1/ Y'a 2 semaines, j'ai eu une des visites de nuit les plus lunaires qu'il m'a été donné de vivre. Allez, je vous raconte...

Pop-corn time !

2/ Pour remettre dans le contexte, il est 5h45 du matin, je suis en fin de nuit de maraude dans la ville quand je vois la prochaine visite sur mon téléphone. Motif : fièvre/insomnie, chez un homme de 21 ans.

3/ Un combo de motifs assez rare, et y'a un icône "à lire" ce qui veut dire qu'il y a un commentaire de la secrétaire : "demande pas claire, appel de la mère, son enfant s'est réveillé et grelotait, 37.1 mesuré de température au bras".

4/ Dejà ma première réaction fut de crier intérieurement Allelulia, enfin une personne qui a pris la température !

(car oui, quand les gens disent avoir de la température, dans 9 cas sur 10, si ce n'est 9.9 cas sur 10, y'a pas de thermomètre ou plus de piles dedans)

5/ A mon arrivée, je suis accueilli par la mère, qui m'attendait sur le péron. J'ai vérifié, elle fumait pas et pas de mégots, elle m'attendait bel et bien. Et sous le porche (il pleuvait) et en robe de chambre.

6/ Elle me guide jusqu'à la chambre du fiston et là, je commence à fermer la porte, qu'elle réouvre de la main. Je me tourne vers elle et lui dis "votre fils est majeur, sauf accord de sa part, je préfère être seul avec lui, secret médical".

7/ Le fils, dans son lit, dit "c'est bon elle peut rester". Sauf que merde, j'ai UNE question à lui poser, et je préfère être sans sa mère. Bha oui, savoir s'il a chichonné ou cachetonné et qu'il est pas en bad trip. Un classique. Et j'aurais pas ma réponse en présence de môman.

8/ Du coups je dis "j'ai une question spécifique à vous poser, je préfère dans un premier temps être seul avec vous" et là je ferme la porte au nez de la mother. Que j'imagine pas contente derrière.

9/ Et là je demande au patient "que puis-je faire pour vous ? que se passe t-il ?".
- Je me suis réveillé tôt
- Tôt comment ?
- Bha à 5h du matin
- Et vous vous êtes couché à ... ?
- Vers 22h
- Hum ... et 7h de sommeil c'est pas assez ?

10/ - Si, mais d'habitude je me lève pas comme ça "

Dans ma tête : le mec découvre probablement qu'il n'est plus un ado qui a besoin de ses 12H de sommeil.

11/ - "Et vous avez picolé hier soir ? Fumé du tabac rigolo ? Pris des médicaments ? C'est ça que je voulais demandé sans votre mère.
- Nan, rien de tout ça. Je suis élève en école de gendarmerie, ça rigole pas avec ça."

Je le crois, of course.

12/ - " Mais vous savez que c'est pas grave de se réveiller spontanément après 7h de sommeil ? C'est souvent signe qu'on a assez dormi.
- Ouais, je sais, j'ai dit à ma mère de pas vous appeler
- Et qu'est-ce qui l'a inquiété selon vous ?"

Lui :

13/ - "Bha, je suis allé la voir pour lui dire que j'avais froid
- Ha, et vous avez toujours froid ?
- Non, ca va mieux depuis que j'ai mis un t-shirt
- Vous êtiez torse nu ?
- Oui, juste en caleçon
- Et vous dormez nu ?
- Non, toujours avec un t-shirt "

Moi :

14/ Là, je suis un peu décontenancé. Avoir froid en dormant à poil, c'est quand même pas très médical et un peu normal, hein, et le coups du réveil matinal après une nuit de 7h, là aussi, comment dire... hum...

15/ Bha, la fatigue, je dis rien du coups. Je sors mon thermomètre-pistolet-infrarouge-sans-contact-de-la-mort-qui-tue et paff, le pointeur laser entre les deux yeux et click.

16/ N'y voyez aucune analogie de volonté d'assassiner d'une balle entre les yeux un patient dont je me serai bien débarrassé sur le moment, hein, même si cela aurait fortement donné cette impression pour un obsertaveur extérieur.

17/ Normal. Pas d'hyper ou d'hypothermie.

Le type me demande "Alors, j'ai quoi, Docteur ?"

18/ "Rien"

(longue pause où on se regarde dans les yeux, très longue)

Lui comme ça :

19/ Moi comme ça :

20/ Puis je brise le silence d'un "Si vous avez pas d'autres question, je vais prendre votre carte vitale".

Le patient, toujours dans son lit, hurle "MAAAMMMAAAAN" et là la porte s'ouvre d'un coups. La mère était derrière la porte.

Ha oui, merde, la mère, je l'avais oublié !

21/ En plus elle devait trépigner, son fiston avait dit OK pour qu'elle soit là et j'avais qu'une question à lui poser en tête à tête. Et je vois dans son regard qu'elle est pas contente.

"Maman, tu donnes ma carte vitale au médecin ?"

22/ Pendant ce temps, je descends dans le hall, je regarde les photos de famille pendant que j'entends gueuler à l'étage "Mais putain, elle est où ta carte ?" "Je sais pas !" "Mais faut toujours l'avoir", etc. Et ça s'agite, ça ouvre les sacs, ça ouvre les placards, etc.

23/ Moi je reste stoïque, zen, fin de nuit, pas envie de m'ennerver, je patiente, je regarde le salon. Joli salon, tiens, une idée déco. Ho un chat. Et si je regarde Twitter.

24/ La mère descend un chéquier à la main d'un très sec "bon, il a pas sa carte vitale !" dit en hurlant en levant la tête vers la chambre du fils à l'étage, puis en s'adressant à moi "je vais vous régler"

Elle prend un crayon et me dit "c'est 25€, c'est cela ?"

25/ Heu, nan, ça c'est le tarif au cabinet, en journée. à 5h du matin, en visite à domicile non programmée, c'est 84,5 €.

Moi :

26/ Elle :

27/ Elle attrape son crayon et en écrivant le chèque, elle me demande, "et il a quoi, alors ? "

"Bha, votre fils étant majeur, il me faut son accord pour vous parler de sa santé, secret médical"

28/ Là j'entends dans l'escalier hurler "JE VOUS DONNE MON ACCORD".

29/ Je lève donc les yeux de la feuille de soins que je suis en train d'écrire : la mère est en train de me tendre le chèque, je vois à son regard qu'elle attend la réponse à sa question " il a quoi mon fils adoré chéri " qu'elle hurle dans sa tête.

30/ Et tout en attrapant le chèque et en tirant d'un petit coups sec (car elle voulait pas le lâcher) je lui dis :

"Rien"

Je range le chèque et je rajoute :

"Il n'a rien, il s'est juste levé tôt".

31/ - " mais il grelotait !
- Vous avez déjà dormi nue ?
- Oui
- Et vous aviez pas froid ?
- Bha si "

Dans mon regard : " CQFD ! "

32/ Bon, je me suis pas eternisé, hein, j'ai fait une carresse au chat et je suis parti.

Et bhé, celle là, elle était bien lunaire, cette visite.

Entre nous, j'aurai du faire une ordonnance de chirurgie : "section du cordon ombilical, en urgence relative, bisous"