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Je suis l’un des 34 signataires de la lettre en faveur de la liberté universitaire à l’Université d’Ottawa. Je suis professeur de philosophie et de traduction. Cet automne, j’enseigne en ligne à plus de 400 étudiants.
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J’ai reçu un grand nombre de courriels de soutien, mais aussi de haine pure. Aucun collègue de mes deux départements ne m’a écrit sur ma prise de position publique. Toutefois, on m’a écrit de Paris, de Milan, de Genève.
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Le 22 octobre, mes assistants m’avertissaient qu’une fronde se préparait pour mon cours du soir. Dans le clavardage du cours, on demandait des comptes.
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J’ai donc parlé à mes étudiants durant ce cours du jeudi. Après tout, un cours de Pensée et raisonnement critique ne devrait pas être étranger aux questions qui secouent uOttawa.
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D’abord, les mots sont les outils de la pensée. Ne pas les utiliser, c’est s’empêcher de construire la connaissance et nommer le réel. Éliminer un mot, c’est s’interdire de le comprendre et de saisir sa réalité concrète, son contexte.
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Jeune étudiant en Allemagne, j’avais suivi un cours d’histoire : montée du nazisme et discours antisémites. Des confrères étaient juifs. Il n’y a jamais eu de problème. Nous avons analysé la rhétorique antisémite et appris beaucoup.
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« On ne peut comparer la souffrance des Juifs et des Noirs ! » m’interpelle une étudiante. « Les Juifs n’ont souffert que 3 ou 4 ans durant la guerre ». Bon. Comment dire ? Par où commencer ?
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J’ai répondu qu’elle se trompait à peine de 2000 ans et que l’on ne devait pas évaluer les souffrances avec une règle. Pour l’humanisme, chaque larme compte.
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Ensuite : au Cégep, en 1984, j’ai fait un cours intitulé Race et racisme. Le professeur Blondin, une autorité, nous a bien fait comprendre que l’humanité est une et qu’entre le noir ébène et le roux, les nuances sont très nombreuses.
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« Où commence le fait d’être noir ? Où celui d’être blanc ? », avait-il lancé. Aucun scandale. Seulement de la gratitude envers un bon prof.
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Le concept de race apparaissait comme une mauvaise façon de penser nos rapports sociaux : entre un noir ébène et un roux, aucune conciliation possible. La différence de couleur divise.
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Toutefois, être noir, ou blanc, c’est plus qu’une couleur de peau : c’est aussi une culture, un être-au-monde. Et si je ne peux devenir noir de peau, par la culture — grâce à elle — pourquoi pas ? Par la culture on devient autre.
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C’est par la culture que nous touchons à notre humanité commune. « Je suis un écrivain japonais » dit Laferrière. C’est donc par la culture qu’il conviendrait penser les rapports sociaux.
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Cela étant : « Pourquoi ne serais-je pas noir ? » ai-je dit à mes étudiants. L’extrait vidéo, copié sans permission, est alors mis en ligne. Le tam-tam de haine commence.
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Sur le clavardage du cours : « fucking stupid », “His an idiot”, “I hate him”, “My hole body is shaking in anger” et surtout : « Can someone go off on him?”. Sur la toile : on exige le retrait de mes publications et du PH.D. (??!)
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Je n'ai jamais prononcé le mot du jour.

Tout cela a des allures de 1933. Quoi que tu dises ma négation est prête, car c’est toi que je nie.
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