J'ai mis un peu de temps pour mettre le doigt sur ce qui n'allait pas dans la vidéo de Science4all “Débattre avec les white supremacists ?”, mais en fait c'est relativement simple :
Tout ce dont il parle ici ne concerne pas les DÉBATS.
🔽🔽🔽 https://twitter.com/le_science4all/status/1300483735121522689
Un débat, ça suppose une opposition d'idées, d'argumentaires. Or ce qui caractérise la pratique de Picciolini (et Daryl Davis aussi visible dans la vidéo), c'est justement de toucher l'autre autrement que via le débat.
C'est pas négatif hein, mais c'est pas du débat.
Pour celles et ceux inspirés qui voudraient faire de même, soulignons aussi quelques points.
Déjà c'est pas évident. Picciolini a été néo-nazi. Ça l'aide d'une part à créer un contact susceptible d'être écouté sur le sujet, d'autre part à connaître la pensée qu'il entend altérer.
Par ailleurs, effectivement, la recherche de lien social et l'inscription dans un groupe social est une des voies de radicalisation politique ou religieuse. Elle est mise en avant par Bronner dans “La pensée extrême”, on la retrouve dans divers témoignages d'anciens alt-right…
Dans ces cas, le lien social joue encore souvent un rôle. Mais sans nécessairement être le facteur dominant, et surtout sans que la radicalisation trouve sa racine dans un isolement.
Enfin, il faut remarquer que ce que fait Picciolini, ça concerne des échanges privés entre deux individus.
D'une part, du fait de l'échelle, ça constitue difficilement une solution globale envisageable.
D'autre part, tout cela ne concerne pas les débats publics.
Lorsque le débat est public, les arguments qui y sont employés sont exposés aux yeux d'autres intervenants. Et c'est en ça que les questions “doit-on débattre avec …” se pose typiquement : débattre, c'est de facto donner une tribune à des propos, à des argumentaires, etc.
Pire, cette tribune peut souvent légitimer en apparence les propos de par la présence d'un interlocuteur échouant à être aussi convaincant, ou à répondre aux inepties factuelles ou logiques balancées, par manque de préparation, méconnaissance des arguments, loi de Brandolini…
En particulier, s'engager dans un débat sans bien connaître les argumentaires en face, ça peut être désastreux. On peut très facilement laisser passer des propos convaincants, mais en réalités foireux (par ex parce qu'ils cachent une part de réalité ou mentent sur les données).
Prenons pour exemple Cassie Jaye que l'on voit expliquer dans la vidéo qu'il faut commencer à vraiment écouter les autres. Dans sa conf, elle parle de sa découverte positive du “Men's right movement” (mouvement masculiniste) malgré ses a priori négatifs en “tant que féministe”.
Bon, ça par exemple, ça semble convaincant, de même que son film sur le sujet “The Red Pill”, qui explique que les mascus sont gentil et ont cômême un peu raison.
… Sauf que quand on gratte l'argumentaire du film s'effrite et son “féminisme” est douteux :
Lorsque Ben Shapiro écrit son (très mauvais) “How to debate leftists and destroy them” (“How to destroy leftists in debate” à l'intérieur), il ouvre clairement : pour lui, le but n'est pas l'honnêteté intellectuelle, il est de gagner (et “détruire” les gauchistes).
Par ailleurs, il faut se garder d'une certaine naïveté qui consisterait à croire que les désaccords politiques seraient toujours résolvables par le débat. On peut affiner les faits et les logiques, mais derrière restent parfois des divergences insolubles sur les axiomes moraux.
Proche de ce point, je rebondirai sur un passage où Lê remarque que Picciolini n'avait “pas conscience de l'atrocité de ses actes” sur le moment, puis fait un parallèle avec le fait de ne pas être conscient d'à quel point nos messages seraient perçus comme agressifs.
Or ce sont deux choses fondamentalement différentes. Sur nos messages, il est question d'interprétation subjective : d'un côté on ne voit pas notre message comme agressif, de l'autre notre message est vu comme agressif. Des réponses différentes à la question “est-ce agressif ?”.
Les auteurs de ratonnades néonazies eux ont bien conscience de ce qu'ils font : tabasser un type. Y a pas de divergence dans la perception de l'acte elle-même, mais dans le jugement “est-ce justifié ?”.
Typiquement, ce désaccord là ne relève pas d'une incompréhension entre nous.
Bref, si cette vidéo pêche par un peu de simplisme sur les raisons des “radicalisations”, c'est surtout son titre et son inscription dans #DébattonsMieux qui posent problème : ce qu'elle dit ne concerne pas les débats, et il me semble important d'en avoir conscience.
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