Thread sur un livre magistral où il est question de violences policières et de mensonge d& #39;État.
Alain Dewerpe, Charonne 8 février 1962. Anthropologie historique d’un massacre d’État. Il y a eu 9 morts ce jour-là & de nombreux blessés.
Analyse historique d& #39;un meurtre politique.
Alain Dewerpe, Charonne 8 février 1962. Anthropologie historique d’un massacre d’État. Il y a eu 9 morts ce jour-là & de nombreux blessés.
Analyse historique d& #39;un meurtre politique.
"Le meurtre politique, explique Dewerpe, fait partie de l’outillage des actes d’État." L& #39;une de ses questions majeures porte sur la violence homicide d& #39;État en régime démocratique. À quoi l’État a-t-il droit? Ici, les gouvernants n& #39;hésitent pas à faire tuer des gouvernés.
Dewerpe s& #39;attelle à la "dimension physique de la politique" par une anthropologie historique du corps dans la manifestation et l& #39;affrontement même s& #39;il s& #39;agit aussi d& #39;un "massacre de bureau et de papier" avec une chaîne de commandement et des responsabilités au sommet de l& #39;État.
La manifestation organisée par le PC et plusieurs syndicats (CGT, CFTC, UNEF, FEN) visait à protester contre l& #39;attentat commis par l& #39;OAS qui avait blessé grièvement une petite fille, Delphine Renard. Comme pendant toute la guerre d& #39;indépendance algérienne la manif a été interdite
Dewerpe analyse les cadres cognitifs des policiers, pour qui toute manifestation est disqualifiée: elle trouble l& #39;ordre, un ordre qui les a formés & auquel ils se vouent. Ce discrédit jeté sur la manifestation leur fait ressentir d& #39;emblée leur légitimité à la réprimer violemment.
"Le massacre est rendu possible parce que la police parisienne a des habitus de violence": chasse aux résistants et rafles de juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, puis répression anti-communiste et anticoloniale (Madagascar, Indochine, Algérie).
Les policiers se sont déchainés. Alors que les manifestant-es étaient entassé-es en bas de l& #39;escalier du métro Charonne, ils leur ont lancé des grilles d& #39;arbres, une grille d& #39;aération, des tables et chaises: sur des personnes qui étouffaient, écrasées. 3 ont été matraquées à mort
Des personnes blessées sont frappées. Les policiers interdisent le transport des blessés. Ils précipitent des manifestants du haut des balustrades ou des volées d& #39;escalier. Hurlent des "Crève, sale chienne!" Ne s& #39;arrêtent pas quand on leur crie "Arrêtez il y a des morts!"
Cette violence est encadrée: des ordres sont donnés. Aucune action policière majeure ne peut être menée sans ordre direct de la salle de commandement à la préfecture de police (M. Papon). Le ministère de l& #39;Intérieur R. Frey, le Premier ministre M. Debré et de Gaulle entérinent.
Si A. Dewerpe évoque un "massacre d& #39;État" – et le mensonge d& #39;État qui l& #39;accompagne –, c& #39;est que la répression meurtrière a été un choix assumé par le pouvoir, comme elle l& #39;a été le 17 octobre 1961 dans le massacre d& #39;Algériennes et Algériens manifestant pacifiquement à Paris.
La réaction de De Gaulle face aux massacres relève d& #39;une "indifférence agacée". Le ministre de l& #39;Intérieur, Frey, n& #39;a pas démissionné. Loin d& #39;être révoqué, le préfet de police Papon a eu droit à un hommage du 1er ministre Debré. Aucun regret ne sera formulé par le chef de l& #39;État.
Ce livre est vraiment d& #39;une puissance incroyable. Il déploie une analyse d& #39;une rigueur impressionnante tout en faisant droit à une approche sensible du politique. Sur la place des morts en particulier. Dewerpe cite Hugo: "Les morts sont des vivants mêlés à nos combats."
La mère de l& #39;auteur, Fanny Dewerpe, est morte à Charonne. Alain Dewerpe fait le choix de la pudeur, avec un hommage préservé dans la discrétion (le "in memoriam" de l& #39;exergue) même s& #39;il assume d& #39;être le fils de cette morte-là: cela "n’interdit pas de faire son métier d’historien"
La seule allusion qu& #39;il fait à son enfance brisée est l& #39;indignation face à un journal d& #39;extrême droite osant écrire sous la photo de l& #39;enfant: "Nous tous les hommes. Nous avons peut-être tué l’âme d’A. Dewerpe" Un "nous tous" dépolitisé, ôtant toute responsabilité: insupportable.