Au procès des #AttentatsJanvier2015 la cour s'apprête à entendre aujourd'hui les familles des quatre victimes décédées : Yohan Cohen, Philippe Braham, Michel Saada et Yoav Hattab.
Audience à suivre en LT ici. Illustrée par le dessinateur Matthieu Boucheron.
L'audience reprend avec tout d'abord la lecture du témoignage de Patrice Oualid, gérant du magasin Hyper Cacher qui n'a pas souhaité venir témoigner. Il vit aujourd'hui en Israël.
Dans son audition, Patrice Oualid explique qu'il avait pris la gestion du magasin trois jours auparavant. Il a croisé le regard du terroriste et s'est enfui. Il a été atteint d'une balle dans le bras.
Eric Cohen, père de Yohan Cohen, tué à 20 ans, s'avance à la barre. Il raconte avoir filé en voiture vers la porte de Vincennes où il retrouve sa femme et son beau-frère. Il ne sait alors pas que son fils est décédé : "une attente interminable. On ne sait même plus où on habite".
Le père de Yohan Cohen explique qu'à "16h, quelqu'un sur le trottoir nous dit : "c'est bon, aucun mort et aucun blessé". Moi, je pensais que j'allais retrouver mon fils." Ce n'est qu'à 19h30 qu'il apprend que Yohan Cohen fait partie des victimes.
Le père de Yohan Cohen explique: "une commissaire nous a dit : tous les noms que je vais appeler, vous me suivez". Le premier nom qu'elle a appelé c'est "Cohen".
A l'annonce de la mort de son fils, "j'ai eu une réaction violente. Une réaction de père".
Le père de Yohan Cohen explique: "le pire a été le réveil le lendemain matin. On a l'impression d'être des autres gens."
Il poursuit : "à ce jour, j'ai toujours voulu préserver ma femme et notre fille. J'ai réussi à cacher le fait que Yohan avait souffert."
Le père de Yohan Cohen : "qu'on puisse entendre que Yohan a dit "au secours, au secours, ça fait mal" et qu'il a agonisé pendant une heure" et ma fille qui est tombé dessus au bout de six ans, vous imaginez ...."
Le père de Yohan Cohen travaillait "dans la même société depuis 15 ans" au moment où son fils a été tué dans l'attentat de l'Hyper Cacher. Il a été arrêté et n'a toujours pas repris le travail à ce jour. "Je ne suis plus capable de faire quoi que ce soit, je ne suis plus moi."
Eric Cohen évoque son fils Yohan : "il était altruiste, il avait un respect énorme pour ses parents. Je l'ai toujours éduqué comme l'éducation que j'ai eue moi-même : il n'y a pas de religions différentes. D'ailleurs son meilleur ami c'était Lassana" [Bathily, musulman ndlr]
Eric Cohen à la barre : "Pourquoi cette méchanceté gratuite? Pourquoi cette haine du juif? Je n'arriverai jamais à comprendre."
Il refuse de regarder les accusés : "comment ils peuvent aider quelqu'un à enlever la vie des gens Yohan, 20 ans, il allait se marier."
Eric Cohen : "à chaque anniversaire, à chaque fête, à chaque joie ... ben c'est fini ... ce ne seront plus jamais des joies à 100%. J'essaie de vous parler poliment, mais quand vous avez perdu votre fils c'est très difficile de se contenir"
Eric Cohen évoque le quotidien de la maman de Yohan Cohan : "Inexistant. Elle ne veut rien voir, rien entendre. De toute façon, on n'arrivera plus à vivre normalement, c'est terminé. On nous a volé notre chair. Ce ne sont pas que des mots. "
Le père de Yohan Cohen explique qu'il était hier dans la salle d'audience, lorsque a notamment été évoquée la longue agonie de son fils. "Je connaissais des choses mais j'ai appris d'autres détails. Comprenez que c'est douloureux d'entendre ça"
Après l'assassinat de Yohan Cohen, ses parents sont partis s'installer en Israël. "Mais ma fille", explique Eric Cohen, "pour des raisons professionnelles, vit en France. Et j'ai peur pour elle. Je ne pense qu'à elle."
Le père de Yohan Cohen veut ajouter quelque chose : "hier, à la suspension, j'ai été indigné de la camaraderie entre les avocats de la défense et les accusés. Ils sont accoudés comme au bar et ça rigole, ça rigole. C'est un manque de respect, c'est difficile de garder son calme."
Franck, oncle de Yohan Cohen s'avance à son tour à la barre. Il était avec les parents de Yohan Cohen pendant la longue attente près de l'Hyper Cacher. "A ce moment là, on espérait. La presse disait qu'il n'y avait pas de morts. Donc était rassurés."
L'oncle de Yohan Cohen : "je suis 4-5 fois par jour au téléphone avec mon beau-frère. Vous allez chez ma mère, c'est un sanctuaire. On dirait qu'elle sort d'Auschwitz, elle a la peau sur les os. Ma soeur, la France, ce n'est plus possible. Quand elle doit venir, c'est un enfer."
L'oncle de Yohan Cohen évoque les accusés : "moi, ça me rassure de savoir qu'ils sont là [dans le box ndlr]. Alors moi, je ne sais pas qui est impliqué, qui ne l'est pas. Mais eux, ils savent."
L'oncle de Yohan Cohen poursuit : "c'est toute une famille qui est morte. Ma soeur, il faut l'accompagner comme une enfant. Avec mon beau-frère, s'ils n'avaient pas encore leur fille, ils ne seraient plus de ce monde. C'est sûr".
L'oncle de Yohan Cohen explique que c'est lui qui a reconnu le corps de son neveu. "Je n'ai plus que cette image qui reste. J'ai vu un psy pendant deux ans parce que j'étais très agressif."
Il a voulu voir les photos projetées hier à l'audience "pour avancer".
L'oncle de Yohan Cohen raconte que son neveu "touchait 1600 ou 1800 euros par moi. Et pourtant, à sa mort, il y avait 10 000 euros sur son compte. La banquière nous a dit qu'il mettait de l'argent de côté parce qu'il avait peur que ses parents manquent d'argent."
Valérie Braham, veuve de Philippe Braham, s'avance à la barre. "Quand j'ai appris pour la policière à Montrouge, mes enfants étaient scolarisés là, à Montrouge, et je ne voulais pas les envoyer à l'école. Mais mon mari a dit "on ne va pas arrêter de vivre pour un petit con"
Valérie Braham explique qu'à cette époque : "ma dernière avant 20 mois, mon petit 2 ans et demi et mon aînée 8 ans."
Ce jour là, elle va chercher ses enfants à la crèche et la maternelle lorsqu'elle reçoit un appel de sa soeur.
Valérie Braham : "mon mari et mon on avait un deal entre nous. Je suis une femme assez anxieuse de base donc il savait qu'il fallait qu'il me réponde, mais juste pour dire "oui" et raccrocher. Ce jour-là, il ne m'a pas répondu. J'ai tout de suite compris."
Valérie Braham : "je suis rentrée à la maison, j'ai pris quelques affaires et j'ai emmené mes enfants chez mon beau-frère. Ca a été les heures les plus longues de toute ma vie"
Elle regarde l'assaut à la télévision : "j'ai bien regardé l'écran et je l'ai cherché partout."
Valérie Braham : "j'ai appelé les hôpitaux parce que je pensais qu'il était peut-être blessé. Finalement, c'est le président de ma communauté qui est venu. En le voyant sur la terrasse, j'ai compris mais je ne voulais pas."
Valérie Braham : "J'avais 2bébés avec moi et ma fille de 8 ans. Mon mari c'était mon pilier dans ma vie, je suis morte avec lui. Aujourd'hui, si je suis là, c'est pour mes enfants, c'est tout. Des enfants qui grandissent sans papa. Ma petite dernière ne s'en souvient même plus."
Valérie Braham : "j'ai peur de ne pas réussir à élever mes enfants. C'est très lourd, je suis fatiguée. Je fais tout pour que ce soit le moins difficile pour eux. Mais j'ai peur de l'avenir. Je ne sais pas ce que je vais leur dire plus tard. Je n'ai pas tout dit encore."
Valérie Braham : "je leur ai dit qu'un méchant monsieur a tué leur papa. Mais eux, ils ne comprennent pas pourquoi tuer leur papa qui était le plus gentil du monde."
Valérie Braham : "j'ai tenté une, deux, trois fois de reprendre le travail. Mais c'est impossible. Ca fait 5 ans et demi que les enfants n'ont pas été dans un parc, n'ont pas assisté aux anniversaires des copains. Car je n'en suis pas capable."
Valérie Braham : "le jeudi, il est allé faire les courses, je lui ai fait une liste. Et quand il est revenu, il ne m'amène pas toute la liste. Alors, je l'engueule un peu :"j'en avais besoin pour le shabbat". Il m'a dit : "j'y retourne demain". Et pour ne pas me contrarier ...."
Valérie Braham craque à la barre, explique sa culpabilité d'avoir dit à son mari qu'il manquait des aliments pour le shabbat.
"J'avais dit que j'essaierai de ne pas pleurer ..."
Valérie Braham : "cela fait six ans, mais c'est dur. Je le vois à travers mon fils. Il lui ressemble comme deux gouttes d'eau."
Elle fait projeter des photos de famille à l'audience. L'une d'elle a été prise cinq mois avant.
Valérie Braham :"pour moi chaque date, chaque fête, chaque anniversaire est une souffrance. Il n'a pas vu mes petits rentrer au CP. Mon fils, il commençait tout juste à marcher."
Valérie Braham explique son mari Philippe était "le gendre idéal. Il était un fidèle de la communauté, très apprécié. Même les jeunes l'adoraient parce qu'il était très drôle. Ce n'était pas que mon pilier, c'était un pilier."
Valérie Braham raconte "dans les fêtes juives, c'est l'homme qui fait la prière. Moi je n'étais pas pratiquante, mais maintenant c'est moi qui fait la prière, jusqu'à ce que mon fils soit en âge de la faire."
Valérie Braham : "maintenant les gens savent ce que c'est d'être confiné et de rester à la maison. Moi, ça fait presque six ans que je suis confinée à la maison."
Valérie Braham : "je suis là parce que j'ai besoin de parler de mon mari. J'ai besoin qu'ils [les accusés ndlr] sachent quel mari extra il était, quel papa incroyable il était. Il nous ont privé de ça."
Valérie Braham : "aujourd'hui, j'ai peur pour moi. Je ne suis pas vieille, je suis devenue veuve à 39 ans. Mais j'ai peur qu'il m'arrive malheur parce que s'il m'arrive malheur, qui va prendre soin de mes enfants."
Zarie Sibony : "je tiens à m'excuser auprès des familles des victimes. J'espère que ce que je vais dire ne va pas alourdir leur peine. Je témoigne aussi de la part d'Andréa, mon amie et la 2e caissière ce jour-là".
Zarie : "j'étais à ma caisse, en train de faire passer un paquet de poulet surgelé lorsque j'ai entendu la première détonation. Sous le choc, j'ai lâché le paquet. La première détonation c'est la balle qu'il a tiré sur Yohan [Cohen ndlr].
Zarie : "Yohan [Cohen ndlr] est tombé, il tenait sa joue dans sa main et il criait : "au secours, Patrice [Oualid, gérant du magasin, ndlr] ça fait mal". Par peur, je me suis cachée sous ma caisse."
Zarie : "recroquevillée sous ma caisse, j'entends le terroriste qui demande "comment tu t'appelles?". Je n'entends pas la réponse, mais j'entends une nouvelle détonation. Après j'ai compris qu'il venait de tuer monsieur Braham."
Zarie : "puis, je l'ai vu avec ses bottes militaires, son gilet avec toutes ses munitions. Il m'a dit : "ah, tu n'est pas encore morte, toi?" Et il a tiré. J'ai vu l'impact dans ma caisse, à quelques millimètres de mois.
Zarie : "j'ai fait le tour de ma caisse et j'ai vu les corps de Yohan et monsieur Braham. Je lui ai dit : "si vous voulez l'argent, je vous donne tout, il n'y a pas de problème."
Zarie : "il a rigolé. Il m'a dit : "tu crois que je suis venu pour de l'argent? Tu as entendu ce qu'il s'est passé à Charlie Hebdo? Avec les frères, on s'est synchronisé, moi je m'occupe des policiers et de vous."
Zarie : "il [Amedy Coulibaly, ndlr] a dit : "vous êtes les deux choses que je déteste le plus au monde : vous êtes juifs et français"."
Zarie : "ensuite il a braqué son arme sur Andréa et il m'a dit :"tu as dix secondes pour faire remonter les gens qui sont en bas. A ce moment là, Andrea avec Yohan c'était la seule personne que je connaissais."
Zarie : "les gens ne voulaient pas remonter. Je savais très bien que si je ne remontais pas, il allait tuer Andréa. Et si je remontais toute seule, c'était moi qu'il allait tuer. J'avais tellement peur que je sentais mes dents s'entrechoquer."
Zarie : "il m'a demandé d'appeler la police. J'ai eu un espoir, je me suis dit que c'était une bonne chose. J'ai appelé le 17 et il y avait un message préenregistré : "pour un appel urgent, veuillez patienter." Je me suis demandé ce qu'il pouvait y avoir de plus urgent"
Zarie : "l'attente [au numéro 17] était très longue. Alors il se moquait de nous, il disait qu'on n'était pas assez importants pour que la police s'occupe de nous."
Le terroriste demande alors à Zarie de fermer le rideau de fer. "Et là, un client essaye de rentrer. Il était au téléphone. Je ne pouvais pas lui dire explicitement qu'il y avait un terroriste derrière alors je lui disais :"non, monsieur, ne rentrez pas."
Zarie explique que Michel Saada lui répond : "je prends juste une ou deux choses, je fais très vite et je sors." Il est entré, il a vu le corps de monsieur Braham, il a fait demi-tour." Mais le terroriste tire. "Il est tombé, il a tremblé un peu puis il était mort."
Zarie ferme alors le rideau de fer : "j'avais l'impression de tous nous enterrer vivant.". Puis, elle faire remonter les autres otages réfugiés au sous-sol.
Zarie : "Yoav [Hattab ndlr] a pris son arme qui était posée sur le côté. Il n'a même pas eu le temps de tenter quelque chose que le terroriste lui a tiré une balle dans la tête. Il y avait beaucoup beaucoup de sang ...."
Zarie : "j'avais l'impression d'être sur une scène de guerre. J'avais jamais vu autant d'arme de ma vie : des couteaux, des bâtons rouge [de dynamite ndlr], des grenades."
Zarie : "on était dans ce magasin fermé, avec le sang, l'odeur, les armes."
La jeune caissière poursuit son récit glaçant. "Il nous a assis dans les rayons, il nous a demandé à chacun notre nom, prénom, âge, profession et religion."
Zarie : "on était tous juifs et français. A part deux personnes, dont il s'est moqué d'ailleurs. Il leur a dit :"vous avez mal choisi le jour pour venir faire vos courses dans un magasin cacher"
Zarie : "il [Amedy Coulibaly, ndlr] nous a parlé de lui, il nous a dit qu'il avait neuf soeurs, qu'il était allé en Syrie. Il nous a dit qu'on payait nos impôts qui servaient à paye l'armée française et qu'en ça on était coupables."
Zarie est sommée par le terroriste de répondre au téléphone. "Mais il y avait tellement d'appels qu'on a enlevé les fils pour le débrancher.
Lui est resté dans le bureau. C'est le seul moment où j'ai réussi à pleurer de peur, de nerfs. Il m'a dit :"ah tu pleures, mais pourquoi?"
Zarie raconte encore ce "petit garçon de trois ans qui était malade, qui vomissait. J'ai osé demander si je pouvais m'occuper de lui, nettoyer. Il [Amedy Coulibaly] m'a dit :"bien sûr, faites ce qu'il faut, qu'on ne dise pas que je fais du mal aux enfants."
Zarie : "chaque fois que je me déplaçait dans le magasin, je devais enjamber les corps. C'était tellement dur. C'était dur aussi d'entendre Yohan [Cohen ndlr] qui avait mal, qui gémissait. Ces personnes je ne les oublierais jamais. Je parlerai toujours d'eux."
Zarie : "il s'est levé, il est passé parmi les corps. Quand il est arrivé devant le corps de Yohan, il a dit :"ses bruits me dérange, est-ce que vous voulez que je l'achève?" On a tous dit : "non, non pas du tout."
Zarie : "ces quatre personnes qui sont mortes ce jour là, j'ai eu un lien avec tout le monde : Yohan, il était près de moi, monsieur Braham il attendait à ma caisse, monsieur Saada je me dis que si j'avais baissé le rideau plus tôt ... et Yoav c'est moi qui l'ai fait monter."
Zarie : " à un moment, le terroriste a dit : "je vais prier dans le fond du magasin, ne tentez rien". Et là, sur la porte de secours, on entendait des voix qui disaient :"zut, c'est coincé". En fait c'était la police."
Zarie : "j'ai dit :"je pense que la police essaie de rentrer. On s'est tous mis derrière la dernière caisse à plat ventre. J'ai essayé de mettre le petit garçon en-dessous de nous pour le protéger un peu. Le terroriste a dit : "si vous essayer de rentrer, je les tue tous".
Zarie : "pendant ces quatre heures, moi j'étais sûre de mourir. Je priais juste pour que ce soit une balle dans la tête rapide et que ça fasse pas mal comme Yohan [Cohen]."
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