Dans son dernier ouvrage, l'historien de la médecine Olivier Faure entend réhabiliter les officiers de santé qui jouèrent un rôle important dans la médicalisation des campagnes françaises durant la première moitié du XIXe siècle. L'apport est considérable.
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Cette étude est le résultat d'une longue maturation. Elle a été précédée d'un article dans le livre collectif "Médecine et santé dans les campagnes" et d'une monographie d'un officier de santé accusé d'exercice illégal de la médecine dans les monts de Tarare: Jean-Pierre Françon.
Les officiers de santé occupaient une place inférieure à celle des docteurs en médecine. Ils remplacèrent les chirurgiens du XVIIIe siècle dans les bourgs et villages : officialisé en 1803, le statut fut supprimé en 1892. Sur l'évolution de ce statut,voir:
http://dicopolhis.univ-lemans.fr/fr/dictionnaire/o/officiers-de-sante.html?fbclid=IwAR0d4Sm6kz3Z7UWKhwqqavUFSlOHwFOWPG4kFBfiy3s7dfDcpuzNxKSGLSw
L'approche est résolument sociale : elle croise trajectoires individuelles et analyses quantitatives. Elle met en évidence les origines rurales et modestes de la majorité des officiers de santé : O. Faure insiste sur la capacité des campagnes à susciter des vocations.
Cela résulte d'une demande de soins dont toute l'œuvre antérieure de l'auteur s'est attachée à montrer les modalités dans et hors de l'hôpital. Émergent ainsi rebouteux, dentistes, occulistes, "experts" désignant dans ce cas des personnes aux compétences réelles mais étroites.
Le premier XIXe siècle est un temps de transition : le statut d'officier de santé recouvre de multiples situations et des compétences inégales. Cette "pénombre médicale" permet de réfléchir à ce qui légitime ou au contraire discrédite le rôle des soignants.
Les règles juridiques et la sanction des jurys médicaux départementaux empêchent rarement l'exercice de la médecine pour ceux qui font preuve de persévérance, surtout s'ils ont l'appui de notables locaux et d'une partie de la population.
À l'opposé, il est tentant de dresser une barrière entre les officiers de santé et ceux désignés comme charlatans ou empiriques. O. Faure refuse de reprendre ces termes à son compte et préfère celui d'amateurs : les situations sur le terrain montrent l'hybridation des positions.
Au-delà de ces grandes lignes, l'ouvrage offre de nombreux exemples de cas spécifiques : femmes exerçant des professions de soin en marge de la légalité (hors sages-femmes et religieuses), bourreaux reconvertis, amateurs devenus des célébrités...
La formation et la réception des officiers de santé font l'objet des chapitres 6 à 8 : croisant pratique et théorie, l'apprentissage s'effectuait auprès de médecins, dans un cadre hospitalier et/ou dans les écoles de médecine créées en 1807. Les parcours étaient variés.
L'analyse des cours reçus, des expériences acquises et des examens passés permet de conclure à la réalité des compétences maîtrisées malgré l'hétérogénéité des cas. Le mépris des docteurs en médecine ne doit pas être pris à la lettre. Les jurys étaient d'ailleurs pragmatiques.
La présentation de copies de candidats à l'officiat de santé est d'autant plus intéressante qu'elle montre une vraie culture médicale, parfois une culture classique, des qualités d'écriture et des capacités de raisonnement totalement en phase avec les attentes de l'époque.
La situation sociale des officiers de santé est en revanche souvent très modeste : difficulté à s'installer dans un lieu adapté et à se constituer une clientèle, concurrence entre eux et avec les médecins, dénonciations réciproques et procès...
Si la demande de soins est réelle, elle n'est pas toujours suffisante pour assurer une activité régulière et un niveau de vie correct à tous. La nécessité de repasser un examen et de payer des droits pour changer de département montre aussi la force du contrôle sur la profession.
La nature des interventions est très classique et s'inscrit dans un cadre thérapeutique identique à celui des docteurs, avec dans certains cas des participations aux structures hospitalières et d'hygiène publique. La vente de remèdes est en principe réservée aux pharmaciens.
En pratique, les officiers de santé ont souvent des officines ou travaillent en lien avec des pharmaciens. La question de la légalité des interventions est au cœur des archives consultées : seules les affaires donnant lieu à requête ou plainte remontent au ministère concerné.
De cette situation complexe ressort une certaine confusion :maires et préfets proches du terrain connaissent le rôle et la nécessité des officiers de santé. L'État ne sait pourtant pas tirer pleinement profit de leur expertise et mène une politique conciliante mais peu cohérente.
Il est notamment incapable de construire une géographie médicale au service de l'ensemble de la population et finit par céder aux pressions des docteurs qui exigent dès la fin de la monarchie de Juillet la suppression de ce statut inférieur et néanmoins concurrent.
Diversité des soignants, importance du terrain et de la pratique, difficulté des autorités à arbitrer entre libéralisme et contrôle social, difficulté à définir sur le long terme une politique médicale adaptée aux besoins des espaces ruraux :
nous restons tributaires des apports et des limites de ce temps de refondation des territoires de la santé.Conçu pour surmonter le désordre créé par la libéralisation des professions de santé sous la Révolution,le statut d'officier est victime d'un manque de volonté politique.
Il faut donc lire "Contre les déserts médicaux" : pour la qualité et la précision des apports historiques / pour l'empathie de l'auteur à l'égard de ceux qu'il étudie (c'est une leçon de méthode) / pour réfléchir à nos besoins en matière d'encadrement médical hier et aujourd'hui.
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