Pour les Journées européennes du patrimoine, un thread sur l'histoire du patrimoine et des musées de Grande Grèce, notamment celui de Tarente avec lequel je collabore pour mon projet #Feminicon. #JEP2020
Reconnue dès le XVIIe s., c’est au XVIIIe s. que la richesse archéologique de l’Italie du sud engendre les initiatives scientifiques et institutionnelles les plus fécondes, sous les règnes de Charles III et Ferdinand IV, puis de Bonaparte et Murat entre 1806 et 1815.
Souverains et antiquaires sont surtout intéressés par la présence romaine, dont les découvertes d’Herculanum en 1738 puis de Pompéi en 1748, montrent spectaculairement la richesse, et fournissent au Museo Reale de Naples, fondé en 1777, l’essentiel de ses pièces.
La Campanie et les vestiges romains occupent une place essentielle dans les préoccupations archéologiques, mais les autres régions et les vestiges grecs ne sont pas absents des questionnements, ni du souci du Royaume de Naples de définir et protéger son patrimoine.
Les lois de 1785 protègent celui-ci en limitant les exportations, sans les interdire. En 1830, une structure nouvelle associe le musée de Naples à une « surintendance archéologique » : le Museo Reale e Soprintendenza agli scavi di antichità del Regno.
Le Royaume favorise Pompéi et Herculanum ; les sites grecs sont fouillés par des particuliers et les collectionneurs amassent quantité de matériel archéologique. Le commerce illégal des antiquités et les aléas de la vie politique provoquent la dispersion des objets en Europe.
Par exemple, le matériel découvert en 1813 à Canosa dans un hypogée signalé par un important dispositif architectural (en grande partie perdu) est transféré dans les collections de C. Bonaparte puis de L. de Bavière, et termine finalement à Munich.
On observe donc le trafic, l'exportation et la dispersion du matériel. Le travail de Hans Klumbach sur les tombes de Tarente (1937) permet de percevoir l’ampleur des pillages et du commerce d’objets antiques qui touchent la région.
Il faut attendre l’unité italienne et la fin du XIXème siècle pour constater des changements scientifiques et institutionnels significatifs.
C’est avec un siècle de retard par rapport aux tombes de Tarquinia que l’étruscomanie avait explorées dès la seconde moitié du XVIIIème que des fouilles systématiques sont entreprises dans les nécropoles du sud.
Leurs publications demeurent souvent des références, notamment celles d’Emil Stevens pour Cumes et de Paolo Orsi pour Locres. L’intérêt de ces fouilles est rapidement établi. Le matériel est abondant en surface et à l’intérieur des tombes.
Dans le contexte d’une Italie unifiée qui s’intéresse à toutes les formes de son patrimoine historique, les créations de musées se succèdent (Reggio de Calabre en 1882, Tarente en 1887, Potenza en 1901).
Le cas du musée de Tarente, qui s’agrandit et se modernise à chaque changement de direction est notable, il permet de maintenir le matériel de l’une des plus grandes nécropoles de Grande Grèce sur place. J'y reviendrai.
« Commissario del Museo Nazionale » de Naples en 1900-1901, Paolo Orsi jette les bases d’un recensement général des matériaux archéologiques que réalisera son successeur Ettore Pais ; en 1908 est jetée la base d’un Museo Nazionale della Magna Grecia.
Dans le même temps, les fouilles se développent à Reggio, Locres, Vibo Valentia et Tarente. Grâce au développement des institutions patrimoniales et culturelles, on s’intéresse à une plus grande variété de matériel archéologique, et plus seulement aux vases et aux "beaux objets".
Aboutissement d’une longue maturation, et après bien des scandales dans le trafic des antiquités, la loi 185 du 12 juin 1902, complétée par une loi de 1909, organise la préservation du patrimoine et supprime la distinction entre patrimoine immobilier et patrimoine mobilier.
La nouvelle législation remplace le critère de la valeur "artistique" par celui de "l’intérêt historique, archéologique, paléontologique et artistique".
Active sur le terrain et encouragée par l’État, l’archéologie suscite la création de sociétés telles que la Società Magna Grecia en 1920 à Tarente, fondée par Paolo Orsi et Umberto Zanotti Bianco, qui vont dynamiser la recherche archéologique https://animi.it/societa_magna_grecia.html
La Surintendance aux Antiquités de Calabre est créée en 1925, tandis qu’il faut attendre 1963 dans les Pouilles. Les écrits d’Antonio Gramsci sur les cultures subalternes influencent durablement l’archéologie italienne.
Directeur général des antiquités et des beaux-arts de 1945 à 1948, Ranuccio Bianchi Bandinelli attire l’attention sur les pièces réputées les plus modestes des musées et des réserves, sur les productions des indigènes et des classes populaires.
Les nouvelles structures, lois et approches n’empêchent pas de nombreuses destructions, les nécropoles jusqu’alors encore décrites avec moult détails par les voyageurs finissent d’être pillées et rasées. Malgré tout, le nombre d’informations enregistrées augmente progressivement.
Revenons au musée archéologique national de Tarente ( @museo_marta), est installé dans un couvent du XVIIIe s. Les collections abritent du matériel préhistorique, protohistorique, médiéval et une collection de tableaux mais la plupart des objets remontent à l’Antiquité.
On l'a vu, le musée est créé en 1887 alors que la région voit son patrimoine pillé et dispersé. Le riche matériel découvert dans les Pouilles est vendu dans toute l'Europe, notamment les vases à figures rouges.
L'urbanisme galopant provoque de nombreuses découvertes et descriptions : le centre moderne se superposer en particulier aux nécropoles grecques de Tarente.
L'archéologue Luigi Viola décide donc de fonder un « musée de la Grande Grèce » afin d'éviter la dispersion du matériel.
Comme ce fut le cas pour le "Musée national de la Grande Grèce" de Reggio Calabria créé en 1882, le projet ne concrétise pas l’intention initiale : le MArTA est avant tout un musée de Tarente et des Pouilles, la politique italienne privilégiant les musées et antiquariums sur site
Le musée de Tarente conserve malgré tout des collections exceptionnelles, avec notamment les ors de Canosa (récemment vus lors du défilé Gucci à Lecce), les cariatides de Vaste et le matériel des nécropoles de la cité. https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Ancient_Greek_gold_ear-ring,_Taranto_4th_century_BCE_-_MArTA.jpg
Le musée est modifié à plusieurs reprises : on lui ajoute une façade de Calderini en 1903 puis il est agrandi de 1935 à 1941. Ces travaux s’accompagnent de la fondation de la Società Magna Grecia par P. Orsi et U. Zanotti Bianco en 1920 (la surintendance ne voit le jour qu'en 63)
Le musée a connu une nouvelle restructuration de 2000 à 2016. Rénové et agrandi, en partie grâce aux fonds du loto via la loi 662/96, le musée a rouvert partiellement en 2007, dévoilant au public des salles consacrées à la période grecque, notamment aux nécropoles et aux bijoux.
Si ce thread vous a intéressé et que vous voulez en savoir plus sur le patrimoine de Grande Grèce et son histoire, vous pouvez lire l'article que j'ai publié en 2015 dans la revue Topoi.
Il est gratuitement consultable sur Persée 🏺⤵️
https://www.persee.fr/doc/topoi_1161-9473_2013_num_18_2_2473
You can follow @FabienBP.
Tip: mention @twtextapp on a Twitter thread with the keyword “unroll” to get a link to it.

Latest Threads Unrolled: