Me suis réveillé trop tôt ce matin en pensant à faire ce fil sur les caricatures et l'enseignement de la tolérance. J'ai l'âge de Samuel Payat, je faisais jadis son métier, et j'ai infiniment de tristesse. Mais aussi de colère par rapport à la confusion totale qu'on fait...
Enseignant, je n'ai jamais utilisé ce genre de caricatures (c'était avant les "affaires" des années 2000 là dessus, d'ailleurs) et, si je l'étais, je ne le ferais pas - et je ne dis pas ça pour critiquer S.P bien entendu, ou donner une "excuse" à son assassin et autres fanatiques
D'abord, pour une raison d'efficacité, et c'est à mon sens la plus importante. On ne fait pas réfléchir en activant les réflexes de défense et d'hostilité. On éveillera mieux à la critique et la liberté en montrant une satire non-hostile, ou simplement en PARLANT sans MONTRER
C'est aussi lié, à la fois du point de vue de l'efficacité ET de celui de l'éthique à la nature précise de CES caricatures sur Mahomet etc. La caricature est un outil puissant de subversion quand elle est faite de l'intérieur. Réalisée de l'extérieur, c'est d'abord une insulte
Les caricatures dont on parle (Danoises, de Charlie) sont dessinées par des auteurs dont l'islam n'est ni la religion actuelle, ni celle d'origine familiale, ni la religion dominante dans leur pays, etc. Et, pour celles de Charlie, elles sont largement scatologiques.
En d'autres termes, elles viennent (pour les musulmans ou ceux dont la famille ou les origines sont à quelque degré musulmanes) "du dehors" et il est difficile de les percevoir comme autre chose qu'une insulte. Et une insulte de cour d'école, dans le cas de la scatologie.
La scatologie n'est pas satirique, surtout quand elle s'exerce contre un "autre" extérieur et généralement plus faible, elle est plutôt assimilable à l'insulte de la brute qui tabasse les autres à l'école. Ce n'est pas sans importance, oh non!
Celui qui reçoit cette insulte "dans la gueule", il n'a aucune chance de s'ouvrir au dialogue, au questionnement, à la tolérance. Il perçoit juste un coup de poing, une insulte de plus, un manque de respect total. Ces caricatures n'ont rien de subversif (ça a été dit et redit)...
...et les utiliser pour enseigner ne peut être IMHO que contre-productif. Et ce n'est pas d'abord parce qu'elles s'attaquent au sacré, mais parce qu'elles viennent du dehors, tapent du haut vers le bas, et sont scatologiques, ce qui encore une fois a une importance énorme
En fait la majorité des caricatures "danoises" d'origine seraient plus pertinentes car moins injurieuses/scatologiques - mais elles sont aussi "du dehors". Si on veut amener quelqu'un à remettre en question les certitudes (fragiles) qu'on lui a inculquées, il faut montrer que...
...SOI MÊME on peut ironiser sur soi et sa propre culture, d'abord...donc que sais-je: sur les profs, ou des traits de la culture dominante (on pourrait en faire sur le patriarcat, peut être?!). Et on peut PARLER sans MONTRER, aussi, de la possibilité des dessins "sacrilèges"
Là, on a une vraie chance de faire naître un doute, un questionnement, une ouverture. On peut aussi montrer des caricatures avec une vraie dimension sociale et politique: des caricatures iraniennes, égyptiennes, algériennes etc. "dissidentes"...montrant hypocrise ou corruption
Y compris de la part des religieux. Car il est IMHO bien plus intéressant de caricaturer "les religieux" (au sens de clergé et de gens qui "capturent" la religion pour leur intérêt) que Mahomet ou Jésus ou etc.
Quand Voltaire se moque des religions, il ne met pas en scène les prophètes ou divinités des autres (dans Mahomet, la pièce de théâtre, il ne se moque pas), mais les religieux ou dévôts ou bigots, et leur absurdité.
Car finalement, et ce sera mon dernier point, se moquer du sacré est sans doute le plus agressif, et le moins pertinent, et le plus discutable. Moquons nous des hommes (et femmes) dans leur ridicule, leur arrogance, leur corruption, leur intolérance, leur hypocrisie...
Enseignons le questionnement et la subversion. Mais la moquerie contre le sacré, on ne peut la faire que soi-même sur son propre sacré. Le faire sur celui des autres, c'est inévitablement une injure. Or on doit apprendre que l'injure n'est pas passible de mort, certes! ...
...Mais ça ne veut pas dire qu'on doit enseigner l'injure comme une valeur aussi transcendante que le sacré qu'on moque. Et on n'a aucune chance d'enseigner la tolérance en insultant. Donc non seulement le matraquage de ces caricatures est éthiquement problématique...
...mais il est totalement contre-productif. Cela ne veut en rien dire que S.P. a fait une erreur (il a fait ce qu'il pensait adéquat, du mieux qu'il pouvait) ni que cela excuse le geste. Mais (en plus des excellentes réflexions l'autre jour de @noemie_issan sur la radicalité de..
...la jeunesse) il est clair qu'on n'atteindra aucun résultat ainsi. On ne fera que renforcer le conflit, l'aliénation, l'hostilité, l'incompréhension. Enseigner la tolérance et l'ouverture, et la dérision, passe par le respect, pas l'insulte.
Et je crois que ça rencontre plusieurs des réflexions faites par / discussions menées avec plusieurs personnes chères sur ce réseau, comme @noemie_issan justement, @mahaut_h ou @Lutraepicurea etc.

Je ne suis pas croyant, ni même baptisé, et de parents eux mêmes "hors églises"
(et moitié catholique, moitié protestant, d'origines). Je suis marié à une femme d'origine musulmane mais avec 0% de pratique religieuse depuis sa plus tendre enfance. Mais je comprends le sentiment du sacré. Je le ressens, aussi. Il a son importance. Et le piétiner n'aide pas
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