyse des raisins de tout le département. Et Etienne Carré nous a permis de « fouiller » dans cette mine d’or…
On a accès à TOUTES LES ANALYSES des raisins du département. Il y a beaucoup d’AOC dans le département, de cépages, donc de maturités différentes au même moment. On choisit arbitrairement le Cabernet franc (enfin j’insiste…parce que je suis de Bourgueil).
Sur un gros fichier Excel, la moyenne hebdomadaire de TOUS LES ECHANTILLONS de TOUS LES RAISINS de Cabernet franc, déposés au Laboratoire par les viticulteurs du Département d’Indre et Loire DEPUIS 1959. Merci Etienne Carre du LDT pour le fichier !
Ce SUPERBE jeu de données est constitué de 2 variables.
Le taux de sucre (TAVP) et l’acidité totale (AT) : la somme de tous les acides, exprimés en g d’H2SO4/l. Quand le raisin mûrit, son taux de sucre augmente, et son acidité, baisse !
Simple, basique.
Pour le sucre, à 9-10° ce n’est pas mûr, et à 12,5°, il y a assez de sucre pour faire des vins à 12,5° d’alcool. Pour l’acidité, elle baisse au fur et à mesure de la maturité, 7 c’est trop acide, 4, trop peu.
Ces analyses sont moyennées le mercredi avec les échantillons reçus et analysés depuis le dernier jeudi. Ça va, c’est clair ? Accrochez-vous, on arrive à la partie amusante…
Avec la date de début des moyennes, et la date de fin des analyses, on peut même déterminer à plus ou moins 6 jours, la date moyenne de vendange des Cabernet franc dans le département depuis 1959 !! Il n’y a que moi que ça excite ?
Et là, premier constat flagrant : dans les années 1960, on analyse des raisins de Cabernet franc jusqu’à fin Octobre (le 28 Octobre en 1965), alors que depuis les années, 2000, en Octobre, il n’y a plus de rien à analyser, les raisins ont été récoltés, à part en 2012 et 2013.
Pour simplifier, si on découpe les données en deux périodes 1959-88 et 1989-2017, les Cabernet franc sont vendangés, aujourd’hui, une bonne vingtaine de jours plus tôt que « dans le temps » et malgré cette avance, ils sont beaucoup plus mûrs.
Dans les années 1960, 70, 80, les raisins ont du mal à atteindre le taux de sucre de 10,8°… parfois, en 1959, 1961, 1976, 1982 : 4 fois en 23 ans… et puis entre 1989 et 2017 ? 26 années sur 28.
« Avant » on ajoutait du sucre (oui oui… ça s’appelle la chaptalisation et c’est autorisé dans une certaine limite), maintenant, certains viticulteurs se posent la question de vendanger « trop» tôt pour ne pas avoir des vins trop forts en alcool…
Car malgré ces 20 jours d’avance, les raisins étaient récoltés, « à l’époque », « à peine mûrs » voire, pas mûrs du tout (<10° de sucre) jusque dans les années 1990. Maintenant, ils sont récoltés à plus de 12° ou 13° !
Quand on jette un œil à l’acidité totale, la tendance est la même… pour faire des vins de Loire, on a besoin d’acidité, mais pas trop… dans les années 1960-70 et 80, on récoltait des raisins acides, voire très acides (<5,1 d'AT) … souvent… à part 3 fois en 28 ans.
Depuis 1989-90, les raisins sont moins acides, voire, plus assez acides ! Les équilibres sucres/acides sont déterminants pour décider des vinifications et des vins que l’on veut faire, des vins qui plaisent et qui se VENDENT, tout ceci ayant aussi changé sur cette même période.
Pour résumer ces données, qui peuvent être opaques pour les non-initiés : à une même date calendaire, un cep de vigne, du même cépage, poussant dans le même département, a, en 50 ans, des fruits beaucoup plus mûrs : +3,5° « de sucre » et -2,5 points « d’acidité »
On pourrait résumer ces 3,5° de sucres gagnés et ces 2,5 points d’acidité perdus comme équivalents à environ 3 ou 4 semaines de photosynthèse de la plante… et ces tendances ne vont pas en s’arrangeant.
Car cette tendance s’accentue, les journées de Septembre sont nettement plus efficaces, physiologiquement et "photosynthétiquement" parlant que celles d’Octobre : le soleil est présent bien plus longtemps, et les températures y sont plus élevées.
Les viticulteurs doivent donc vendanger, plus tôt dans la saison, mais aussi plus tôt dans la journée, car vendanger en Septembre implique de vendanger sous 20-25°C et ça, les microorganismes s’en donnent à cœur joie !
Dans les années 1990 je me rappelle, enfant, voir mon père et mon oncle réchauffer des cuves "pour qu'elles partent en fermentation". Et maintenant voir mon frère vendanger la nuit pour éviter les chaleurs des journées de Septembre.
Les fruits, une fois récoltés, sont la cible, la niche écologique de tout un tas de levures et de bactéries que les viticulteurs préfèrent voir en dehors de leurs chais.
Pour tenter de maîtriser ces flores afin de faire du vin, le contrôle de la température des cuves, et divers leviers "interventionnistes" sont des outils nécessaires, mais ça, c'est une autre histoire !
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