Savez-vous qu’en 1967, dans une caverne au cœur des Ardennes, démarre un petit réacteur #nucléaire ?

Considéré comme une curiosité, personne n’imagine qu’il sera le précurseur du futur programme nucléaire français.

Thread : Chooz A, pionnier des REP.

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1/ Après les premiers réacteurs de recherche fin 40’s et 50’s, le programme nucléaire militaire et civil français se développe autour de la filière nationale des réacteurs dit « uranium naturel graphite gaz » (UNGG).
2/ Aux réacteurs militaires du @CEAMarcoule (G1, 2 (photo) et 3) vont s’ajouter les réacteurs électrogènes de @EDFCHINON (EDF1, 2 et 3) qui démarrent dans les 60’s. A côté de ces réacteurs UNGG, d’autres filières sont toutefois testées, mais de manière marginale.
3/ C’est notamment le cas d’un réacteur à l’uranium naturel et à eau lourde sur le site Brennilis qui démarre en 1967. Ces 2 filières ont pour point commun d’utiliser de l’uranium non enrichi, ce qui permet de ne pas faire appel à d’autres pays (USA) pour l’enrichissement.
4/ Néanmoins, des réacteurs dits à « eau légère » américains ont le vent en poupe au niveau international. Ils comprennent 2 filières : les réacteurs à eau bouillante (REB) de l’entreprise @generalelectric et à eau pressurisée (REP) de Westinghouse ( @WECNuclear).
5/ Avec la promotion de ce type de réacteurs, peu favorables à des développements militaires, les USA souhaitent investir le marché européen, maitriser le marché de l’uranium enrichi et limiter le développement du nucléaire militaire.

Sur ce sujet : https://twitter.com/TristanKamin/status/1275734482495160322
6/ Le programme US « Atoms for peace » lancé en 1953 et 2 conférences à Genève (1955 en vidéo et 1958) vont assurer la promotion des réacteurs américains. Sous l’influence US, l’Agence internationale de l’énergie atomique ( @iaeaorg) est créée en 1957.
7/ Dès la mi-50’s, les USA vont tenter de s’introduire sur le marché nucléaire européen, notamment avec le réacteur « vitrine » de Shippingport qui démarre en 1957, premier REP à produire de l’électricité de l’entreprise « Westinghouse ».
8/ De son côté, l’Europe politique et économique voit ses premiers développements avec la création de la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA) en 1951.
9/ La crise du Canal de Suez (1956), qui oppose Israël, la France (troupe en photo en 1956) et le Royaume-Uni à l’Egypte de Nasser pose question de l’approvisionnement énergétique de l’Europe et accélère la mise au point de la force de dissuasion nucléaire française.
10/ En 1957, 3 « sages » rendent un rapport les perspectives de l’énergie nucléaire intitulé « un objectif pour Euratom » qui pointe notamment l’intérêt pour les pays européens de se tourner, en plus des réacteurs à uranium naturel, vers l’uranium enrichi.
11/ En 1957, la signature du traité de Rome instaure en même temps le la Communauté économique européenne (CEE) et la Communauté européenne de l'énergie atomique (CEEA/ Euratom). Cette dernière comprend la France, l’Allemagne, l’Italie, la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas.
12/ Les USA commencent alors à fixer des modalités de livraison d’uranium enrichi et proposent, avec une grande campagne de promotion, l’implantation de centrales nucléaires de technologie américaine clés en main en Europe.
13/ Le CEA de Francis Perrin reste très méfiant des réacteurs américains, qui n’ont aucune vocation militaire, nécessitent d’importer de l’uranium enrichi et qui utilisent une technologie clés en main, sur laquelle l’organisme n’a pas de prise.
14/ Le général de Gaulle de retour au pouvoir en juin 1958, a une position ambiguë envers Euratom qu’il souhaite, selon ses propos, « chloroformer» . Néanmoins, De Gaulle s’intéresse à l’uranium enrichi que les USA ne souhaitent livrer qu’en passant par l’Euratom…
15/ A partir de 1957, des liens se nouent entre Français et Belges lors de voyages outre-Atlantique pour visiter des centrales américaines, bien vendues par l’amiral US Rickover (2eme en partant de la droite sur cette photo d’une visite d’une délégation étrangère à Shippingport).
16/ Rickover se confronte plusieurs fois à Francis Perrin. Si ce dernier considère les réacteurs UNGG sont les meilleurs du marché, Rickover pense que les réacteurs français sont de véritables « bazars » qui ne pourront jamais être compétitifs.
17/ Côté belge, des accords spéciaux lient déjà la Belgique et les USA. Ces derniers ont même vendu aux Belges un réacteur de démonstration (le BR 3 de Mol) Westinghouse présenté lors de l’exposition universelle de 1958 de Bruxelles.
18/ Avec la première bombe nucléaire française en 1960 et les réticences US concernant la vente de sous-marins nucléaires à la France, les relations vont se tendre entre Français et Américains sur la question du nucléaire.
19/ Toutefois, de Gaulle donne son accord en 1959 pour tenter l’expérience d’un réacteur à uranium enrichi mais sur un seul réacteur.
20/ En coulisse EDF s’active et après de discrètes tractations, Français et Belges se mettent d’accord, à la satisfaction du président d’EDF Roger Gaspard, pour réaliser une centrale à uranium enrichi sur le territoire français à la frontière franco-belge dans les Ardennes.
21/ C’est la SENA (société d’Energie Franco-Belge des Ardennes) créée en 1960 (avec 50 % de capitaux EDF et 50% de producteur d’électricité belges) qui va passer l’appel d’offre, remporté par AFW (un consortium entre les Ateliers de Charleroi, Framatome et Westinghouse).
22/ Grace à la pression commerciale de Westinghouse et l’expérience Belge avec le réacteur BR3 (en photo), 2 autres projets concurrents proposant un réacteur à eau lourde et un autre à eau bouillante sont écartés. Le réacteur de Chooz sera un REP !
23/ Le chantier de Chooz, la centrale des « Ardennes » peut enfin démarrer en 1962. On décide, pour des raisons de sécurité et de praticité (Éviter de construire un bâtiment réacteur) de le placer dans la roche de schiste du mont Pelé en bordure de Meuse.
24/ Le réacteur et les échangeurs se trouvent dans une salle creusée dans une falaise et la piscine de stockage des éléments combustibles irradiés dans une autre cavité de la roche. La salle des machines et les installations de commande se trouvent à l'extérieur.
25/ Le projet est donc soutenu financièrement par Euratom. Le réacteur à eau pressurisée sera fourni par une petite entreprise fraichement créée (par plusieurs sociétés des groupes Schneider, Merlin Gerin et Westinghouse Electric) en 1958…
26/ …La Franco-américaine de constructions atomiques ( @Framatome_), dont l’objectif est d’exploiter la licence des REP Westinghouse ! Mais derrière Framatome, c’est tout une équipe aux accents internationaux qui se met en place.
27/ La SFAC (Société des forges et ateliers du Creusot) est en charge de construire les gros composants au Creusot, Cockerill les générateurs de vapeur et les condensateurs, Jeumont les pompes primaires, Schneider-Westinghouse les mécanismes de commande de grappes…
28/ Fort de son expérience à Shippingport, c’est Westinghouse qui impose ses contraintes aux autres entreprises et notamment aux Français. Petit à petit, les liens entre les entreprises vont devenir puissants et au centre de nombreux apprentissages en commun.
29/ D’ailleurs, la centrale de Shippingport sert de modèle à celle de Chooz et à celle de Selni (Italie, cuve en photo). Chooz est toutefois 4 à 5 fois plus puissante que la centrale de Shippingport (305 MW contre 60 MW).
30/ La cuve du réacteur sort des ateliers de la SFAC en 1964 pour être installée dans la caverne. Les essais démarrent en 1966 mais le réacteur subit plusieurs incidents. Cette première, comme souvent, est difficile. Le réacteur est toutefois couplé au réseau le 3 avril 1967.
31/ Sa puissance sera de 245 MW le 4 septembre. Tout semble se passer idéalement mais le 21 décembre 1967 une barre du réacteur, censé arrêter la fission nucléaire, reste bloquée. Les ingénieurs découvrent des débris métalliques (des vis d’assemblages) dans le circuit primaire.
32/ Après seulement quelques mois de fonctionnement, le réacteur est arrêté et la cuve déchargée …Pendant 2 ans, la centrale subit des réparations, ce qui sera vécu comme un traumatisme par les équipes. La centrale est de nouveau couplée au réseau électrique le 18 mars 1970.
33/ A la fin des 60’s, cette centrale, un peu perdue au fin fond des Ardennes ne fait pas l’objet d’un engouement particulier, notamment face à la fameuse « boule de Chinon », fer de lance du programme UNGG. https://twitter.com/Mangeon4/status/1309371065538314240?s=20
34/ Qui pourrait alors imaginer que quelques années plus tard, l’ensemble du parc nucléaire français serait fait de « réacteurs à eau pressurisée » ? Voir Fessenheim comme la centrale pionnière du programme nucléaire de 58 réacteurs, c’est oublier un peu vite Chooz.
35/ Le réacteur de Chooz sera également le premier à subir une visite décennale en 1976 ! Le réacteur fonctionne discrètement et sans trop de difficultés pendant 21 ans, jusqu’à son arrêt définitif le 30 octobre 1991. https://twitter.com/Mangeon4/status/1299676764344590336?s=20
36/ 2 réacteurs REP de 1 450 MW sont en construction sur le site au moment de son arrêt et démarrent, malgré une forte opposition, en 1996 et 1997. Ils prennent le nom de Chooz B (1 et 2) alors que le tout premier réacteur deviendra Chooz A.
37/ Chooz A sera également le 1er REP français à subir un démantèlement. La 1ere étape (démantèlement partiel : évacuation du combustible et démantèlement des parties non nucléaires), démarrée en 1993 s’est achevé en 2004.
38/ En 2007 le décret de démantèlement complet est acté. Actuellement, c’est l’élément le plus sensible du réacteur, la cuve, qui est en phase de découpe. La centrale devrait être totalement démantelée au milieu des années 2020.
39/ Ainsi disparaît petit à petit Chooz A...en espérant que la mémoire de l’expérience du démantèlement de ce réacteur restera longtemps vivante.

Fin du thread !

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