Bon, après moultes hésitations : on y va. #THREAD

Sur Rimbaud/Verlaine, je pense qu'il faut parler d'un autre sujet, très délicat :

Rimbaud a-t-il été violé en 1871 ?
Voilà : en ce moment, tout le monde parle des liens entre Rimbaud et la Commune. (C'est l'insurrection qui eut lieu à Paris pendant deux mois, en 1871, et qui demeure dans la mémoire de la gauche - ou de l'extrême gauche - comme le modèle des autres révolutions...)
Ceux qui veulent mettre Rimbaud et Verlaine au Panthéon : "Le parquet belge et la police française ont monté un dossier à charge, dont les archives prouvent désormais qu’il fut lié à son rôle dans la Commune." PANTHEON = REPARATION. https://www.change.org/p/pr%C3%A9sident-de-la-r%C3%A9publique-pour-l-entr%C3%A9e-au-panth%C3%A9on-d-arthur-rimbaud-et-paul-verlaine
Les deux partis oublient juste que la Commune, pour Rimbaud, c'est très probablement un souvenir terrible : car nous sommes nombreux à penser que le poète a subi un viol à Paris, en voulant rejoindre les Communards.

Comment on le sait ? Facile : Rimbaud l'a (presque) écrit.
Voilà ce qu'on sait : 1. Ernest Delahaye (ami proche de Rimbaud) raconte que le poète, pendant la Commune, séjourna à Paris - dans une caserne de la garde nationale.
2. Delahaye raconte aussi ailleurs (et il le tient forcément de Rimbaud) : "L'aventureux gamin fut d'abord enfermé dans la cour du Dépôt [...] où il eut à défendre sa vertu contre des voisins qui s'ennuyaient."
3. Quand la Commune prit fin, Rimbaud, 17 ans !, écrivit un poème "Le coeur supplicié" qu'il envoya à son professeur de Lettres, Izambard.

Cette lettre, on l'a encore, regardez :
On va revenir sur ce poème, mais regardez la toute fin de la lettre.
C'est la 1ere fois que Rimbaud écrit des vers codés, pas simples à comprendre (on comprend pourquoi)... Et à l'adresse de son prof, et de tout ceux qui s'apprêtent à dire :"Il a vraiment écrit n'importe quoi"...
Rimbaud a ajouté ceci, très simple, très beau : "Ca ne veut pas rien dire."

Ca veut dire : "Écoutez mon témoignage. Ne haussez pas les épaules devant les images, les audaces. Essayez de comprendre ce que j'ai essayé de dire si secrètement, si honteusement."

#OnTeCroitArthur
Ce poème, où des vers reviennent comme un rondeau, est très beau, et parfois hideux, dégoutant. Le voici dans un livre, lisez-le une fois ou deux avant de continuez le thread svp.
On va essayer de le relire lentement.
Le titre : Rimbaud a changé souvent. "Le cœur du pitre", "Le cœur supplicié", "Le cœur volé"...
Ce qui est important, c'est le mot 'coeur'...
Rimbaud l'emploie en fait tout le temps à la place du mot "sexe", ou à la place du mot..."cul".
Du coup, le poème prend tout son sens, mais c'est presque trop violent.
Moi je pense qu'il faut respecter le mi-dire de Rimbaud. Que s'il a voulu dire son traumatisme d'une manière secrète, il faut respecter sa pudeur - et en même temps entendre très clairement ce qu'il a vécu.
Bref, regardons le poème vers par vers.

"Mon triste cœur bave à la poupe…"

Coeur=cul, vous avez compris...
La poupe, de toute façon, c'est l'ARRIERE d'un bâteau...
"Mon coeur est plein de caporal"

Le vers est immonde, alors Rimbaud a rusé : il n'a pas mis de 's' à caporal.
Et caporal sans 's', c'est quoi à l'époque ? "Un mauvais tabac, qui donne la nausée."

Donc on a à la fois le réel, l'atténuation du réel, et la nausée de la victime..
"Ils y lancent des jets de soupe".

Les caporals au pluriel reviennent, bien sûr...
Je ne vais pas essayer d'interpréter l'image "jets de soupe", on va reste soft...
"Sous les quolibets de la troupe
Qui lance un rire général"

Oui : on pense que Rimbaud a subi un viol collectif.
Certains critiques pensent que c'est juste un poème comme ça, qui ne raconte pas un viol. Mais ils sont très embêtés par le vers suivant :

" Ithyphalliques et pioupiesques"

Ithyphalliques : "Qui bandent durs".
"Pioupiesque" est bâti sur "pioupiou", le soldat en argot...
(Je passe sur quelques vers, qui se répètent). Puis :
"Quand ils auront tari leurs chiques,
Comment agir, ô cœur volé ?"

"Leurs chiques" rappelle le tabac à mâcher, oui. Mais petit dico du XIXe siècle :
"Tirer une chique : tirer un coup, éjaculer"...
Encore une fois, Rimbaud dit l'obscène en ne le disant pas. (Comme lorsqu'il écrit ce vers si triste, si sale : "J'aurais des sursauts stomachiques"...) Et du coup, on finit par comprendre très clairement, trop même, que le cœur "volé" fut en fait "violé".
Je crois que j'ai dit tout ce que je pouvais oser dire sur ces vers qui tournent sur eux-mêmes, qui essaient même parfois de faire sourire, et qui racontent hélas un drame qu'on n'a pas fini de ne pas entendre.
Parce que Rimbaud n'a jamais été explicite, et parce qu'il n'a jamais reparlé à personne de ce qu'il avait vécu pendant la Commune. Moi, je pense quand même que c'est très clair : "Ithyphalliques et pioupiesques"...
Mais sachez enfin que certains critiques estiment qu'on exagère - je vous jure -, et que Arthur Rimbaud, 17 ans, a juste vécu une..."initiation sexuelle".

#Vomi #CultureDuViol
Ainsi pour le critique anglais Steve Murphy :

"Le Cœur volé s'inscrit dans un ensemble de poèmes montrant de façon satirique le jeune homme inexpérimenté, face aux problèmes de la sexualité."

#BenVoyons #OnVousVoit
Il y a vraiment des gens qui se masquent le réel.
D'ailleurs, que répondit Izambard en réponse à ce poème si violent ? Il répondit : « être absurde, c’est à la portée de tout le monde ».
Rimb devait espérer autre chose, car leur amitié ne survécut pas à cette incompréhension.
Voilà, je finis ce thread un peu bizarre mais nécessaire en vous envoyant ailleurs :
Hier, @MatthieuFoucher a publié un article passionnant sur abus sexuels vécus par les gays dans l’enfance et l’adolescence... https://twitter.com/MatthieuFoucher/status/1308677072026505216
"Comment agir, ô coeur volé ?", se demandait Rimbaud.

La question est vite répondue : avec ce genre d'article.

THE END.
Merci pour vos multiples témoignages et vos messages.
Parfois, il y a des messages un peu plus...brutaux.
Comme celui-ci. Je le publie aussi parce que la meilleure façon de répondre à quelqu'un qui vous parle de haut : c'est de trouver dix critiques plus grands que lui...
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