Avant de parler de la reine des neiges 2, à la demande de @HumainCurieux, on va s'attaquer à la question des champignons radiotrophes. Mais qu'est-ce donc?
Comme son nom l'indique, il s'agit de champignons. Le suffixe -trophe laisse indiqué, si j'en crois wikipedia, qu'il est question de nourriture, ou de moyen de subsistance. Le préfixe radio renvoie, non pas à un appareil où l'on peut entendre des gens parler,
Mais aux rayonnements. Donc, un champignon radiotrophe est un champignon qui se nourrit des rayonnements. Oui, vous avez bien lu. Mais où trouve-t-on ce miracle et depuis quand connait-on son existence?
D'ailleurs, on devrait plutôt parler d'Evolutionary Canyon au pluriel, car 4 sont aujourd'hui étudiés. Le principe est celui-ci (image tirée de la publi précédente).
Un canyon qui présente deux faces, une orientée sud et très éclairée, et l'autre orientée nord. Ainsi on peut voir directement l'influence du rayonnement solaire.
En même temps, qu'on produise plus de mélanine quand on est soumis aux rayons du soleil, ce n'est pas nouveau, chez les humains on appelle ça le bronzage.
Seulement, chez les champignons radiotrophes, il n'est seulement question d'UV, mais aussi de rayons beta et gamma. Et beaucoup d'observations ont été faites notamment à Tchernobyl.
Cependant, pas mal de travaux ont été menés sur le sujet, beaucoup par Ekaterina Dadachova, de la fac de médecine de l'Université Yeshiva, à New-York. https://www.einstein.yu.edu/dadachovalab/home.html
Dans un de ses papier de 2007, elle menait des analyse via résonance paramagnétique électronique dans le but de voir les modifications des propriétés électroniques de la mélanine après irradiation.
En comparant également avec des champignons sans mélanine. Le résultat est que les champignons mélanisés avaient une plus forte croissance après irradiation que les champignons sans mélanine.
Le résultat n'est pas expliqué mais il semble montrer un rôle de la mélanine dans le trophisme, comme si elle "mangeait" les rayonnement et que ça lui permettait de grandir.
Une des hypothèses est que la mélanine désactive (quenching) les radicaux libres cytotoxiques des cellules irradiées, empêchant ainsi les dégâts de se propager. Je ne suis pas spécialiste du domaine, donc si ma compréhension est mauvaise, n'hésitez pas à me le faire savoir.
Une bonne synthèse des travaux existants sur les hypothèses pour expliquer l'effet de la mélanine peut être trouvée ici. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC7182175/pdf/pone.0229921.pdf
Et pour rebondir (transition de ouf), vous aurez remarqué que le titre de ce papier est "A biomimetic approach to shielding from ionizing radiation : The case of melanized fungi"
Car oui, une des applications possible de ces champignons radiotrophes serait de faire des protection biologique permettant de protéger être vivants et matériels.
Dans ce papier, ils ont soumis à irradiation beta (90Sr pour les plus curieux) des solutions de mélanine et de cellulose. Les chercheurs ont également simulé l'effet de l'arrangement spatial de la mélanine.
Mais pourquoi de la cellulose pardi? Parce que la composition élémentaire est similaire à celle de la mélanine. Ainsi on pourra voir l'effet de "l'arrangement moléculaire". Les résultats sont là : (graphe de gauche)
RD est ici la dose normalisée (rapporté à la dose de l'échantillon de contrôle) absorbée par le milieu considéré. Les Mel sont la mélanine et CNC la cellulose. On voit ici clairement que la mélanine absorbe plus, mais aussi que le solvant a son importance.
Sinon, vous avez peut-être vu une certaine différence entre simulation et expérience pour la Cellulose. En simulation, il y a un effet radioprotecteur similaire entre les deux substances. Mais pas en réel. On y reviendra.
Ici Amm c'est l'ammoniac, et Water l'eau dans lesquels sont placés la mélanine. Mel#1 et Mel#2 sont deux types de mélanine différentes.
Pour l'arrangement spatial, c'est par simulation qu'on procède. On simule pour différentes position un film dit à haut Z (matériau dense) avec des matériaux à bas Z (peu denses).
Le matériau à haut Z a plusieurs positions possibles par rapport au bas Z, et plusieurs arrangement possible de ses molécules.
Les résultats de la simulation montrent clairement une influence de l'arrangement spatial (sphère, packed sphere, ghost, …). Ici, le RH est l'équivalent de RD vu plus haut, mais pour quelque chose de simulé.
On voit aussi clairement sur la courbe de droite l'effet du rayonnement incident. On n'a pas du tout les mêmes courbes pour un rayonnement beta ou un rayon X. Et c'est normal.
Revenons sur cette question de simulation-expérience dont on a parlé plus haut. Le code utilisé pour simuler est Geant4, bien connu des physiciens. Or, il ne simule que des éléments et des isotopes, sans tenir compte de leur structure moléculaire.
Cela implique donc que la structure moléculaire a un rôle non négligeable, ainsi que l'arrangement spatial (ce qui revient au même), dans l'effet radioprotecteur d'une molécule.
Le papier se termine sur une ouverture à la mise au point d'un bouclier contre les rayonnements ionisants pour le spatial utilisant ce type de champignons mélanisés radiotrophe.
Et ben dites-vous que ça a été testé et prépublié il y a peu. C'est d'ailleurs ce papier qui m'a donné envie de faire ce petit thread. Le preprint est disponible ici : https://www.biorxiv.org/content/10.1101/2020.07.16.205534v2.full.pdf
Petit aparté, je sais que ce n'est qu'un preprint, à prendre avec précaution donc.
Dans ce papier d'abord un petit peu de mise au point sur les données : dans le monde, une personne est en moyenne soumis à 6 mSv de dose. Un astro/spatio/cosmo/taikonaute dans l'ISS sera lui sousmis à une dose de 144 mSv.
Quad @MacLesggy disait il y a quelques mois que @Thom_Astro était le français recevant le plus de dose, il avait raison. Au passage, ça donne du grain à moudre à celles et ceux qui envisagent un effet seuil dans la réponse du corps humain à la dose.
Mais ça c'est un autre sujet. Et pour un voyage sur Mars qui durerait trois ans, le première année engendrerait à celle seule une dose de 400 mSv. C'est beaucoup.
Un des principaux écueils dans le voyage vers Mars est réellement cette capacité à protéger le personnel (et le matériel) des rayonnements ionisants, qui seront dans cas des rayonnements cosmiques.
Aujourd'hui, la protection biologique se fait avec des matériaux très denses (plomb, acier, …) et il sera impossible d'en emmener suffisamment à bord pour tout protéger.
A moins d'avoir un coût énergétique phénoménal, et donc de très grosses réserves de carburant à bord. Alors que les champignons ont deux avantages : ils sont moins denses, et en plus on peut les cultiver.
Sur Terre. On ne sait pas encore s'ils peuvent être cultivés dans l'espace, et c'est une des ouvertures de ce papier. Du coup, ils ont pu tester, dans l'ISS pendant 1 an, la capacité de champignons à se développer, je vous laisse voir le résultat :
Sur la partie gauche, des champignons qui grandissent, sur la partie droite des boites de Petri, le groupe contrôle.
En plus de la croissance, des expériences d’atténuation des rayonnement ont été également mise en œuvre. Les résultats montrent qu'une fois mature, les champignons ont bien leurs propriétés radioprotectrices.
Les auteurs du papier concluent que l'hypothèse d'une radioprotection assistée par champignon pendant le vol est techniquement possible, que ces champignons peuvent être cultivés dans l'espace.
En outre, une fois sur Mars (ou sur la Lune), les spationautes pourront fabriquer un bouclier composite utilisant un mélange de champignons et de roche locale qui aura un pouvoir radioproteteur suffisant.
De là à imaginer un vaisseau spatial qui aurait à son bord une vraie nursery à champignons, tel le discovery, il n'y a qu'un pas que je me garderais bien de franchir.
C'est tout pour moi. #Fin
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