THREAD - En ce jour de commémoration, les enseignants sont encore une fois sous les feux des projecteurs et l'école devient à nouveau le lieu d'une lutte politique entre réactionnaires et progressistes. Il faut donc définir ce qu'est enseigner.
Les deux camps, fortement politisés, veulent faire de l'école le lieu d'un formatage éducatif généralisé où normes et valeurs (relatives) se substitueraient aux connaissances et aux outils (universels).
Pourquoi les enseignants ne sont pas des éducateurs ? L'objectif d'un enseignement, notamment en Lettres Modernes, n'est pas de conduire les élèves à intégrer un discours normatif et exclusif visant à leur édification morale et ayant pour but d'agir conformément à des règles.
L'enseignement n'est pas une démonstration manichéenne où serait édictées des vérités car il vise à proposer des connaissances et des outils universels, scientifiques, conditions de l'autonomie intellectuelle pour l'exercice futur de son libre arbitre.
La posture réactionnaire consiste à limiter les apprentissages autour de balises patrimoniales, des modèles immuables, afin d'aboutir à terme à une hiérarchisation des valeurs, des normes, des cultures et des créations.
Avec la posture réactionnaire, le jugement critique des élèves se bornera à confirmer la supériorité qualitative, esthétique et morale d'une sélection préétablie d'oeuvres et d'auteurs à respecter, voire à sacraliser.
La posture progressiste consiste à limiter les apprentissages autour de supports vertueux visant à l'édification morale du « bien agir » tout en proposant des dispositifs coopératifs encourageant les élèves à gérer et à policer leurs relations sociales, c'est le « savoir être ».
Nous ne sommes pas des éducateurs. Notre métier ne consiste pas à discriminer des supports selon des critères moraux. Notre métier consiste à offrir les outils qui permettent l'analyse objective des discours afin que les jeunes puissent,en autonomie,produire leur propre jugement.
Prenons une séance d'étude de caricatures, celles de Charlie Hebdo comprises, où l'enseignant propose un panel de documents pour l'étude aux élèves, qui grâce aux connaissances et aux outils appris, vont décrypter les images de manière objective, à la manière de scientifiques.
A terme, chacun produira une analyse structurée de manière logique (thèse, exemples, justification). Si l'école a transmis des connaissances universelles et des outils langagiers, les jeunes disposent également d'un fond de connaissances et d'outils qui leur est propre.
Ainsi, certains mettront en valeur la dimension satirique et grotesque de l'image quand d'autres pointeront les stéréotypes et les visées polémiques. Les deux argumentations, si elles sont structurées et logiques, se vaudront et seront validées. Thèse, antithèse.
Enfin, l'enseignement consistera à concilier la diversité des jugements argumentés et l'existence légale de discours soutenant inévitablement une opinion politique.Le support « caricature » sert alors à générer de la pensée qu'elle soit contradictoire, consensuelle ou paradoxale.
Dans une logique éducative, le support sert à édifier moralement le jeune concerné. Ce qui importe à l'éducateur c'est le message transmis par le support. Le support est exemplaire et le discours qu'il contient devient l'objet du savoir.
Dans une logique éducative, le jeune doit accepter d'emblée que le discours est vrai, est bon, et qu'il va le rendre meilleur. L'éducateur va donc sélectionner des discours pour leur valeur morale et politique, en excluant, de facto, les mauvais exemples.
Voilà pourquoi les enseignants ne sont pas des éducateurs. L'enseignant offre à chacun les connaissances universelles et les outils scientifiques pour opérer des choix, librement.
L'éducateur vise au-delà afin d'orienter grâce à des balises les choix futurs dans ce qu'il considère être le « bien agir » ou le « savoir être ». Les deux sont nécessaires mais complémentaires. Les enseignants enseignent. Les éducateurs éduquent. Fin du thread.