(1/n) Fallait-il supprimer l’ISF ? Pour la première fois, des chercheurs ont évalué les effets économiques de cet impôt en France. Le moins que l’on puisse dire, c’est que leurs résultats préliminaires risquent de donner du grain à moudre à ceux qui veulent le rétablir !
Comme vous le savez, l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) a été supprimé au début du quinquennat, au profit d’un impôt sur la fortune immobilière (IFI) qui ne taxe plus que le patrimoine immobilier, en exonérant tout le reste (actions, obligations, cash, etc.).
Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette réforme n'est pas très populaire : 70 % des Français souhaitent le rétablissement de l’ISF – dont 51 % des électeurs de François Fillon !
Il est vrai que cette réforme coûte cher : 3,3 milliards d’euros par an d’après les résultats d’une récente étude réalisée par les services de l’Insee (cc. @SicsicMichael)
En outre, elle bénéfice par construction essentiellement aux plus fortunés, dès lors que l’ISF n’était payé que par 0,9 % des contribuables. Le gain pour ces derniers était de 8 338 euros en moyenne en 2018 et a dépassé le million d’euros pour les plus gros contribuables.
Pour pouvoir justifier une telle réforme, il faut donc qu’elle soit susceptible d’exercer des effets d'entrainement très significatifs sur l'activité économique capables de générer, à terme, des gains en termes d'emploi et de pouvoir d'achat pour l'ensemble de la population.
Il est vrai que l’ISF était accusé de tous les maux par certains économistes, qui lui reprochaient principalement de plomber l’investissement et les fonds propres, tout en poussant à l’exil fiscal.
Le problème, c’est qu’avant la réforme, personne n’a pris le temps d'évaluer la réalité des prétendus effets « anti-économiques » de l’ISF en France. On a donc réformé « à l’aveugle », comme l’a d’ailleurs regretté le Sénat l’an dernier dans son rapport sur le sujet.
Pourquoi ? Parce que les chercheurs n’avaient pas accès aux données sur les contribuables à l’ISF et que l’administration n’a jamais réalisé d’étude publique sur ce sujet. La bonne nouvelle, c’est que depuis l’an dernier, ces données ont été ouvertes aux chercheurs.
Dans le cadre du comité d’évaluation de la réforme de 2018, @Strategie_Gouv a publié ce matin les résultats d’une étude commandée à des chercheurs de @IPPinfo sur les effets de l’ancien ISF, avec trois résultats très intéressants. https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/ipp-rapportinter_isf.pdf
1/ Les auteurs de l'étude ont tout d’abord cherché à vérifier si les entreprises qui sont contrôlés par des actionnaires assujettis à l’ISF ont tendance à verser davantage de dividendes.
C’était une critique traditionnelle de l’ISF, qu’on accusait de forcer les actionnaires, pour payer leur impôt, à se verser des dividendes excessifs au détriment des fonds propres et de l’investissement.
Résultat ? En dépit d’une baisse de l’ISF de 80 %, les ménages exerçant un fort degré de contrôle sur leur entreprise ne semblent pas avoir diminué les dividendes qu’ils perçoivent à la suite de la réforme.
2/ Après avoir examiné l’argument des fonds propres, les chercheurs ont aussi regardé si l’ISF conduisait les redevables à s’exiler pour échapper à l'impôt.
Pour cela, ils ont regardé ce qui se passe au moment du départ à la retraite des dirigeants de PME. En effet, les dirigeants sont exonérés d’ISF tant qu’ils demeurent à la tête de leur entreprise.
Le départ à la retraite se traduit ainsi par une forte hausse de l’assujettissement à l’ISF pour les foyers fiscaux incluant un dirigeant de PME.
L'idée est ensuite de regarder si ces derniers vont davantage décider de s’expatrier fiscalement que des retraités non dirigeants comparables, pour en déduire l'effet causal de l'ISF sur l'exil fiscal.
Verdict ? Lorsque l’on neutralise les différences de revenus entre les deux groupes, la probabilité de quitter la France est pratiquement identique, ce qui suggère que l’ISF ne conduisait pas, à lui seul, à des départs supplémentaires à l’étranger.
3/ Pour finir, les auteurs de l’étude ont regardé si la disparition de l’ISF a conduit à une diminution des investissements défiscalisés des plus fortunés dans les PME.
En effet, il existait du temps de l’ISF une « niche fiscale » permettant de réduire son impôt à hauteur de 50 % des investissements réalisés au capital des PME. Elle n'a pas été transposée à l'IFI, au risque de tarir cette source de financement pour les PME.
Comme il existe une niche comparable en matière d’IR, on peut de nouveau comparer les deux groupes au moment du passage à la retraite.
Sur ce point, l’étude suggère bien l’existence d’un effet causal de l’ISF : le passage à la retraite se traduit par une hausse de l’investissement dans les PME pour les anciens dirigeants qui n’est pas observé dans l’autre groupe, même si le montant moyen est modeste (4 000 €).
Sans surprise, la suppression de l’ISF a conduit à l’effet inverse : pour la cohorte 2016, la réforme se traduit en 2018 par une réduction brutale des investissements défiscalisés dans le groupe des anciens dirigeants de PME.
L’étude ne dit toutefois rien de l’évolution des investissements non défiscalisés. Il faut par ailleurs rappeler que ces investissements défiscalisés avaient été considérés comme peu efficaces par la Cour des comptes.
Pour conclure, vous l’aurez compris, cette première étude n’est donc pas très favorable à la réforme. Il s’agit toutefois de résultats préliminaires qui devront être confirmés avec des données plus solides et plus récentes, comme le rappellent les auteurs.
À défaut de réconcilier partisans et détracteurs de l’ISF, j’espère que cette étude mettra tout le monde d’accord sur l’importance d’évaluer AVANT de réformer, plutôt que de supprimer un impôt « à l’aveugle » sur la base d’analyses non étayées.
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