Alors Twitter, je vais t'apprendre à lire une décision judiciaire et essayer d'avoir un avis dessus, le tout sur la foi de l'article d'un journaliste.
Ça va être long et s'efforcer d'être didactique, parce que tu entrevois même pas la difficulté. 1/ https://twitter.com/Fred4Bonnet/status/1318496468064415744
Premier point : tu n'y connais rien au jargon et tu comprends un mot sur deux quand tu es en face d'un avocat ? Rassure toi : tu n'as aucune garantie que ce soit différend pour le journaliste qui a assisté à l'audience. 2 /
Attention, tu as d'excellents chroniqueurs judiciaires, certains célèbres, d'autres moins, qui officient et tendent à rapprocher les citoyens du monde de la justice. C'est un métier tout ce qu'il y a de plus noble, ❤️ sur eux. 3 /
Mais tu en as aussi qui sont envoyés au casse pipe sans formation juridique préalable. Et quand tu n'y connais rien c'est vraiment pas évident d'écrire un article qui ne raconte pas des bêtises. Je me souviens quand, auditeur de justice au Parquet... 4/
J'avais dû expliquer au journaliste d'audience qui s'étonnait que le sursis avec mise à l'épreuve prononcé ne dure "que" pendant trois ans, que c'était le maximum légal... 5/
Donc déjà tu as accès à une information nivelée et fragmentée, de la part d'une personne dont tu ne peux que rarement être sûr qu'elle ait les connaissances pour trier. Mais encore si ta difficulté s'arrêtait là ce serait très facile. Le gros qui te manque arrive. 6/
Premier point : la nature des audiences. Contrairement à dont tu as l'impression, dans ta feuille de chou tu ne vois PAS la justice du quotidien. Au quotidien ce sont des autres procédures qui président à la justice des "petites" infractions. 7/
Mesures alternatives aux poursuites, compositions pénales, comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité ("plaider-coupable") forment le très gros de la réponse pénale. De ces procédures, si essentielles à la répression de la délinquance du quotidien, 8 /
Js tu n'entendra parler. Tu ne te rendra même pas compte que ça existe. Tu te souviens du type qui avait jugé bon de gifler un premier ministre il y a 4 ans ? Justement pour éviter un effet d'audience, le Procureur avait décidé de passer cette infraction en CRPC, comme on dit 9/
Ensuite tu as une grosse partie des audiences qui se passent avec un seul juge. Le Procureur estime qu'il faut une audience mais la loi ne considère pas que c'est suffisamment important pour mobiliser trois juges, par exemple pour les infractions routières 10 /
Et jamais tu ne verras un journaliste ni à une CRPC, ni à juge unique alors même que ces audiences sont publiques. Ils préfèrent se concentrer sur le sensationnel. Je comprends, je ferais pareil à leur place 11/
Ensuite quelque chose dont tu ne disposes jamais : le CASIER JUDICIAIRE. Jamais ou presque, l'auteur de l'article ne donne le casier judiciaire de l'interessé. Pourtant, sans cela tu ne peux pas comprendre, ni pourquoi cette affaire est orientée à l'audience
Comme le relevait pertinemment @WombatMath , là pour le coup c'est vraiment le point où on voit que les journalistes ne comprennent pas l'importance de cette pièce, car elle est systématiquement reprise à l'audience.
Par ailleurs, tu n'as jamais accès, Twitter, à autre chose que les déclarations du prévenu à l'audience. C'est bien normal puisque le journaliste, lui, n'entend que cela. Il peut donc éventuellement se faire une idée de leur crédibilité. Mais un dossier ne se bâtit pas 15/
principalement sur les déclarations du prévenu. Il y a eu toute une enquête en amont qui a receuilli des éléments de preuve. Le président peut donner lecture de certains éléments à l'audience. Ses questions peuvent laisser deviner ou contenir explicitement sur quels éléments 16/
elles s'appuient. Pour autant, si on a pas l'habitude d'un professionnel ou une connaissance intime de l'affaire, cela ne transparait pas dans ce que l'on retient. Un témoignage à charge, très détaillé et circonstancié, peut parfois donner lieu à deux ou trois questions 17/
ou être résumé par le Président en une minute. Enfin, tu n'as pas connaissance de l'attitude du prévenu à l'audience. C'est un point important à prendre en considération. Entendons-nous bien : il ne s'agit pas de tomber dans une grande naïveté qui consisterait à dire que 18/
le prévenu qui fait profil bas a nécessairement compris l'interdit et a fait un cheminement de repentance sincère. C'est plutôt rare, en fait. En revanche, celui qui ne parvient qu'à grand peine à se contenir devant trois magistrats alors qu'il est entouré par une escorte 19/
celui-ci, tu vois bien qu'il ne regrette rien et qu'il réitérera son comportement délictueux à la prochaine occasion.

Lorsqu'il y a une victime, la gravité des certificats médicaux de constation de ses blessures, qui est systématiquement repris à l'audience, ne se trouve 20/
que trop rarement repris (trop technique ?). Mais pourtant cela a une très grande incidence.

J'en reviens au casier. Au delà du nombre de mentions, il est également prêté attention à leur nature. Par exemple un prévenu qui a déjà eu 2 sursis avec mise à l'épreuve qui n'ont 21/
pas marché ne se verra pas condamné à un troisième. Et s'il a déjà commis une infraction de même nature le quantum de peine prononcé peut jouer sur celui qui sera décidé 22/
Revenons-en maintenant à l'article qui a suscité ce thread. Vous noterez que le casier judiciaire du prévenu n'est pas mentionné dans l'article. La mention "(casier vierge)" dans le tweet me semble hautement suspecte.
En effet, l'audience de comparution immédiate, c'est le nec plus ultra de la procédure pénale. Le bazooka du procureur. Celle qu'il ne dégaine que lorsqu'il a en face des faits particulièrement graves, ou un délinquant chevronné qui a un casier long comme le bras
C'est à dire, pas le type de dossier dans lequel un gars s'est juste un peu énervé parce que la police municipale lui demandait de mettre un masque, comme le laisse entendre l'article 25/
Celui-ci, comme là encore souvent reste très vague sur les infractions réellement reprochées : "insultes, menaces" et "opposition physique". Ça veut tout dire et rien dire. N'est décrit ni la nature, ni la fréquence, ni le contenu des insultes et menaces ; ni ce que recouvre 26/
le terme pudique d'opposition physique qui peut vouloir simplement dire que Monsieur n'a pas voulu se laisser menotter à Monsieur a donné un coup de tête en plein dans le museau d'une fonctionnaire de police.
On peut voir qu'une différence d'analyse a opposé le ministère public au siège : en effet, une peine de un an avec mandat de dépot (incarcération immédiate) cela signifie que le Parquet estime que le prévenu démontrait une dangerosité particulière qui me conduit à penser
que celui-ci n'en était pas du tout à son coup d'essai, ou alors que les faits revêtaient une gravité exceptionnelle qui ne transparait pas dans l'article.

L'analyse des juges est de considérer que la dangerosité du condamné est suffisante pour nécessiter une peine ferme
et relativement lourde (dix mois ce n'est pas rien, maintenant que tu as fait deux mois de confinement twitter tu peux voir un peu quelle durée ça représente), mais pas au point de l'incarcérer tout de suite. Ils préfèrent déléguer à un juge professionnel, le juge d'application
des peines, le soin de déterminer si le sort de Monsieur doit être de purger sa peine en prison ou sous un autre régime (bracelet, par exemple).

Comme tu peux donc le voir, Twitter, moi je n'étais pas à l'audience, et j'aurais donc pas la prétention
de pouvoir me forger une opinion sur l'affaire, le prévenu, ni la trop grande sévérité ou douceur de la peine comme les réseaux sociaux aiment à gloser à l'envi.

En revanche, de tout ce que je viens d'expliquer, je peux dire qu'entre
le sensationnalisme de l'article et la réalité de terrain, entre les quelques éléments que j'ai pu glaner dans ledit article de par mon expérience et ceux qui seront réellement intégrés par le lecteur, il y a non pas un, mais deux énormes fossés.
C'est pourquoi désormais, hormis affaire médiatisée couverte par au moins trois journalistes différents (en croisant les sources on a toujours beaucoup plus d'éléments),
j'applique désormais pour règle, quand je lis un compte-rendu d'article de procès, qu'il est très urgent de ne rien en penser.
You can follow @Canardjusticier.
Tip: mention @twtextapp on a Twitter thread with the keyword “unroll” to get a link to it.

Latest Threads Unrolled: