Si vous pensez que le néo-libéralisme est simplement un projet ou une doctrine économique, vous n'avez pas compris à quoi vous avez affaire. C'est un projet anthropologique, un projet total, qui vise à transformer la vie dans son intégralité, dans tous les domaines, afin de créer
un type d'être humain précis, correspondant à ses normes. Et le théâtre central de la révolution anthropologique néolibérale, c'est le travail. C'est là que cette doctrine transforme radicalement ce que signifie être humain pour imposer son modèle anthropologique. L'univers du
chiffre, de la "culture du résultat" est un univers qui impose par la violence symbolique la suspension de toute capacité de jugement de l'exécutant pour devenir, sous peine de souffrance et de mort symbolique (voire de suicide) une sorte de machine hébétée qui produit ce que
veut la norme néolibérale, à savoir de l'obéissance décérébrée et dénuée de subjectivité. Cela peut sembler abstrait, prenons des exemples : l'employé de Pôle Emploi qui doit gérer les dossiers de plus de 100 demandeurs d'emploi et qui doit "faire du chiffre" est obligé, sous
peine d'être brisé, d'appliquer des normes amorales et d'abandonner l'idée de donner du sens à son travail, car le sens de ce travail est inacceptable. Il va devoir convoquer des gens sans but autre que de produire des petits bâtons dans des tableaux, expulser des gens
des statistiques, abandonner toute idée de suivre concrètement un cas (ce qui lui ferait prendre du retard par rapport à ses objectifs pour aucun "résultat.") Il n'y a qu'une façon de tenir le coup : une sorte de cynisme écœuré et distancié, car tout idéalisme, toute attitude
moralement instituée sera intenable. Le policier qui fait du chiffre doit "faire"des cages d'escalier pour faire du flagrant délit et attraper des fumeurs de joints, et tant pis s'il trouve que c'est complètement dénué de sens. S'il fait autrement, il sera brisé. L'infirmier de
l'"hôpital de flux" doit mettre ses valeurs à la poubelle, foutre un maximum de patients dehors le plus vite possible. Tout lieu de travail néolibéral fonctionne ainsi. Et évidemment, ce fonctionnement fait monter, comme "naturellement", les gens dénués de scrupule, de morale,
qui ne se posent pas de question, autrement dit les gens conformistes et sans personnalité, voire pervers. Tout ceux qui s'opposent, se questionnent, sont structurés sur des idéaux les poussant à se dépasser cassent comme des objets inadaptés au nouveau monde. Et donc dans ce
monde, avec l'apparence de la spontanéité, la médiocrité intellectuelle, le conformisme, l'indifférence à autrui ou au sens de sa propre action deviennent des valeurs cardinales, des atouts pour faire carrière. Vous transformez la société en son intégralité en une machine à
produire et promouvoir des gens médiocres, conformistes, indifférents, vides. Les autres ne tiennent tout simplement pas le coup. Et peu à peu, tout s'effondre, parce que c'est ce que ce type d'être humain est capable de produire : un foutoir kafkaïen structuré autour de la
lâcheté et de l'incompétence. Quand vous en êtes là, le monde est devenu un enfer.
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