Un petit fil sur l’enseignement laïc du fait religieux parce que je le vois resurgir commune une priorité.
J’aimerais montrer deux choses :
1) Comment cette priorité éducative a été forte à un moment puis progressivement désavouée/dénaturée
2) Ce que cela signifie exactement
La nécessité d’un enseignement du fait religieux apparaît à la fin des années 1980 dans l’institution scolaire. Elle est portée par l’historien Philippe Joutard qui l’a immédiatement relié à la présence dans les classes des enfants immigrés. C’était alors un facteur d’intégration
Joutard remet son rapport au ministère en 1989. Il contient 16 recommandations dont « l’incitation à étudier le fait religieux en histoire ». Une réflexion se lance pour une approche culturelle du fait religieux qui va devenir une priorité pour le Conseil National des Programmes
Regardez par exemple ce qu’écrit François Lebrun son président en 1994 (cité dans ma thèse)
Je ne détaille pas tous les programmes qui suivent mais enfin retenez que, progressivement, le fait religieux devient un axe structurant dans tous les cycles, du primaire au lycée en passant par le lycée professionnel. Et ce depuis 1995.
Et ensuite ?
Au début des années 2000, alors que les débats se crispent autour de l’islam, islamisme, terrorisme, la question est relancée et se noue plus vertement à celle de la laïcité ; elle va donc également se travailler en éducation civique.
C’est une dimension importante de notre métier : souvent un contenu d’enseignement est travaillé en histoire puis en éducation civique, ce qui n’est pas sans poser de vraies problèmes pédagogiques parfois tant les approches sont différentes.
Au début des années 2000, les questions de laïcité et de fait religieux sont vraiment centrales. Un rapport avait été commandé à Régis Debray sur le sujet. Vous pouvez le télécharger ici

http://www.iesr.ephe.sorbonne.fr/sites/default/files/iesr_import//debray.pdf
Ce rapport devient la matrice principale de ttes initiatives sur le sujet. le sujet devient une priorité de la formation des enseignants, aussi bien initiale que continue.
De nombreuses institutions y participent : IMA, Musée d’histoire du judaïsme etc.
(C’est ma génération)
Cela ne signifie pas que c’était génial et non critiquable. En réalité, il y avait pas mal à dire sur une certaine naïveté à croire que cela allait magiquement tisser de la tolérance. Mais bon, c’était déjà mieux que rien. Ça permettait de réfléchir, débattre, penser
En particulier, dans de nombreuses formations et/ou séminaires, on s’interrogeait sur le fait de sensibiliser les enfants à la différence de nature entre ce qui relève des croyances et de la raison. De les amener progressivement à s’interroger sur la notion de vérité
L’inspecteur général Dominique Borne (très investi sur cette question) a écrit un beau livre sur ce sujet en 2007
Le matériel est donc là. Par ailleurs les derniers programmes d’EMC de 2015, dans leur mouture initiale, c’est à dire, souples, transversaux, laissant une véritable part à la liberté pédagogique ; ces programmes reprenaient tous ces travaux.
Les programmes d’EMC conçus par Pierre Kahn (pour lequel j’ai un respect infini) sont d’une grande intelligence quoique très difficiles et exigeants. Ils essaient de tisser ce qui relève de la norme (les règles, les textes) et des pratiques de pré-citoyenneté des élèves.
Imprégnés d’éducation nouvelle, ils ne tombent pas dans l’excès du pur constructivisme mais considèrent que l’apprentissage de la citoyenneté se travaille tout autant par la connaissance des normes que par le débat, l’argumentation, l’expérimentation, la pédagogie active
Que s’est-il passé depuis 2017 ? (J’aimerais le dire parce que je sens qu’on s’apprête à réinventer l’eau chaude)
1) les programmes d’EMC ont été totalement dénaturés en privilégiant l’approche uniquement normative (connaître les valeurs de la république)
2) les horaires des filières technologiques et professionnelles pour histoire-géo-EMC ont été amputés : une demi heure/semaine en moins pour les technologiques, 30% en moins en lycée professionnel (oui)
3) les nvx programmes réécrits dans la précipitation pour le lycée ne permettent plus (ni dans leurs contenus, ni dans les horaires impartis) de prendre un véritable temps de réflexion sur ces enjeux. C’est le règne du pas de course et la réhabilitation de la parole magistrale
4) que dire de la formation sans avoir envie de pleurer ? Du numérique par ci et par là, de la pédagogie en kit de prêt à penser, des mots-clés et de la neuroscience … des programmes de formation indigents avec en plus la volonté de former les profs hors temps scolaire …
Je vois ressurgir ci et là la volonté de réintégrer un enseignement laïque du fait religieux. Bravo, tout est là depuis plus de 20 ans, il suffit d’aller piocher dans les archives, et de repenser tous les programmes avec des gens compétents sur le sujet.
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