Je vous propose un fil Proust & linguistique!
7 concepts linguistiques qu'on peut retrouver représentés par Marcel dans "A la recherche du temps perdu" ⬇️
1. Les ponctuants, ces petits mots dont on ponctue nos phrases et qui sont souvent appelés "tics de langage".Albertine dit TOUT LE TEMPS "C’est vrai?" quand on lui dit "Voilà une heure que nous sommes partis", elle répond "c'est vrai?". Quand on dit "Il pleut" : "C’est vrai ?"
Le narrateur ne pense pas qu’Albertine parle mal, mais part dans des interprétations prousto-psychologiques si elle dit sans cesse "C'est vrai" c'est pcque "elle avait dû recevoir dans sa vie encore si courte beaucoup de compliments, de déclarations et les recevoir avec plaisir"
2. La prononciation ! Comme marqueur de classe. Ainsi, Mme des Laumes dit "C'est chcharmant", elle ressent double ch au commencement du mot comme "une marque de délicatesse" qui lui donne l'impression d'avoir les lèvres "romanesquement froissées comme une belle fleur" 😏
3. La manière dont le débit et la prosodie peuvent jouer sur le sens de la phrase.
Par exemple, Legrandin dit une phrase toute simple « Non je ne connais pas les Guermantes ». MAIS il la dit très lentement, en appuyant sur les mots, en secouant la tête...
Le personnage explicite verbalement ce jeu de débit, d'intonation et de geste par la suite : "Non, reprit-il, expliquant par ses paroles sa propre intonation, non, je ne les connais pas, je n’ai jamais voulu, j’ai toujours tenu à sauvegarder ma pleine indépendance"
4. L'insécurité linguistique!(le sentiment de crainte de faire des erreurs de la part d'un locuteur ou d'une locutrice personne qui a intégré l'idée que son parler ne correspond pas aux normes en vigueur) On a deux exs différents et frappants à mon avis d'insécurité linguistique.
Première manifestation: qd la locutrice (Françoise, la bonne) s'auto-dénigre "Françoise disait en riant "Madame sait tout; madame est pire que les rayons X (elle disait x avec une difficulté affectée et un sourire pour se railler elle-même, ignorante, d’employer ce terme savant)"
Deuxième manifestation de l'insécurité linguistique : l'hypercorrection. C'est quand une locutrice comme Mme Verdurin essaie d'imiter les variantes de prestige, qu'elle associe au "bon parler", mais qu'elle ne sait pas les identifier et les employer en respectant la norme.
Par exemple, Mme Verdurin a remarqué que Swann ne prononce pas la particule pour parler de "Mme de La Trémoïlle". Elle veut les imiter: "Ne doutant pas que ce fût pour montrer qu'ils n'étaient pas intimidés par les titres, elle souhaitait d'imiter leur fierté", mais...
... elle n'y arrive pas bien et sort des formes comme "les d'La Trémoïlle", qui ressemble plutôt à une "abréviation en usage dans les paroles des chansons de café-concert" pas du tout distinguée. C'est vraiment l'hypercorrection, qd on croit respecter la norme et qu'on se plante.
5. La fonction poétique du langage, tout ce qu'on peut projeter d'extérieur sur les sonorités des mots, notamment quand il s'agit de nom propre! (La poésie des noms propres dans Proust a notamment été analysée par Barthes dans "Proust et les noms"). Quelques exemples.
Par exemple le narrateur voit et une couleur dans le nom "Guermantes" dans lequel il entend "orange" et "amarante". Qd on lui parle des Guermantes, il les imagine toujours "baignant, comme dans un coucher de soleil, dans la lumière orange qui émane de cette syllabe, «ante»".
Autre ex, "Parme": le narrateur parle d'un nom propre "compact, lisse, mauve et doux". Il imagine la ville "à l'aide de cette syllabe lourde du nom de Parme, où ne circule aucun air, et de tout ce que je lui avais fait absorber de douceur stendhalienne et du reflet des violettes"
6. La fonction cryptique du langage, dans les argots codés d'amoureux par exs. Par exemple pour Swann et Odette, "faire catleya" "un bon catleya" renvoie non plus aux fleurs mais à leur première fois, et par extension au fait de faire l'amour ou plus largement à leur relation.
7. Pour finir, la puissance du langage, l'effet d'un simple mot quand il entre dans un système de jalousie dévoratrice (très présent dans Proust). Par exple, quand Swann cherche à faire avouer ses aventures à Odette et qu'elle lui répond que ça lui est arrivé "deux ou trois fois"
Commentaire sur l'effet des mots: "Chose étrange que ces mots « deux ou trois fois », rien que des mots, des mots prononcés dans l’air, à distance, puissent ainsi déchirer le cœur comme s’ils le touchaient véritablement, puissent rendre malade, comme un poison qu’on absorberait."
Voilà c'est terminé, bon dimanche à vous!
(mais n'hésitez pas à compléter / développer / rebondir, je suis loin bien sûr d'avoir épuisé "La Recherche !")
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