Il faut dire que, pour lui, acheter des drones américains était comparable à "importer en France les méthodes de torture de la CIA". D’où sa surprise. Et la seule explication qu’il y trouvait était que "l'opinion publique française est mal informée sur la question des drones".
Comme je l’écrivais alors dans une recension de son livre, l’explication était plutôt qu'elle "voit la différence entre acheter des drones non armés et les utiliser comme les Américains, et elle ne voit pas le rapport avec l’importation de la torture" https://laviedesidees.fr/Ideologie-du-drone.html
En 2017, la décision d’armer les drones n’a suscité aucune réaction notable dans l’opinion publique. L’annonce du premier tir en décembre 2019 n’a pas eu davantage d’écho. Ce qu’évidemment les anti-drones trouvent suspect. C’est sans doute qu’on nous cache quelque chose !
Ainsi dans cet article de Mediapart : il n’y a pas de débat parce que les Français ne savent pas (donc on va leur dire).
Il a aussi commandé un sondage Ifop dont le résultat, publié en mai 2017, soit 4 mois avant l'annonce de la décision d'armer les drones, est sans appel : 74% des Français y seraient favorables. http://data.over-blog-kiwi.com/1/11/98/19/20170513/ob_cfcb92_barometre-externe-de-la-defense-et-d.pdf
Notez que la question précisait "à l’instar des Etats-Unis", assumant une comparaison qui risquait pourtant d’avoir un effet repoussoir.
2e prémisse erronée : la comparaison avec les Etats-Unis, plus précisément la CIA, un passage obligé de la rhétorique anti-drone. L’article de Mediapart ne fait pas exception, citant un journaliste selon lequel "Le fonctionnement de la France se rapproche de celui de la CIA"…
C’est-à-dire d’un programme clandestin ayant à sa disposition des centaines d’appareils pour frapper sans le reconnaître (deniability) partout dans le monde, en dehors de théâtres de conflits armés - autant de différences avec la France…
Sans compter l’interprétation du droit international humanitaire, en particulier celle du civil "participant directement aux hostilités" (et pouvant donc être pris pour cible), dont les Américains ont une interprétation extensive qui n’est pas partagée par la France.
La comparaison avec les Etats-Unis n’est justifiée par rien, elle n’est qu’un épouvantail - qui fonctionne d’autant mieux qu’elle est soutenue par des clichés dans la culture populaire, comme ceux véhiculés par le film "Good Kill" (2014), cité dans l’article.
Si vous voulez voir un meilleur film de drones de la même période, regardez plutôt "Eye in the Sky" (2015) - qui n'est pas parfait, mais déjà mieux.
3e prémisse erronée : tout est "assassinat ciblé". Citant un représentant d’Amnesty International, l’article explique qu'"Avec un avion de chasse, on ne fait pas d’assassinat ciblé. Avec un drone, si" et ajoute que "La France pratique depuis longtemps la peine de mort au Sahel".
En réalité, l’assassinat ciblé, qui comme son nom l’indique est par définition illégal, est le fait de tuer un individu non détenu en dehors d’un contexte de conflit armé. Et cela ne dépend pas du moyen : drone, avion habité, sniper, polonium 210 ou Novitchok, le choix est large.
Le drone armé en est un moyen fréquent mais pas exclusif. Surtout, il n’est pas que ça. Il peut aussi (et statistiquement il l’est majoritairement) être utilisé dans un théâtre de conflit armé, où jusqu'à nouvel ordre il n’est pas illégal de tuer un individu.
Dans ce cas, on ne parle pas d’assassinat mais d’ "élimination ciblée", puisque celle-ci n’est pas illégale si elle respecte par ailleurs le droit international humanitaire. Sur ce point, j’avais commis un papier dans @DSI_Magazine http://www.jbjv.com/IMG/pdf/JBJV_2016_-_Les_eliminations_ciblees_sont-elles_legales.pdf
Par conséquent, au Sahel, sur un théâtre de conflit armé, on peut tout à fait utiliser des drones armés (comme d’autres aéronefs armés), sans pour autant pratiquer des "assassinats ciblés" ou "la peine de mort".
4e prémisse erronée : "les drones tuent". On ne se lassera jamais de cette manie journalistique de parler de "drones tueurs" simplement parce qu’ils portent des munitions, mais pas de "Rafale tueur" ou de "Mirage tueur", alors qu’ils larguent exactement la même bombe GBU-12.
Ce n’est pas le drone qui "tue", c’est l’humain qui tire, et le fait que son cockpit soit en l’air ou au sol n’y change rien. Pour cette raison, le drone est soumis aux mêmes règles d’engagement que les autres aéronefs.
De ce point de vue, il n’y a aucune raison d’exiger une transparence spécifique sur les drones ("lieu exact, contexte, cible, nombre de victimes, identité des victimes" comme le demande Mediapart). Ni plus, ni moins que pour les autres vecteurs. [FIN]
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