Comme secouriste, je pourrais classer l'humanité en deux classes : ceux capables passer dans un "mode d'urgence", et les autres.
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Par exemple, j'ai eu un patient avec un bras cassé dont la première préoccupation était qu'on ne découpe pas son précieux blouson en cuir pour accéder à sa blessure. On a fini par négocier le compromis de trancher méticuleusement les fils des coutures.
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Une autre fois, j'ai eu une patiente avec suspicion d'hémoragie intra-cranienne, dont le copain était paniqué à l'idée qu'elle ait pu se casser une côte
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(la côte aurait été douloureuse mais sans autre conséquence et on ne peut rien y faire de toute façon. L'hémoragie, ça aurait été une patiente en train de me claquer dans les mains, et de la chirurgie nécessaire de toute urgence)
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Encore une autre fois, un patient était tombé de 5 ou 6 mètres les pieds les premiers sur du béton, se fracassant les deux chevilles. A l'arrivée des secours il n'a pas voulu qu'on lui pose une voie veineues parce qu'il avait "peur des piqures"
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(Indice : avec des blessures pareilles, c'est pas la piqure qui lui aurait fait le plus mal)
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Et encore une autre fois, j'ai eu un patient avec
1) suspicion de lésions à la colone vertébrale ET
2) en train de se noyer dans son sang et son vomi.
La formation dit qu'il faut mettre en PLS pour 2) et ne surtout pas toucher pour 1).
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1) suspicion de lésions à la colone vertébrale ET
2) en train de se noyer dans son sang et son vomi.
La formation dit qu'il faut mettre en PLS pour 2) et ne surtout pas toucher pour 1).
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Mes collègues étaient pétrifiés par la contradiction. J'ai pris l'initiative et fait mettre en PLS (avec une procédure adaptée, quand même), parce ce que pour moi la hiérarchie dans l'urgence était claire : risquer une paralysie, ou la mort immédiate.
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Dans tous ces exemple, je vois autour de moi des gens qui sont ou non capables
1) de reconnaître que les circonstances sont devenues exceptionnelles. C'est le moment où prend la décision d'ouvrir les fournitures à usage unique, voire de casser des trucs
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1) de reconnaître que les circonstances sont devenues exceptionnelles. C'est le moment où prend la décision d'ouvrir les fournitures à usage unique, voire de casser des trucs
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par exemple découper des vêtements, défoncer des vitres ou des portes pour accéder aux blessés. Oui normalement c'est interdit de faire ça mais là il y *urgence*.
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La deuxième qualité, quand on s'est rendu compte de l'existence de l'urgence, c'est de déterminer quoi faire. Reconnaître les priorités, c'est-à-dire choisir quoi sauver et quoi sacrifier à cet effet.
Vous devrez faire ce choix : a minima, vous allez sacrifer du matériel
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Vous devrez faire ce choix : a minima, vous allez sacrifer du matériel
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On est formés à des situations-type (le massage cardiaque, le défibrilateur, la PLS, etc.).
Ces gestes sont des outils dans une trousse, et en situation réelle ça ne sera JAMAIS aussi clair qu'à l'entraînement.
(12/n)
Ces gestes sont des outils dans une trousse, et en situation réelle ça ne sera JAMAIS aussi clair qu'à l'entraînement.
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Par exemple, dans le feu de l'action vous n'attraperez jamais le poul d'un patient. C'est trop tendu pour ça.
La moitié des cornichons va paniquer en imaginant que le patient est en arrêt cardiaque (alors qu'il respire...)
(13/n)
La moitié des cornichons va paniquer en imaginant que le patient est en arrêt cardiaque (alors qu'il respire...)
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l'autre moitié des cornichons va prendre le poul du patient avec le pouce et trouver son propre poul. Avec cette technique vous trouverez un poul à une table.
(14/n)
(14/n)
Si un patient est vraiment mal, c'est qu'il y a eu un accident, donc une situation qui a causé les blessures. Le patient n'est pas en isolation.
Le secouriste doit assembler les gestes-types et d'autres mesures ad hoc pour construire une procédure adaptée au cas.
(15/n)
Le secouriste doit assembler les gestes-types et d'autres mesures ad hoc pour construire une procédure adaptée au cas.
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Et il doit le faire LÀ TOUT DE SUITE, sinon un patient peut mourir. Parfois l'équipe de secouristes aussi.
On se retrouve par exemple à masser sans défibriller pour éloigner un patient d'une station d'essence.
(16/n)
On se retrouve par exemple à masser sans défibriller pour éloigner un patient d'une station d'essence.
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Bref, ces deux qualités (savoir déclarer une urgence, et savoir conduire une intervention en fonction des priorités) ne sont pas aussi courantes que je souhaiterais.
Et j'ai l'impression que dans la crise sanitaire du Covid, ça se voit beaucoup.
(17/n)
Et j'ai l'impression que dans la crise sanitaire du Covid, ça se voit beaucoup.
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La procrastination à déclarer l'urgence ("allez donc au théatre ! Euh non en fait, restez plutôt chez vous"), à reconnaître l'imminence d'une 2e vague, c'est le déni d'urgence. On n'aura pas le beurre et l'argent du beurre, il faut se préparer à choisir.
(18/n)
(18/n)
Ensuite, il faut voir *quoi* choisir.
Le discours à base de "sauver l'économie" est comme refuser de mettre le patient qui se noie pour préserver sa colonne vertébrale : vous aurez une belle colonne vertébrale intacte sur un patient mort, bravo !
(19/n)
Le discours à base de "sauver l'économie" est comme refuser de mettre le patient qui se noie pour préserver sa colonne vertébrale : vous aurez une belle colonne vertébrale intacte sur un patient mort, bravo !
(19/n)
Le refus de laisser les gens télétravailler, les réunion de plus de cinq personnes interdites mais on maintient les cours en présence, les exceptions pour la Culture...
(20/n)
(20/n)
ce sont des demi-mesures ou des absurdités qui répondent non à la situation, mais à des préoccupations ou des habitudes devenues hors de propos. C'est l'équivalent de mon patient avec une fracture au bras mais qui ne veut surtout pas abimer son blouson.
(21/n)
(21/n)
On a besoin d'un esprit d'initiative dans la population générale, et j'ai peur qu'il soit peu répendu. D'ici à ce que nouvelles habitudes adaptées ne mettent en place, il faut que les rares gens capables d'initiative aident les autres à reconnaître les priorités.
(22/n)
(22/n)
Ça implique par exemple que les autorités ne doivent pas hésiter à dire quoi faire, ou ne pas faire. Je vois hésiter de peur de créer des paniques ou de l'indifférence en prenant des mesures exagérés ou prématurées. Ça néglige que les consignes donnent aussi de la clarté.
(23/n)
(23/n)
Et il faut aussi donner aux gens qui ont des compétences nécessaires dont on manque les moyens de se rendre utiles. Mobiliser pas seulement sur la base de la bonne volonté, mais aussi en donnant des ordres qu'on puisse opposer aux hiérarchies habituelles.
(24/n)
(24/n)
Si on veut pouvoir passer en "économie de guerre", il faut se donner les moyens de prélever de leurs occupations habituelles les gens et les institutions utiles pour les affecter à l'urgence.
Les ordres ne servent pas à *imposer* ce mouvement, mais à le *permettre*.
(25/n)
Les ordres ne servent pas à *imposer* ce mouvement, mais à le *permettre*.
(25/n)
Comme sociétés, nous avons tellement perdu l'habitude de penser en terme de mobilisation que ça va nous prendre du temps et de gros efforts pour nous remettre en forme. Et il serait sage de le faire parce que la crise sanitaire va s'accompagner de crises politiques.
(26/26)
(26/26)
PS: je vois que le thème "critique des autorités" (et peut-être l'idée qu'il y a des cas où on peut casser des trucs ?) a attiré des Gilets Jaunes, alors je vais clarifier le point-là
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les Gilets Jaunes ont commencé par une révolte (~10aine de morts) contre des mesures anti-pollution, et a continué en se faisant récupérer par le pire de l'extrême-droite internationale.
Ce sont les dernières personnes à créditer d'avoir un sens des perspectives.
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Ce sont les dernières personnes à créditer d'avoir un sens des perspectives.
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PS 2 : je râle sur les autorités, parce qu'en t convaincant peu de gens on obtiendrait de grands effets. Ça ne dédouane absolument pas la population d'abrutis au nez qui dépasse du masque, ou pire qui font la fête. Bien souvent des privilégiés, d'ailleurs.