Incroyable découverte. 🙃 https://twitter.com/xguilbert/status/1303328028852924416
(C'est pas du tout un tweet contre Xavier hein, son thread est aussi utile que gargantuesque, comme d'hab)

Juste que le constat que le Manga, c'est quasiment la seule forme de BD que lisent les pauvres et les jeunes (les jeunes pauvres, c'est 100%), c'est le b.a.-ba.
Comme le dit Xavier, l'évolution est très nette depuis 2011, et le temps des études est lent. En réalité, ça l'est depuis bien avant, et je pense que c'est issu de la génération née entre 85 et 2000, pas tellement recensée sur ces questions jusque là. https://twitter.com/xguilbert/status/1303331763742281728?s=20
Du coup je marche sur des oeufs parce que y a plusieurs choses qui découlent de ça :
- L'accessibilité nouvelle à la BD
- Le désintérêt des éditeurs historiques pour le manga alors qu'ils en sont les plus gros pourvoyeurs.
- Le renouvellement du lectorat qui nous tend les bras
Mais avant ça, partons d'un constat, dont j'ai déjà parlé ici je crois. À Angoulême cette année on s'est auto-congratulés entre le vin et le champagne du mercure car "2019 était la plus grosse année de BD - comprendre Franco-Belge - de tous les temps." Sauf que, y a un twist.
2019 a été un alignement de planètes comparable à une éclipse de soleil totale, du genre qui arrive tous les 80 ans. Deux Blake & Mortimer, un nouvel Astérix : rien que ça, en 3 albums, c'est plus qu'une année sans eux. Et il y avait d'autres séquoias pour cacher la forêt.
Forêt qui brûle avec une précarisation forte de tous les métiers de la chaîne du livre à part les têtes couronnées et les logisticiens (comme dans les autres industries, hein), avec de plus en plus de bouquins envoyés au charbon pour occuper du rayon, comme au tournant du siècle.
(c'est vers la fin des années 90 / 2000 que le modèle de publication a changé pour produire plus, vendre moins de chaque titre, mais occuper tellement d'espace qu'on vend suffisamment pour faire tourner la machine. + d'auteurs, mais + d'auteurs précaires in fine)
Bref, revenons donc à 2019, année de ouf pour la BD, 2020 "année de la BD". Admettons. Le COVID arrangera pourtant bien tout le monde en janvier prochain, pour peu que le FIBD ait lieu, parce qu'il permettra de justifier le scandale : Le Manga va EXPLOSER la bonne vieille BD.
Ce ne sera pas la première fois que le Manga va s'imposer très fort, mais là pour moi (je ne suis pas nostradamus), ce sera un point de non retour, en dehors d'Astérix qui, à l'instar de Walking Dead, force les statisticiens du livre à parler en médiane plutôt qu'en moyenne.
Pourquoi ? On revient au début : grâce aux plus modestes et aux plus jeunes. Ça n'échappe à personne que les TT sont tous les jours liés à du manga ici par exemple, et pas que Dragon Ball, Naruto ou One Piece, on voit émerger des licences qu'on aurait jamais imaginé à ce niveau.
Certes, les scans ralentissent la progression du manga, mais c'est peut-être mieux pour les joues déjà rougies de notre production locale, qui s'étiole et qui ne renouvelle plus rien. Le problème : beaucoup de lecteurs de manga n'ont même pas l'impression de lire de la BD.
Pour un gamin fan de Shonen, qui va suivre un parcours de lecteur classique, rentrer dans une librairie spé' BD aujourd'hui, c'est souvent assez anxiogène, à part chez ceux (nombreux, dieu merci), qui ne cachent pas le rayon manga comme le mouton noir du magasin.
Pourtant, chez les éditeurs, on refuse de voir cette tendance, on s'en sert parce qu'en plus, le manga présente l'énorme avantage de faire BEAUCOUP PLUS de marge qu'un Comics (le pire pour la marge) ou qu'une BD Franco-Belge (couteux, parce que créée plutôt qu'achetée).
Résultat : toute la jeune génération qui s'est butée aux jeux vidéo, à Hollywood, qui connait ses classiques en Comics et qui a lu des milliers de manga, au point de retranscrire ça sur leur planche dans un genre hybride, à part au 619, c'est très souvent porte close en maison.
Perso', en ayant reçu des centaines de dossiers de jeunes et moins jeunes de tous horizons, j'ai toujours constaté une envie d'éclater la narration, de décompresser comme les japonais (attention, ça demande une organisation draconienne qu'on sous-estime ici), mais surtout
J'ai vu une jeune génération, filles, garçons, tous genres confondus, avec un talent complètement DINGUE, tous persuadés qu'ils n'ont aucune chance d'y arriver parce que dans les maisons tradi', on veut un cadre classique : 4 albums de 64 pages, des cycles, et aucun débordement.
Sauf que ce modèle s'affaisse, ses lecteurs sont vieillissants et un peu saoulés par les répétitions ad nauseam des mêmes logiques (attention hein, on produit encore plein de chefs d'oeuvre ici hein, je décorrèle la qualité de la politique), et peu de solutions apparaissent.
Pourtant la solution est là: transformer ces centaines de milliers de lecteurs de Manga, le genre qui est sûrement le meilleur vecteur de solidarité et d'universalité qui nous est donné, en plus d'être le sauveteur de l'industrie du livre, en accompagnant ceux qui s'en inspirent.
Pour ça, il y a des choses à repenser à l'échelle industrielle, pour revoir un peu le camembert de distribution du prix du livre, bien trop engoncé dans une logique que tout le monde a peur de remettre en cause, et qui mène pourtant les auteurs et le genre à leur perte. Dommage.
Ou alors on peut aussi tenter des choses en dehors du circuit traditionnel (👀), qui appellent à la solidarité et à la patience des lecteurs, mais tout le monde ne peut pas le faire, ça demande des efforts surhumains et ça ne pèse pas lourd face au circuit diffuseur/distributeur.
Ce qu'il faut voir, parce que c'est concret : sans le manga, la BD aujourd'hui ce serait p'tet les mêmes maisons, mais certainement pas dans les mêmes conditions. Le manga tire l'industrie toute entière, alors que beaucoup de gens qui les publient regardent encore ça de haut.
(C'est réel hein. Quand vous gueulez sur une réédition ratée d'un chef d'oeuvre, vendue avec une nouvelle trad' alors que c'est pire qu'avant, c'est parce que l'éditeur ne VEUT PAS la publier. Il le fait parce que sinon il va perdre la licence au profit d'un éditeur passionné)
Et des gens qui abandonnent face à ce statu quo qui arrange tout le monde, d'ici au Japon, ils sont légion. Les plus gros passionnés ne sont pas dans les maisons d'édition, ils gravitent autour. Ceux qui essaient d'en vivre seront précaires, mais peut-être plus épanouis.
On n'enlèvera pas le manga aux grosses maisons historiques, et certaines d'entre elles s'en sortent pas trop mal, même quand elles n'ont pas envie. Par contre, il est souhaitable de voir émerger de nouveaux modèles, en achat de droit déjà (tout le monde le voit), mais aussi
et SURTOUT, en créa. Ça veut pas dire créer du Manfra, j'ai rien contre le genre mais il a ses limites. Par contre autoriser des formats, des styles, des types de narration, des thèmes et des auteurs différents, c'est urgent.
On est certes le pays de la Bande Dessinée, le meilleur pour découvrir la richesse infinie de cet art et j'en passe, mais si notre production locale s'écroule autant qu'elle s'est asséchée artistiquement, on va au devant de grosses déconvenues.
Sauf qu'aujourd'hui, être un pays référent c'est cool, mais le streaming, les jeux vidéo et les autres loisirs numériques, c'est partout pareil. C'est chronophage, facile d'accès, extrêmement viral et souvent gratuit. À part le temps que ça prend, rien en commun avec la BD.
C'est pour ça qu'il faut envisager notre futur, de l'émergence des nouveaux auteurs à leur carrière à l'international par un seul prisme : la qualité. Ça peut être l'ambition de faire prospérer ce genre hybride, dont le 619 est le petit Metal Hurlant de notre époque, par exemple.
Ça passe aussi par la réflexion de la co-édition. Beaucoup d'éditeurs étrangers rêveraient de co-éditer des projets pour partager les coûts et offrir une BD qui n'est ni un comic-book, ni du franco-belge, juste une bonne Bande Dessinée. Mais les gros rejettent ça en bloc.
Parce qu'on a une culture très clanique et surtout parce qu'on croit qu'on sait vendre les droits d'images (ciné, séries, JV) de nos productions locales. Y a même des boîtes qui dépensent énormément d'argent pour ça, en vain, plutôt que de bien exporter leurs auteurs.
Bref, la liste des maux est longue, multi-factorielles et mériterait un livre plutôt qu'un thread mais la vérité, c'est que le Manga nous porte tous, que c'est un genre qui n'a pas du tout à rougir devant notre bonne BD locale et encore moins devant les Comics et enfin,
Qu'on laisse la main à des éditeurs, des directeurs artistiques, des chefs de projet, des auteurs et j'en passe (y a beaucoup de métiers dans notre milieu) PLUS JEUNES. C'est pas un manifeste anti-boomers, c'est juste qu'il FAUT agir, y a plus le temps, la BD va dans le mur.
Ça prendra peut-être un moment pour se réinventer, ça coûtera peut-être de l'argent, ça fera peut-être mal de repenser des acquis stylés qui finissent pas poser problème (le sytème des retours, même si sur le papier c'est sexy), mais on a pas tellement le choix en vérité.
Ah si, un dernier point : les américains et les japonais (c'est nouveau mais c'est puissant) n'ont aucun mal à venir chercher nos auteurs en Europe (avec l'Italie et l'Espagne, qui produisent des génies à la chaîne). Nous ? À part quelques épiphénomènes, on reste entre nous.
Y a évidemment plein de sujets à étayer : la place du numérique et des webtoons (qui imite le modèle des nouveaux médias avec la gratuité, la pub et l'abonnement, mais qualitativement y a beaucoup à redire sur 95% de la production), les auteurs majeurs qui veulent tout plaquer...
Si ça doit être la seule idée à retenir de tout ce bordel de pensées enchevêtrées : le manga a fait lire les plus modestes et par les temps de division qui courent, c'est un ciment social en béton armé. Il convient d'au moins lui accorder ça chez les plus sceptiques du genre.
(C'est aussi artistiquement le genre le plus excitant à mes yeux depuis plusieurs décennies pour peu qu'on veuille bien regarder au-delà des mastodontes, qui ne sont jamais que les équivalents de nos licences un peu reloues bien de chez nous, et du Big Two américain)
Et je me répète avec moins de survol : si le scantrad ne "pompait" pas autant de ventes physiques (mais ça permet de faire lire des gens qui achèteront plus tard donc ce calcul est un produit en croix bizarre), le manga représenterait bien plus que 50% des ventes de BD en France.
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