[Thread] Parfois me reviennent les images de mon sujet de recherche, l'incarcération des Japonais-Américains pendant la 2nde guerre mondiale. J'y pense souvent, j'ai peur souvent. Je me suis efforcée de documenter pr apporter qqch. Je vais y ajouter de l'émotion, je crois.
En 1941, la communauté Japonaise-Américaine se trouve majoritairement sur la côte Pacifique. Comme beaucoup, ils ont quitté leur pays pour fuir la faim, les persécutions religieuses (contre les chrétiens), la guerre (Boshin, Taiwan, Chine, les conflits claniques, etc.)
La violence de l'ennemi prêt à sacrifier ses hommes et ses appareils dans les attaques suicides des Kami Kaze ("Vents sacrés", en référence au bruit des avions qui fondent sur les bateaux pour s'y écraser) est un choc.
Immédiatement après l'attaque, le premiers visés par les perquisitions sont les pêcheurs et tous ceux qui disposent d'une radio susceptible d'avoir renseigné l'ennemi. Les hommes sont raflés, les maisons fouillées. On cherche des preuves et on n'en trouve pas.
De nombreux témoignages et journaux intimes, écrits au jour le jour mentionnent l'absence du père, emmené on ne sait où. La déportation aura lieu sans lui.
Après Pearl Harbor, des rumeurs ds les journaux locaux et à la radio avancent que des sympathisants Japonais, à Hawaii, ont guidé les avions ennemis en taillant des flèches ds les champs de canne à sucre. D'autres parlent de sabotage, sans le moindre élément tangible.
General John L. DeWitt, Western Defense Commander, va jusqu'à déclarer que "l'absence de preuve de sabotage est en réalité la preuve d'un sabotage imminent." Looking Like The Enemy, Mary Matsuda Gruenewald, Newsage Press
La propagande anti Japonaise fait apparaître une menace locale ; ils sont partout, "ils sont là dans les campagnes et dans les villes", comme dirait l'autre.
Les documents officiels partagés au sein du gouvernement américain contiennent majoritairement le mot "Jap" pour parler des citoyens japonais-américains. DeWitt va jusqu'à déclarer publiquement "A Jap is a Jap". Repairing America, William Minoru Hohri, WSU Press
Coupable, non coupable, peu importe. La correspondance entre Roosevelt et Churchill mais aussi avec Ronald Campbell, diplomate britannique à Washington, révèlent un racisme assumé et une étude comparative entre croisements ethniques par le Pr Hrdlicka du Smithsonian Institute.
Christopher Thorne, dans son livre "Allies of a Kind: The United States, Britain and the War Against Japan, 1941-45, raconte comment Roosevelt avait interrogé le savant sur les origines de la cruauté chez les Japonais.
Il l'avait ensuite interrogé sur le groupe des Hairy Ainus.
Le professeur avait répondu que les crânes [des Ainus] étaient moins développés que les nôtres de près de 2 000 ans, [ce qui pourrait être la cause de la méchanceté des Japonais, les Ainus représentant le stock de base de la population japonaise]. Repairing America.
Les statistiques ethniques expliquent tout, décidément.
Entre décembre 1941 et Février 1942, le gouvernement émet plusieurs textes ciblant les Japonais-Américains et visant à les déplacer de certaines zones jugées stratégiques. Les états de la côte ouest sont divisés en zones militaires. https://www.du.edu/behindbarbedwire/decision_to_evacuate.html
Le 8 déc. 1941 Charles Kikuchi écrit depuis l'université de Berkeley "Je devrais avoir confiance ds le respect des principes démocratiques mais je suis inquiet que nous ne soyons sur le point [d'appliquer les] méthodes d'Hitler [envers] les ISSEI." The Kikuchi Diary, Illinois
Par Japonais-Américains, il faut préciser qu'il s'agit des ISSEI (1ère génération - qui n'ont pas la nationalité américaine) des NISEI et des SANSEI (2e et 3e générations - des citoyens, donc). La double nationalité est un problème.
Je me permets un petit pas de côté. Mille excuses. C'est facile.
Certaines familles sont amenées à déménager plusieurs fois à mesure que la zone militaire s'étend. C'est le cas de la famille de Jeanne Wakatsuki qui doit quitter Terminal Island pour Los Angeles, peu avant de partir pour le camp de Manzanar, Californie.
Mary Matsuda Gruenewald écrira dans son journal "J'avais toujours ressenti que j'étais Japonaise-Américaine et que j'avais ma place en Amérique, que je faisais partie du groupe. Avant le 7 décembre 1941, il ne m'étais jamais venu à l'esprit que ce n'était pas le cas."
Le 19 déc 1942, Roosevelt signe l'Executive Order #9066 qui annonce le déplacement de ts les Japonais-Américains de la côte ouest. Ttes les données collectées par le FBI et les renseignements documentent l'absence totale de menace. Looking Like The Enemy, Mary Matsuda Gruenewald
Dans la plus pure tradition japonaise, les familles partent dans leurs habits du dimanche. Personne ne pleure, personne ne crie, les règles sont respectées à la lettre, sans esclandre. Les historiens parlent même d'une "génération silencieuse". (Looking Like the Enemy)
Je vous invite à regarder les photos sublimes et glaçantes de Dorothea Lange.
Les familles prennent des bus, des trains, sous la surveillance de l'armée. Aucune information sur la destination, la durée, les conditions de leur déportation. Chaque famille reçoit un numéro. Chaque membre est étiqueté.
En 1943, le gouvernement américain produit une vidéo dans laquelle il justifie la décision de déporter les Japonais-Américains et détaille avec quel respect et quelle gravité l'opération a été menée.
Au total, il y aura eu 10 camps de concentration aux Etats-Unis. Tule Lake, Minidoka, Heart Mountain, Topaz, Manzanar, Granada, Poston, Gila River, Rohwer et Jerome. L'incarcération prendra fin en 1945.
120 000 ISSEI, NISEI et SANSEI (des citoyens américains, donc) auront été déportés. Je ne parlerai pas des conditions de détention, de la chaleur du désert l'été, du froid l'hiver, de la promiscuité et de la détermination des familles à prouver leur loyauté.
Je ne parlerai pas des liens familiaux qui se distendent, du traumatisme, de l'affront de vivre entre les barbelés et les minarets quand on est ennemi de la nation par principe.
Je parlerai de la façon dont le gouvernement américain en 1943 a administré dans les camps son questionnaire sur la loyauté et en particulier des questions 27 et 28 portant sur l'éventualité d'un engagement militaire et sur le renoncement à l'allégeance à l'empereur.
Ceux qui répondirent non au deux questions, n'ayant pour la plupart jamais connu le Japon, ni prêté allégeance à qui que ce soit, furent séparés de leurs familles et envoyés à Tule Lake. C'était les No-No Boys.
J'ai conscience des maladresses de ce threat mais j'espère qu'un peu il parvient à traduire l'effroi avec lequel je traverse ces jours. Prenons soin les uns des autres, défendons-nous les uns les autres. Nous sommes un. ✊
Disclaimer sur les confusions Minaret /Mirador, threat/thread. Ça fait bien suer.
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