Connaissez-vous l’ordo-libéralisme, ce courant original du libéralisme ?
#Thread hebdo pour s’extraire des clichés politiques français et des caricatures sur cette théorie économique accusée de "tous les maux", mais qui explique (en partie) la réussite de l’Allemagne.
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2/ L’ordo-libéralisme, ou "Ecole de Fribourg" du nom de l’université où plusieurs théoriciens enseignèrent, eut une grande influence sur le redressement de l’après-guerre et fonda la culture économique allemande moderne. Certains disent de l’Europe de Bruxelles également…
3/ La principale figure de l’ordo-libéralisme, Wilhelm Röpke, fut de fait l’un des conseillers du chancelier Konrad Adenauer et de son ministre de finances Ludwig Erhard. Il fut aussi l’un des inspirateurs de la doctrine de l’économie sociale de marché (Soziale Marktwirtschaft).
4/ Né à la fin de la république de Weimar, notamment avec les travaux d’Alexander Rüstow (1885-1963), de Walter Eucken (1891-1950) et de Wilhelm Röpke (1899-1966), l’ordo-libéralisme cherche à apporter des explications et des réponses à la crise de 1929.
5/ Constatant les limites du libéralisme anglais et du laissez-faire mis en accusation au cours de la Grande Dépression, les ordo-libéraux cherchent à rénover la pensée libérale, sans pour autant valider l’interventionnisme massif ou le planisme.
6/ Ces universitaires, très marqués par le droit et la philosophie, attachés à la liberté individuelle et opposés à l'Etat fort, rejettent le régime nazi. Eucken entre dans la résistance. Röpke et Rustow, eux, quittent le pays en 1933.
7/ Lucide, Röpke écrit avec prémonition que celui qui vote pour le parti d’Hitler "vote pour le chaos et non pour l’ordre, pour la destruction et non pour l’édification". Röpke s’installera à Istanbul avant de se réfugier à Genève en 1937 où il enseignera jusqu’à sa mort en 1966.
8/ Dans l’après-guerre, la République Fédérale Allemande, ruinée, traverse une grave crise marquée par la pénurie, la sous-production et le risque inflationniste. Le ministre des finances Erhard, sur les conseils des ordo-libéraux, décide pourtant de lever les contrôles des prix,
9/ de mettre en place une nouvelle monnaie et de baisser les taux d’imposition. Rapidement, à la surprise des Alliés, l’économie allemande redémarre, s’engageant dans plusieurs décennies de forte croissance, à tel point que l’on parlera de "miracle allemand".
10/ L’ordo-libéralisme repose sur des principes communs à tous les courants du libéralisme : primauté de l’économie de marché, liberté d’entreprendre et de concurrence, défense de l’intérêt privé,…
11/ Mais il a aussi de très fortes spécificités. Les ordo-libéraux ne croient pas que les règles du marché émergent spontanément. Comme l’écrit Eucken, "il ne suffit pas de réaliser certains principes de droit et de laisser le développement de l’ordre économique à lui-même".
12/ Pour l’école de Fribourg, l’Etat a un rôle important à jouer dans l’économie pour favoriser l’exercice de la liberté et le bon fonctionnement du marché, en particulier pour assurer le maintien d’un "ordre concurrentiel juste, véritable et fonctionnel".
13/ La logique capitaliste dans un environnement de laissez-faire conduit en effet à la constitution de monopoles ou d’oligopoles, au détriment des individus. La concurrence protège alors les agents économiques des abus de l’Etat ou des groupes de pression.
14/ L’Etat doit veiller en parallèle à la libre formation des prix, meilleure façon de coordonner l’offre et la demande, ainsi qu’à la stabilité monétaire, qui doit être assurée par des banques centrales indépendantes.
15/ Les ordo-libéraux s’éloignent également du laissez-faire en validant un certain interventionnisme conjoncturel qui, plutôt que par des subventions, privilégie l’adaptation par le biais de crédits, de plans de reconversion et du soutien aux groupes sociaux les plus fragiles.
16/ s’ils critiquent l’Etat-Providence en raison de son caractère déresponsabilisant, ils soutiennent les politiques permettant de transformer l’économie grâce à la recherche, l’enseignement, la formation, les infrastructures et les PME.
17/ L’ordo-libéralisme n’est toutefois pas seulement un courant économique. Il propose une philosophie plus large car l’humain ne saurait être réduit à un Homo Economicus.
18/ Pour Rüstow, "Il y a infiniment de choses qui sont plus importantes que l’économie : la famille, la commune, l’Etat, le spirituel, l’éthique, l’esthétique, le culturel, bref l’humain".
19/ Röpke écrit quant à lui que "l’économie de marché est une condition nécessaire mais non suffisante d’une société libre, juste et ordonnée" et que "la société ne peut pas être édifiée sur la loi de l’offre et de la demande".
20/ Dans la droite ligne de la pensée chrétienne rhénane, Röpke aspire à la construction d’un ordre social juste, fondé sur le développement de la personne, de la liberté, de la solidarité et le sens du devoir.
21/ Convaincu que l’entrepreneur dans une petite ou une moyenne entreprise prendra plus naturellement conscience de ses responsabilités sociales, il défend un monde décentralisé, fondé sur la proximité et les solidarités humaines.
22/ La vie en petite communauté comme en Suisse lui apparaît préférable à la vie anonyme dans des métropoles déshumanisés. Conservateur pessimiste, il est très critique de la société moderne "américanisée", où triomphent la consommation de masse, l’urbanisation et l’inculture.
23/ En définitive, la pensée ordo-libérale est donc bien plus complexe que la caricature qui en est faite, notamment en France. L’ordo-libéralisme ne préconise ni un laissez-faire généralisé, ni l'austérité volontairement douloureuse.
24/ Les travaux de l’école de Fribourg reflètent avant tout la volonté de concilier l’économie de marché et l’exigence sociale, tout en reposant sur une conception élevée de l’être humain.
FIN (et bon week-end).
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