Hier j’ai donc vu ce film : "Un pays qui se tient sage". Je n’ai pas trop pour habitude de commenter ici ce que j’ai vu ou lu mais rarement un film, dont mon camp politique pourrait pourtant se réclamer, ne m’a autant énervé ⬇️⬇️⬇️ (1/15)
Il y a dans ce film, toute chose égale par ailleurs, quelque chose de similaire à ce que dénonçait Rivette à propos du « travelling de Kapo », c’est-à-dire une utilisation de la violence qui relève de l’abjection (2/
Le dispositif, d’abord : des itws, sur fond noir, entrecoupées d’images extrêmement violentes tirées, pour la plupart, des manifs de GJ. Le montage même du film (à chaque fin d’intervention hop une image) montre à quoi sert ces images – à relancer le récit, à rythmer le film (3/
On compense l’austérité de la mise en scène par l’image insoutenable d’une main arrachée, d’un œil mutilé. Évidemment, on dira que ces images sont là pour leur valeur documentaire mais cette excuse, pour moi, ne tient pas (4/
Il n’y a aucune raison documentaire à faire venir ces images (par ailleurs déjà vues plein de fois pour la plupart) à un rythme si régulier, à en faire de simples images de transition vers le prochain intervenant. La violence comme outil de montage : là est l'abjection (5/
Mais il y a pire, bien pire. Dufresne s’est senti obligé non seulement de projeter ces images au spectateur mais également de les faire voir aux Gilets Jaunes eux-mêmes : (6/
pris en otage, le spectateur, placé dans la position de voyeur, se doit donc d’observer la réaction de celui ou celle qui contemple, souvent en larmes, sa propre mutilation. À quel moment a-t-il pu penser que c’était une bonne idée ? (7/
Parlons, maintenant, des intervenants. Le film, démagogue, se propose de ne donner aucune information sur les interviewé.e.s – ni nom, ni profession : il s’agit ici, sans doute, de promouvoir une sorte d’horizontalité de la parole (toutes les interventions se vaudraient) (8/
Pourtant, ce n’est pas le cas. Il y a bien deux types d’intervention dans ce film qui sont traitées de manière parfaitement asymétriques, sans que le réalisateur ait eu l’idée de penser cette asymétrie en terme de pouvoir (notion que le film se propose pourtant de décortiquer) 9/
D’un côté, donc : la parole des Gilets Jaunes. À quelques très rares exceptions près, cette parole n’a de valeur qu’en tant que témoignage : le Gilet Jaune met des mots sur les images qu’on nous montre (et qu’on leur montre) 10/
De l’autre, les intellectuel.le.s. C’est à eux, en dernière instance, que revient la mission de fixer le sens de ce qu’on voit. Les Gilets Jaunes sont là pour raconter, les Intellectuels pour interpréter - le partage est net et repose sur une logique de classe. 11/
Évidemment, il n’y a rien d’illégitime à demander à un savant (sociologue, http://historien.ne , etc.) de fixer un sens scientifique à ces violences policières. Le problème, c’est que les interventions sont parfaitement hors-sol 12/
Elles manient de grands concepts (Démocratie, Violence légitime, etc.) qui sont tellement éloignées des images projetées qu’elles ne les éclairent en rien 13/
On ne saura, par ex, rien des brigades qui interviennent (les mots BAC, CRS, etc. ne sont quasiment jamais prononcés : sans doute trop triviaux pour nos intellectuel.le.s). On ne saura rien non plus de la chaîne de commandement ou de la généalogie de la violence policière... 14/
......(les quartiers populaires sont rapidement évoqués, comme passage obligé, sans que rien de précis soit dit à leur propos). En un mot, on n’apprend rien sinon que la violence est violente et que Dufresne a décidé d’en faire son fond de commerce. 15/15
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